La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes

, par Ferghane Azihari

La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes
Toile de fond du boulangisme, le nationalisme français et la volonté de revanche sur la Prusse (fête nationale, rue Saint-Denis à Paris), par Claude Monet, 1878). – Domaine public

Plus d’un siècle après le passage du rouleau compresseur jacobin qui a méthodiquement éradiqué les cultures locales sur les territoires continentaux et d’outre-mer dominés par la bureaucratie française, voilà que celle-ci envisage désormais de ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Évidemment, l’annonce de la ratification peu avant les élections régionales – alors même que l’État français mène actuellement une réforme territoriale avec le même zèle centralisateur et autoritaire que d’habitude indépendamment du respect de la subsidiarité – peut susciter quelques interrogations sur la considération que porte le gouvernement vis-à-vis de l’intelligence de ses administrés. Mais concédons pour une fois l’absence de manœuvre politicienne dans un souci de fair-play.

Nationalisme primaire

Il est de notoriété publique que les langues régionales n’ont pas résisté très longtemps face au soutien politique dont a bénéficié ce qu’on appelle aujourd’hui plus ou moins arbitrairement la langue française. Minoritaire dans son utilisation en 1789, elle s’impose parallèlement à la nationalisation progressive du territoire tout au long du XIXème siècle, non pas en complément de ce qu’on appelle avec condescendance « les patois » ou les « dialectes », mais en se substituant à ceux-ci. Le résultat est aujourd’hui sans appel. L’UNESCO considère la quasi-totalité des langues régionales – que l’État fait plus ou moins semblant de célébrer depuis une cinquantaine d’années – en voie de disparition.

Il n’empêche que les missionnaires du chauvinisme français sont montés très vite au créneau pour jeter l’anathème sur une charte emplie d’hérésies qui menaceraient de ressusciter – ou de ralentir la mort – des folklores barbares que l’on pensait définitivement anéantis. Du front national d’extrême-gauche à celui d’extrême-droite, les apôtres redoutent l’impact de ce traité sur le culte de la bureaucratie d’État qui maintient son aura en politisant la question culturelle – la tant fantasmée identité nationale – afin d’entretenir son identification à la société. Ainsi les chauvins espèrent-ils protéger le culte de Jeanne d’Arc de la dangereuse diversité via l’emploi à outrance d’une novlangue prétendument républicaine destinée à masquer la vacuité d’un nationalisme qui n’en est pas moins rance et fondamentalement impérialiste de par ses prétentions de supériorité sur les autres formes d’attachements culturels que peuvent connaitre les individus.

Les chauvins ont néanmoins raison sur un point

Il est cependant nécessaire de faire la part des choses. Car si les rédacteurs de la charte – qui n’a rien à voir avec l’Union européenne ! – avaient manifestement le souci de préserver la précieuse et inestimable diversité du continent européen, ils ont hélas sous-entendu dans les textes que c’était le rôle du pouvoir politique de promouvoir cette diversité. Or il s’agit là d’une erreur. Pas plus que l’État n’a de légitimité à soutenir une industrie au détriment d’une autre ; pas plus qu’il n’a de légitimité à soutenir une religion au détriment d’un autre culte, le pouvoir politique doit s’abstenir de soutenir une culture particulière. Autrement dit, on attendra de la puissance publique qu’elle reste passive et qu’elle se contente d’être la gardienne du laissez-être. La question culturelle doit être du ressort des communautés qui ont toute leur place dans la société civile et le secteur privé mais qui n’ont aucune légitimité à s’immiscer dans la gouvernance politique.

Le problème des chauvins tient à ce qu’ils ne réalisent pas que la communauté française n’en est qu’une parmi d’autres et que sa culture, aussi noble soit-elle, n’a pas à être privilégiée par les pouvoirs publics. C’est du moins ce que l’universalisme républicain dans sa pratique non dévoyée requerrait : une totale neutralité. Les chauvins consentiraient-ils ainsi à abolir le ministère de la culture, leur chère (trop chère !) exception culturelle et à désétatiser (pour rendre au secteur associatif) la plupart des totems de la communauté française comme cette académie vaniteuse qui prétend détenir avec quelques bureaucrates le monopole de l’entretien de la langue de Molière ? Les chauvins consentiraient-ils à abolir la Loi Toubon qui, en luttant en vain contre les anglicismes, ne fait que révéler l’ignorance crasse du législateur sur le fait que les langues évoluent par emprunts mutuels ? Consentiraient-ils à abolir les règles ridicules qui contraignent les services audiovisuels à respecter des quotas de chansons françaises ?

Se résoudraient-ils à admettre enfin que la culture française est suffisamment développée pour prospérer dans un cadre spontané et juridiquement égalitaire, c’est-à-dire sans l’aide du monopole de la violence légale ?

La ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires devrait être effective à l’automne à l’occasion d’une session du congrès français et d’une réforme constitutionnelle.

Vos commentaires
  • Le 9 juin 2015 à 11:23, par Alexandre Marin En réponse à : La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes

    Cela dit, à la base, l’idée n’est pas seulement qu’un peuple, pour être uni, ne doit parler qu’une seule langue. Ce n’est pas du nationalisme fermé sur soi.

