“Communauté politique européenne”, c’est le nom choisi par Emmanuel Macron, président français, le 9 mai 2022 au Parlement européen, pour désigner ce nouveau forum européen devant permettre à l’ensemble des Etats européens d’atteindre une certaine intégration entre eux, par les échanges universitaires et scientifiques, par une facilitation de la circulation des Européens, ou par une coopération en matière de justice, de police ou d’énergie ; ceci dans le but de répondre aux multiples défis du continent. Les objectifs étaient ambitieux, peut-être trop…
Une photo de famille contre la Russie belliciste ?
Le 6 octobre 2022, la Communauté politique européenne (CPE) s’est réunie pour la première fois à l’occasion du Sommet de Prague. La photo de famille a regroupé quarante-quatre chefs d’Etat et de gouvernement venant de toute l’Europe. Les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne ont été rejoints par les candidats déclarés à l’UE -les six Etats des Balkans occidentaux, la Moldavie, l’Ukraine et la Turquie- par les trois Etats du Caucase du Sud, par les quatre Etats membres de l’AELE et par le Royaume-Uni. L’absence assourdissante de la Russie et de la Biélorussie fut dès lors au centre des attentions.
Outre un espace d’échange, la CPE aspire à faire rayonner les valeurs européennes, au-delà du cadre de l’UE. Cette aspiration nous enseigne quels sont les critères d’admission d’un Etat dans la Communauté dont le premier est la présence du pays en Europe. Pour Emmanuel Macron, le premier critère est indissociable du second, celui de l’adhésion aux valeurs démocratiques libérales. Une telle complémentarité n’est pas neutre, car en faisant ce choix le Français exprime son désir de délimiter les contours d’une Europe politique, encore en gestation. Ce choix aurait conséquemment deux avantages. D’abord, inclure des Etats qui ne sont pas ou ne sont plus dans l’Union européenne, à l’instar du Royaume-Uni mais aussi les Etats des Balkans. Mais aussi et surtout, d’exclure ceux qui pourraient être considérés comme “Européens” mais qui ne respectent pas les valeurs européennes. La guerre déclarée par la Russie, avec l’appui de la Biélorussie, contre l’Ukraine, empêcherait de facto l’adhésion des deux Etats bellicistes à la Communauté.
La Confédération européenne, une inspiration
La CPE est largement inspirée d’un autre projet politique : la Confédération européenne. En effet, en 1990, le président François Mitterrand appelle de ses vœux la construction d’ une organisation plus large que la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE).
Cette organisation devait inclure les États de la CEE mais également ses nouveaux partenaires de “l’Est”, les anciennes républiques populaires d’Europe centrale mais aussi l’Union soviétique de Gorbatchev. La Confédération ainsi nommée avait les mêmes aspirations que l’actuelle CPE et les mêmes premières réceptions.
Pour les Etats anciennement communistes, la Confédération européenne était un moyen détourné de les priver de leur pleine et entière intégration européenne, qui devait se matérialiser, pour eux, par une adhésion à la CEE : une antichambre qui ne disait pas son nom. A la différence de la CPE, le projet de Confédération européenne voulu par Mitterrand ne vit jamais le jour, ce dernier ne sachant rassurer ses partenaires.
La peur d’une ‘antichambre de l’UE
La CPE n’a pas manqué de soulever son lot de critiques. La plus évidente d’entre elles se trouve dans la composition très hétéroclite de cette nouvelle plateforme. Si des réunions bilatérales organisées par la France et l’Union européenne en marge du Sommet de Prague ont permis d’établir le dialogue entre les belligérants azerbaidjanais et arménien, la Communauté n’a pas cherché à trouver des solutions en ce qui concerne les tensions entre la Serbie et le Kosovo, ni en ce qui concerne le conflit opposant la Turquie et Chypre.
Les Etats candidats à l’adhésion à l’UE ont aussi manifesté leur inquiétude sur le fait que la Communauté pourrait devenir une antichambre de l’Union. C’était en effet au Parlement européen qu’Emmanuel Macron a exprimé son souhait de la mettre en place, en réponse notamment aux propres failles de l’Union. La CPE ne servirait dans cette optique qu’à définir les limites de l’Europe.
Des compétences floues
Le 9 mai, Emmanuel Macron précisait que la CPE permettrait de “trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d’investissements, d’infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses.” L’objectif de long terme serait alors de créer une Europe géopolitique dans laquelle la Russie serait exclue. Une telle démarche permettrait de créer un nouvel équilibre de puissance en Europe, avec les Etats démocratiques de la CPE d’un côté, et la Russie (et la Biélorussie) de l’autre. Cependant si l’on s’en tient aux mots du président, la Communauté ne servirait qu’à être un simple espace d’échange de pratiques en matières de politiques publiques entre Etats européens. On ne sait donc toujours pas quels sont les objectifs précis de cette Communauté, ni quels moyens elle se donne pour y parvenir.
Cette frivolité de la part d’Emmanuel Macron s’explique notamment par le fait que la vision de la CPE reste encore à définir. Les réunions praguoises n’ont visiblement pas permis d’établir clairement les grandes lignes qui définissent les missions et les compétences de la CPE. Le Conseil européen, qui a participé aux discussions, reste assez vague, énonçant que les Chefs d’Etats ont uniquement discuté des problématiques découlant de la guerre en Ukraine. Il semble que la CPE se dirige actuellement vers la constitution d’un espace de négociations axées essentiellement sur les sujets d’actualité, une sorte de “G44” européen en outre.
Le risque d’une Europe à la carte
Les spéculations passées, un dernier écueil subsiste, résidant cette fois-ci dans la relation de la CPE avec les autres organisations européennes. Si l’on en revient à la déclaration du 9 mai, on remarque qu’Emmanuel Macron souhaite que la CPE aborde principalement deux thématiques, la démocratie et la sécurité. Or ces deux champs sont déjà occupés en Europe par deux organisations, respectivement le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), qui ont déjà du mal à s’affirmer sur la scène européenne et internationale. Seul l’avenir nous dira si la Communauté préfèrera coopérer ou entrer en compétition avec ces deux organisations.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a créé un nombre impressionnant d’organisations internationales, à tel point que le paysage institutionnel européen est devenu extrêmement complexe. Parmi cette multitude d’organisations, chaque Etat est libre de faire partie de l’organisation de son choix. Cette diversité de combinaisons nuit à la cohérence des politiques menées à l’échelle européenne. C’est cette complexité qui nourrit depuis plusieurs décennies le sentiment d’incompréhension et de frustration des citoyens. Les institutions européennes, souvent soucieuses de se faire connaître auprès des populations, desservent ainsi leur cause par leur multiplication et leur complexité.
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