La chute rapide de la liberté de la presse en Turquie

, par Berivan Guclu

La chute rapide de la liberté de la presse en Turquie
Recep Tayyip Erdogan a été Premier ministre de la Turquie de 2003 à 2014 et président de la République de Turquie depuis 2014, pour le Parti de la justice et du développement. thierry ehrmann - CC BY 2.0

Parmi les nombreux pays du monde qui inquiète fortement lorsqu’il s’agit de la liberté de la presse et plus généralement de la liberté d’expression, la Turquie est très vite évoquée. Les arrestations de journalistes se sont multipliées ces dernières années, participant à une répression massive de la liberté d’expression dans le pays.

Depuis sa fondation en 1923, la République de Turquie suit attentivement les développements de la communauté internationale pour poursuivre son développement en parallèle des civilisations contemporaines. Elle fait notamment partie des organisations internationales comme l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

En étant également un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe, la Turquie devrait suivre et respecter les valeurs européennes défendues par cette institution. Sans oublier que la première candidature de la Turquie pour adhérer à l’Union européenne (alors Communauté économique européenne) date du 14 avril 1987. Aujourd’hui, elle est un État tiers associé à l’Union européenne.

Même si la Turquie a une relation étroite avec l’Europe, elle fait régulièrement l’objet de critiques par les médias européens, notamment sur la liberté de la presse. Malheureusement, la liberté de la presse reste toujours une question non discutable en Turquie et très sensible. Depuis le début du mouvement protestataire Gezi Parki de 2013 en Turquie, on assiste à un conflit incessant entre certains groupes et le gouvernement. La voix des citoyens qui se sont rebellés contre le projet de piétonnisation que le gouvernement voulait réaliser dans le parc Gezi n’a malheureusement pas été diffusée par de nombreuses institutions médiatiques. Par exemple, le fait que CNN Turk diffuse un documentaire sur des pingouins au lieu d’informer sur le mouvement protestataire a fait débat, au point que le pingouin est devenu un symbole utilisé pour réagir face aux médias.

En Turquie, « le journalisme à l’heure de la purge massive »

L’ONG Reporters Sans Frontières, a publié en avril 2018 son rapport sur l’état de la liberté de la presse dans le monde. Selon le rapport, la Turquie se situe à la 157ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse (155 en 2017). Ces douze dernières années sont en effet marquées par une grave dégradation de la liberté de la presse en Turquie, qui est aujourd’hui un des pays les plus dangereux pour les journalistes. Suite au coup d’état du 15 Juillet 2016, de nombreuses sanctions ont été entreprises envers les médias turques. Le nombre de journalistes arrêtés pour avoir prétendument été impliqués dans ce coup d’État augmente chaque jour. Ces arrestations consécutives ont fait l’objet d’un débat au Parlement européen à Strasbourg, sur la situation de la liberté de la presse en Turquie. Il a été rappelé que la liberté d’expression et les médias libres, divers et indépendants, font partie des valeurs fondamentales de l’Union européenne. Il a été déclaré que l’attitude que la Turquie adopte envers des journalistes est absolument inacceptable. Le non-respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne et les menaces incessantes envers la presse, entre autres, affaiblissent le processus de négociations entre la Turquie et l’Union européenne. Au Parlement européen, la tentative de coup d’Etat est fortement condamnée. Les députés européens considèrent ce coup d’état a été utilisé comme une excuse pour bloquer la liberté de la presse.

Selon la Société des Journalistes de la Turquie, Turkiye Gazeteciler Cemiyeti (TGC), les pressions criminelles et financières exercées sur les journalistes ont augmenté depuis l’annonce de l’état d’urgence le 21 Juillet 2016. Aujourd’hui encore, beaucoup de journalistes sont en prison, tandis que la censure augmente et que le journalisme critique ainsi que l’investigation sont extrêmement réprimés. L’ONG Reporters Sans Frontières écrit à ce sujet : « La Turquie est de nouveau la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias. […] Les journalistes incarcérés et les médias fermés sont privés de tout recours effectif : l’Etat de droit n’est plus qu’un souvenir dans une République devenue hyper-présidentielle… »

L’Union européenne a un rôle à jouer

Pour améliorer la situation de la presse en Turquie, les pratiques liées aux médias devraient être fondées sur des critères universels comme les normes de l’Union européenne. En particulier, les recommandations du Conseil européen sur la question de la propriété des médias et les évaluations du rapport 2014-2020 de la Commission européenne devraient être prises en compte. Les organisations de médias devraient s’efforcer de défendre l’indépendance et la liberté des médias malgré les différences qui les opposent et les conflits, et de créer une zone de discussion saine. La position des syndicats ne peut être niée dans la liberté de la presse. Les employés de l’organisation des médias doivent pouvoir devenir membres du syndicat.

Considérant cette situation catastrophique, l’Union européenne doit poursuivre ses échanges et les négociations avec la Turquie en se fondant principalement sur la liberté d’expression. Pour adhérer à l’Union européenne, d’abord l’Etat candidat doit appliquer les valeurs et les principes de la Commission de Venise. Cette dégradation et ces entraves à la liberté de la presse en Turquie contredisent cette citation de Mustafa Kemal Ataturk, le fondateur de la République de la Turquie : « La Turquie est le berceau de la presse de la nation, ce qui créera une vraie voix et la volonté de la forteresse de fer autour de la république. Un arbre de pensée, une façon de penser. C’est le droit de la République d’exiger cela de la part des attachés de presse. » (5 février 1924). Près d’un siècle plus tard, force est de constater que la Turquie n’est pas ce berceau de la presse et que la liberté d’expression est menacée et réprimée quotidiennement.

A suivre : des élections ont lieu le 24 juin prochain en Turquie. Récemment, le président turc Recep Tayyip Erdogan qui brigue un nouveau mandat a annoncé que l’état d’urgence pourrait être levé, s’il est réélu. L’opposition l’accuse de chercher à faire taire toute voix critique.

Vos commentaires
  • Le 15 juin 2018 à 10:08, par Pir Urip En réponse à : La chute rapide de la liberté de la presse en Turquie

    Bonjour

    Je ne pense pas que citer Mustafa Kemal soit une bonne idée.

    Rappelons que le régime qu’il a mis en place était fondé sur le parti unique jusqu’en 1945 (sauf de 1924 à 1925 et pendant une période de 4 mois en 1930...).

    Il est regrettable que les défenseurs des droits de l’homme en Turquie n’arrivent toujours pas à dépasser le modèle kémaliste, qui commence à dater et qui était fortement nationaliste et autoritaire.

    Ceci explique peut-être cela.

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