    A la base, l’idée est que le Français, langue dans laquelle furent écrites les oeuvres de Montequieu, Voltaire, Rousseau, ainsi que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen était LA langue de la liberté contrairement aux autres langues, nécessairement obscurantistes. Comme le disait le député Barrère, au temps de la révolution : « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand (allusion à l’Alsacien) ; la contre-révolution parle l’italien (allusion au Corse), et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur ».

  • Le 10 juin 2015 à 20:33, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes

    Un excellent article qui fait l’impasse sur une dimension du problème de la langue : le lien entre « chauvinisme » et « pouvoir ». Car la langue française est la fruit d’un rapport de forces, ni plus ni moins, né de l’implantation en Ile-de-France, de la monarchie. Il y va de la langue comme de le religion : seule la dominante l’emporte sur les minoritaires, toutes sectaires dans leur microcosme. Au XVIIIe siècle, le rapport de force fonctionne toujours, qui flatte l’ego des locuteurs ( le français est la langue des élites de la danse classique, encore un rapport de forces. Aujourd’hui, le rapport des forces a basculé...comme il a basculé à la Renaissance au profit de l’italien. C’est aujourd’hui l’anglais, demain on ne sait pas !!! Faudra s’y faire, dans le pré carré de l’exception culturelle notamment !

  • Le 18 août 2015 à 02:36, par thomas En réponse à : La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes

    Encore une fois, malheureusement, on tombe dans les caricatures simplistes et les raisonnements auto-justifiés alors que la question est passionnante. D’après l’article, les partisans de la Charte seraient les avocats de la diversité culturelle de la France, tandis que ses adversaires, des jacobins ultra-centralisateurs (et totalitaires, rien que ça). Pourtant, en ce qui me concerne, je suis très sceptique à l’égard de cette charte alors même que je suis « auvergnat », que j’apprécie beaucoup la langue occitane, que je comprends plus ou moins bien et que je parle un petit peu, et la culture qui y est associée.

    D’abord, avant de rentrer dans le fond du problème, l’inspiration de la charte me gêne : un mouvement douteux, la FUEV, connue en français sous le nom d’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, dont les pères fondateurs français furent des personnalités liées au régime collaborationniste. Une Europe fédérale ethnique, pensée par des antisémites et des sympathisants nazis, voila qui n’est guère enthousiasmant.

    Pour ce qui est de la charte en elle-même, le droit d’user, dans la vie privée comme publique, de « sa » langue locale est assez ambigu et potentiellement dangeureux. L’exemple le plus flagrant me semble être celui de l’enseignement. Personnellement, je suis favorable à l’enseignement de l’occitan dans les établissements scolaires auvergnats (et plus globalement dans les territoires d’oc), je suis en revanche opposé à l’enseignement en occitan puisque les savoirs ne seraient pas transmis dans une langue commune à l’échelle du territoire. Voila qui serait très fâcheux en terme d’égalité...

    Voila, la défense des langues de France, qu’elles soient celles des territoires ou celles des immigrations, ne passe pas nécessairement par la ratification d’une charte dont les objectifs et les contenus restent obscurs et douteux. Non a la ratificament, òc als principi de la Respublica francesa, una e nondespartidissa : libertat, egalitat e fraternitat !

    Cordialement, en espérant que ce commentaire donnera lieu à une réponse sérieuse.

  • Le 18 août 2015 à 23:04, par Alexandre Marin En réponse à : La charte européenne des langues régionales et minoritaires déchaîne les chauvinismes

    « je suis en revanche opposé à l’enseignement en occitan puisque les savoirs ne seraient pas transmis dans une langue commune à l’échelle du territoire. Voila qui serait très fâcheux en terme d’égalité... »

    Pourquoi, ce serait très fâcheux en terme d’égalité ? Le contraire de l’égalité, c’est la discrimination. Il y a déjà des écoles bilingues, voire des écoles d’immersion, personne ne se sent discriminé, et ces écoles ont plutôt une bonne réputation, et de bons résultats au brevet et au bac.

    Au nom de quoi faudrait-il que les savoirs soient tous transmis dans une langue commune ? L’Espagne, la Suisse, la Belgique, ou le Royaume-uni ont un enseignement plurilingue, et les inégalités n’y sont pas de ce seul fait plus criante qu’en France. Certes, il faut qu’une partie des enseignements se fassent en Français. Mais sinon, laissons les régions organiser leurs politiques d’enseignement des langues régionales ou en langues régionales comme elles l’entendent.

    Quant à la charte, elle a été élaborée par le Conseil de l’Europe, organe qui assure le respect des droits fondamentaux en Europe. Elle vise à reconnaître des droits linguistiques aux habitants de régions qui ont une langue spécifiques, rien de plus. Il n’y a aucune idée de faire disparaître les nations, sauf à considérer qu’une nation ne peut exister qu’avec une langue unique, ce qui n’est pas le cas du Conseil de l’Europe, ni le vôtre.

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