La Croatie prend la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne

, par Eric Drevon-Mollard

La Croatie prend la présidence tournante du Conseil de l'Union Européenne
Il s’agit de la première présidence tournante du Conseil de l’UE pour le dernier pays entré dans l’UE, en mai 2013.

C’est pour une durée de 6 mois que ce pays coincé entre Balkans et Adriatique va prendre les rênes du Conseil. Membre de l’UE depuis seulement 2013, ce pays de 4 millions d’habitants dirigé par un premier ministre conservateur n’en est pas moins très europhile, et entend s’atteler sérieusement à la tâche. Son programme de présidence est un projet de transition, sans volonté de vouloir bouleverser l’Union, mais veut accélérer la réalisation des objectifs en cours, tout en préservant les avantages des pays de l’est et en s’attaquant au plus grand défi auquel doit faire face l’Europe : la dénatalité.

Quel est le rôle du président du Conseil de l’Union Européenne ?

Il assure essentiellement deux fonctions : l’une logistique, avec l’organisation des débats des [différentes formations du Conseil - https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/] (affaires économiques et financières, compétitivité, environnement, justice et affaires intérieures, etc, à l’exception des affaires étrangères), et l’autre plus politique : la représentation du Conseil dans les autres institutions de l’UE (Parlement, Commission...).

Lors de cette présidence, ce sera le premier ministre conservateur Andrej Plenković, membre du PPE, qui siégera à la présidence du Conseil de l’Union Européenne. Il se situe plutôt à la droite du parti, étant très attentif aux questions d’identité et de lutte contre l’immigration illégale.

Les résultats de la dernière présidentielle croate, qui ont donné le candidat d’opposition gagnant, n’influenceront pas sa ligne politique, étant donné que le président a un rôle principalement honorifique.

Le président aura à gérer la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne, qui doit avoir lieu le 31 janvier. Ce sera une des grandes priorités de son mandat.

Son programme se déclinera en quatre axes : une Europe qui se développe, une Europe qui unit, une Europe qui protège, et une Europe qui rayonne.

Une Europe qui se développe

Le développement économique de l’Union est une priorité pour la Croatie, pays encore relativement pauvre par rapport à ses voisins, surtout du Nord. Sa politique sera donc centrée sur la réduction des écarts entre les états-membres, et entre les travailleurs à l’intérieur de chaque pays, par l’augmentation de leurs compétences, en particulier concernant les nouvelles technologies. Les fonds de cohésion, qui profitent beaucoup aux pays de l’est, doivent être maintenus pour que leur rattrapage économique puisse continuer.

La présidence croate veut également renforcer l’Union Économique et Monétaire et le rôle de monnaie internationale de l’euro, ce qui ne sera pas une tâche facile à cause du fort endettement de certains états qui finira par avoir un impact sur la confiance dans cette monnaie, et du maintien de taux d’intérêt très bas qui rémunèrent trop faiblement les placements en euros, suscitant des placements trop risqués qui peuvent provoquer des bulles financières, ou provoquer des fuites de capitaux si les taux d’intérêt américains remontent.

Clairement, ce sont de bonnes politiques macroéconomiques, capables d’augmenter la croissance potentielle, qui permettraient de faire de l’euro une monnaie internationale. Le Conseil peut agir en dirigeant le (trop) faible budget européen vers des investissements productifs, notamment en matière de recherche.

La mobilité des scientifiques, ainsi que les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée, sont d’ailleurs mis en avant comme des objectifs importants. Du côté de la qualité de vie, la promotion du Socle Européen de Droits Sociaux est une priorité.

Mais surtout, la Croatie est enfin décidée à s’attaquer au problème économique (et politique) le plus préoccupant sur le long terme : le déclin démographique de l’Europe, en promouvant la natalité. Dans ce domaine, il n’existe pas de baguette magique, mais les expériences française, scandinave, et plus récemment hongroise, ont montré qu’une plus forte égalité des sexes, de fortes incitations financières, ainsi que la disponibilité de dispositifs de garde d’enfants étaient les moyens les plus efficaces de faire remonter la natalité. Gageons qu’Andrej Plenković réussira à convaincre le plus grand nombre de ses collègues du Conseil.

Une Europe qui unit

La création d’un marché européen du numérique permettra de faire baisser les prix et de couvrir plus de territoires, réduisant ainsi la fracture numérique. L’Union devra favoriser le déploiement de la 5G, tout en garantissant son usage sécurisé. Elle devra aussi organiser un débat sur les implications légales et éthiques de l’intelligence artificielle. Ce dernier point est assez préoccupant : plutôt que de chercher à faire de l’Europe un leader en matière d’intelligence artificielle, et alors que les GAFAM débauchent nos meilleurs cerveaux dans le domaine, il faudrait viser à faire de l’UE un leader de la réglementation de l’intelligence artificielle ? Autrement dit, entraver la dernière grappe d’innovations technologiques qui fera la croissance du futur ? Ce n’est pas très sérieux, nous risquons de finir comme l’Argentine...

En matière d’énergies, le programme croate est plus cohérent : créer une union de l’énergie, et diversifier les sources de production, en mettant l’accent sur les énergies bas carbone (nucléaire, biomasse, hydraulique, éolien...).

La construction d’un réseau européen de transports est au programme de la présidence croate. Le but est de mieux connecter les régions frontalières des états membres, de favoriser des financements suffisants dans ce secteur, et d’assurer la digitalisation et l’innovation dans chaque mode de transport.

