De fait, lorsque la pandémie a atteint le continent, la Commission a délaissé la question sanitaire. Dans une conférence de presse donnée le 9 mars pour les 100 jours de son entrée en fonction, Ursula Von der Leyen n’évoque même pas le coronavirus. De la part d’une ancienne médecin, c’est plutôt décevant. La Commission n’a pas pris conscience de l’enjeu de la pandémie et de l’ampleur de la crise. L’Union européenne s’est peut-être crue à l’abri d’une crise lointaine, cantonnée aux pays asiatiques ou à une exception italienne.
Toutefois, quand les pays européens ont été touchés un par un par la crise, l’absence de coordination européenne a donné lieu à des situations catastrophiques, comme la fermeture chaotique des frontières.
Un manque de préparation… prévisible
Du côté des États-membres, le mauvais état de l’hôpital public n’est pas imputable à l’UE, car il relève avant tout de coupes budgétaires décidées au niveau national. Si le Semestre européen demande un strict équilibre des finances publiques, certains États ont décidé de réaliser des économies sur les dépenses de santé, bien que rien ne les y obligeait au niveau européen. La débâcle sanitaire est donc d’abord le fait de gouvernements qui n’ont pas su mettre en place un système de soin solide, ce dont l’UE ne peut certainement pas être tenue responsable.
La santé ne relève presque pas de la compétence de la Commission européenne, mais quasiment exclusivement des États-membres. Ainsi personne ne s’étonne de l’incapacité de celle-ci à coordonner l’action des États. D’abord parce que ce n’est pas son rôle ; ensuite parce qu’aucun plan d’action n’a jamais été élaboré pour faire face à une épidémie touchant les pays membres.
Difficile de réagir à temps et de manière pertinente, quand aucune réflexion n’a été opérée en amont, quand aucun protocole n’est prêt à être appliqué, et quand les différents acteurs nationaux n’ont jamais été mis en relation. D’autant que les crises graves exacerbent les réflexes nationaux de repli.
La Commission frileuse, les États capricieux
Cependant, on peut regretter que la Commission n’ait pas su prendre les devants. Si Ursula von der Leyen s’est contentée de ne pas outrepasser ses compétences, elle aurait au contraire pu saisir cette opportunité, et être force de propositions. Elle aurait pu être moteur d’une nécessaire coopération sanitaire, et ainsi ouvrir la voie à une politique européenne de santé, tout aussi nécessaire.
À l’inverse, elle a plutôt cherché à ne pas ménager les États, donnant lieu à des revirements déconcertants. En avril, la Commission publie un plan de déconfinement – sans avoir consulté les États-membres qui se trouvent alors dans des situations très différentes – … puis le retire quelques heures plus tard, face au tollé des gouvernements. Cette gaffe est un nouvel aveu de faiblesse pour la Commission, qui fait marche arrière à propos de simples recommandations n’ayant de toute façon aucune valeur juridique. Mais cela révèle également le manque de bonne volonté des États refusant toute coordination européenne.
L’Union européenne a retenu la leçon de 2008
Si la Commission n’a pas su se montrer à la hauteur de la crise sanitaire, elle a été plus talentueuse dans sa gestion de la crise économique. Dès le début de la crise, la Commission a fait preuve de flexibilité en mettant le Pacte de stabilité entre parenthèses. Dans ce contexte exceptionnel, les États-membres n’ont par exemple plus à respecter la règle des 3% de déficit par an. Elle a également assoupli les règles de la concurrence, en suspendant l’interdiction des aides d’État aux entreprises.
Après la crise de 2008, la Commission avait proposé un plan, à la fois trop tardif et d’un montant trop faible pour prétendre faire face à la crise, laissant de fait la gestion de la relance aux États. Le niveau européen est pourtant bien plus pertinent que le national pour une crise touchant l’UE. Cette insuffisance avait contrasté avec la relance américaine lancée par Obama, en termes de calendrier comme de montant.
La Commission est en bonne voie pour ne pas répéter ces erreurs, avec un plan de relance bien plus rapide et ambitieux que le précédent. De plus, les politiques d’austérité, qui avaient pu aggraver la récession et la crise sociale, n’y sont plus à l’ordre du jour.
Plan de relance historique… merci la Commission ?
Le plan de relance proposé par la Commission européenne constitue un progrès majeur dans la construction européenne et sa capacité à faire face aux chocs. Quel est le mérite de la Commission ?
Le plan de relance, baptisé « Next Generation EU », se résume en deux points : l’augmentation du budget pluriannuel de l’Union (1 074,3 milliards pour 2021-2027), la levée de 750 milliards d’euros par la Commission pour alimenter un fonds de relance, réparti en 390 milliards de subventions et 360 milliards de prêts.
Pour comprendre le plan de relance européen, vous pouvez jeter un œil à cet article.
C’est la Commission qui a proposé ce plan en mai, cette mission lui ayant été confiée par le Conseil européen (réunion des chefs d’États et de gouvernements). Rien d’extraordinaire : elle seule dispose de l’initiative législative. Or les innovations apportées par le plan relèvent en réalité de l’ambition franco-allemande. Lors du sommet du Conseil européen en juillet, Von der Leyen était plutôt effacée, et c’est le duo Merkel-Macron qui a tenu tête aux pays « frugaux » (Pays-Bas, Danemark, Autriche, Suède et Finlande).
Le mérite de la Commission a été sa capacité à mettre d’accord des États entre lesquels la confiance semblait brisée. Après les scènes de déchirure, comme le moment où le premier ministre portugais a mis en cause la « mesquinerie récurrente » des Pays-Bas, aboutir à un accord semblait inespéré. Le plan proposé par Von der Leyen combine, en quelque sorte, le plan franco-allemand du 18 mai (mutualisation des dettes, hausse du budget de l’UE), et celui des « frugaux » du 23 mai (des prêts, et une conditionnalité sur l’utilisation des fonds). Et ainsi le plan de relance a-t-il pu être adopté.
La crise sanitaire a mis au jour les forces et les défaillances de l’UE. La Commission et les États-membres ont appris des précédentes crises que la réponse économique doit être européenne pour être efficace. Nous pouvons espérer qu’ils sauront tirer les leçons de celle-ci : la nécessité d’une politique de santé européenne.
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