La mobilité des jeunes européens est au programme. Espérons que le déploiement de l’Erasmus de l’apprentissage s’accélère.

La promotion de l’héritage culturel européen est un enjeu tout aussi important, la Croatie veut s’en saisir, c’est une bonne nouvelle. L’Europe a trop souvent été construite sur l’idée de table rase, afin de bâtir une Union fondée sur le droit et les grands principes moraux, en oubliant l’Histoire, et les points communs entre les différentes cultures du continent. Les rappeler rapprochera les peuples, et permettra de fonder un véritable sentiment d’appartenance et de citoyenneté communes.

Une Europe qui protège

L’Union Européenne ne peut en effet exister ni avoir de légitimité si elle n’assure pas la protection de ses citoyens, de ses frontières extérieures et de ses valeurs. Le combat contre le crime organisé et la criminalité financière est mis en avant. Pour le concrétiser, en revanche, rien qui porte sur la mise en place d’un parquet et d’une police européens.

En revanche, la Croatie prétend vouloir censurer sur internet ceux qui prêchent le terrorisme, l’extrémisme et les discriminations. Elle voudrait aussi combattre les fake news et la dissémination de l’intolérance. Si les intentions sont louables, quelles seraient les mesures à prendre ? Créer des délits d’opinion ? Dans tous les pays de l’Union, des lois existent déjà, qui punissent l’apologie du terrorisme, les appels à la violence, la diffamation et les insultes nominatives.

Plutôt que de limiter la liberté d’expression, mieux vaut combattre les idées extrémistes et haineuses par le combat politique, le débat et le dialogue, que par une atteinte aux droits fondamentaux. Dans ce cas, favoriser l’émergence de médias européens pluralistes serait plus utile.

Cependant, on peut se satisfaire d’une autre priorité : le retour au fonctionnement normal de l’espace Schengen, avec la fin des contrôles aux frontières entre les états-membres et dans les aéroports.

La Croatie souhaite renforcer les frontières extérieures de l’Union, en coopération avec ses voisins du sud-est de l’Europe. Elle a prouvé qu’elle avait une réelle volonté politique à accomplir cette tâche, protégeant efficacement ses frontières hors UE de l’arrivée de migrants illégaux. Elle souhaite aussi réformer le système actuel d’asile, inefficace et qui donne lieu à des abus, et rationaliser le système d’immigration légale.

Une Europe influente

L’Union Européenne devra agir pour rétablir un ordre international basé sur le droit et le multilatéralisme, et intensifier ses échanges avec l’Asie, l’Amérique Latine et l’Afrique. Concrètement, il s’agira de contrer la volonté de Trump de bloquer la coopération internationale et ses instances, l’OMC et l’ONU notamment.

Mais cet objectif entre en contradiction avec certaines déclarations de la nouvelle Commission, qui veut établir une taxe carbone aux frontières de l’Europe, ce qui serait contraire aux règles de l’OMC, et une attaque protectionniste contre le libre-échange. Mais le Conseil a plus de pouvoirs que la Commission, et a généralement le dernier mot, donc il existe une possibilité pour la présidence croate d’agir en faveur du multilatéralisme et du libre-échange. Cependant, les grands états-membres, notamment la France et l’Allemagne, semblent déterminés à promouvoir une politique protectionniste... Tout se jouera donc aux prochaines élections nationales, qui auront lieu bien après la présidence croate du Conseil...

La Croatie souhaite renforcer les capacités de défense et l’industrie militaire européenne.

C’est effectivement une priorité absolue. Il faudra convaincre les états membres, à l’exception de la France et de la Grèce qui font leur part, de contribuer suffisamment au financement de leurs armées. Mais le plus difficile sera de parvenir à des synergies entre elles, à la standardisation des équipements, des procédures et du matériel, pour créer une véritable armée européenne. Ainsi, il sera possible de construire une industrie de la défense compétitive et efficace, qui ne devra pas s’adapter aux particularités de chaque armée. Et de dissuader certains pays européens, notamment la Pologne, de se fournir en matériel américain, probablement équipé de mouchards.

Augmenter la coopération transatlantique et avec l’OTAN, si c’est un objectif louable, est cependant un vœu pieux, vu l’attitude franchement hostile des États-Unis... Mais ménager une possibilité de retrouver de bonnes relations avec notre voisin de l’ouest est nécessaire, vu que son positionnement à notre égard est susceptible de changer après le départ de Donald Trump.

Le projet de la présidence croate qui a fait le plus parler de lui est sa volonté de poursuivre l’élargissement de l’Union Européenne. Il entre en contradiction avec la volonté d’Emmanuel Macron. Le président français a bloqué les négociations d’entrée de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, qui a pourtant fait de lourdes concessions à la Grèce pour pouvoir candidater. Comme il faut un vote à l’unanimité des états membres, il est hélas très peu probable que la Croatie puisse permettre à l’Union Européenne d’agrandir son territoire. Mais sa volonté affichée est loin d’être inutile : elle montre à nos voisins des Balkans occidentaux que la porte ne leur est pas fermée, et qu’à l’issue d’un changement de majorité en France ils pourront être accueillis dans notre Union.

La présidence tournante du Conseil, qui sera assurée par Andrej Plenković, est annoncée comme ambitieuse, ce qui confirment ses propositions lorsqu’on les étudie en détail. Mais le premier ministre croate aura besoin de charisme et de talents de diplomate pour convaincre tous ses partenaires, parce qu’il n’a que six mois pour agir, et que la plupart de ses propositions requièrent l’unanimité des états-membres pour être adoptées.

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