Tous les quatre ans, les citoyens tchèques sont appelés aux urnes pour élire leurs députés. Cette année, la Chambre basse du Parlement – la Chambre des députés – renouvelait ses sièges. Aux termes d’une campagne mouvementée, la République Tchèque rejoint pleinement le groupe des gouvernements populistes de Višegrad : Robert Fico en Slovaquie, Victor Orban en Hongrie, Beata Szydlo en Pologne et désormais très probablement Andrej Babis en République Tchèque appartiennent à cette même mouvance euro-contestataire incarnée par le groupe de Višegrad.
Un système à la proportionnelle préférentielle
Le système politique tchèque, installé depuis 1993 et la dissolution de la Tchécoslovaquie, reflète un régime parlementaire institutionnalisé. Le Parlement est bicaméral, c’est-à-dire qu’il est composé de deux Chambres : la Chambre des députés avec des représentants élus directement au suffrage universel direct sur un scrutin proportionnel et le Sénat composé de représentants élus au suffrage universel direct par un scrutin majoritaire. Pour ces élections législatives d’octobre, il s’agissait donc de renouveler les députés dont le mandat est de 4 ans et dont les 200 sièges sont répartis en 14 circonscriptions plurinominales. Concrètement, chaque électeur vote pour la liste du parti de son choix dans chaque "région électorale" et peut indiquer une préférence pour quatre des candidats inscrits sur cette liste.
Lors du dépouillement, les listes de partis ayant obtenus plus de 5% des suffrages exprimés sont comptabilisées (10% pour les coalitions de deux partis) et dans chacune de ces listes, les candidats avec le plus de préférences sont réordonnés. Ainsi, entrent au Parlement les candidats en haut des listes de partis ayant reçus un nombre de voix suffisant pour obtenir des sièges. On dira donc que c’est un scrutin proportionnel de listes plurinominales avec ordonnancement préférentiel des candidats. Le panachage des voix n’est donc pas possible – chaque électeur doit choisir pour une liste et non pas des candidats ordonnés par préférences entre plusieurs listes.
Une campagne chahutée
La coalition sortante composée du CSSD (sociaux-démocrates), du parti ANO (populiste antisystème) et du KDU-CSL (chrétiens-démocrates) était soumise à rude épreuve depuis quelques temps. Entre le Premier ministre Bohuslav Sobotka (CSSD, social-démocrate) et son vice-premier ministre, Andrej Babiš (chef du parti ANO) de vives tensions s’opéraient depuis le mois d’avril. En effet, Andrej Babiš, ministre des finances depuis 2014 et milliardaire très populaire était soupçonné de détournement de fonds publics et de favoritisme. Homme d’affaire à la tête de la plus grande fortune de République Tchèque, il dirige notamment la holding Agrofert qu’il a fondé en 1993, pionnière du secteur agroalimentaire et chimique. Cependant, des soupçons de corruption pour attribution de subventions européennes de façon illicite sortent au grand jour début 2017. Plus de 50 millions de couronnes (1,85 million €) auraient été octroyés à un centre de conférences et de villégiature situé au sud-est de Prague en 2009, centre nommé Capi hnizdo (Nid de cigognes). L’affaire Nid de cigognes éclate et le vice-premier ministre est évincé du gouvernement le 26 mai.
Malgré sa mise en examen le 9 octobre dernier, juste après la levée de son immunité parlementaire par la Chambre des députés le 6 septembre dernier, sa popularité ne baisse pas. Le parti d’Andrej Babis cavalcade en tête des sondages avec plus de 30% des intentions de vote. Il est pressenti à la tête de l’Etat et les résultats de samedi soir ne font que confirmer ce que chacun savait déjà. Souvent comparé à Silvio Berlusconi ou à Donald Trump, le populisme et l’euroscepticisme de Babiš se veulent pragmatiques. Jacques Rupnik, politologue fin connaisseur de l’Europe centrale le qualifie de « populiste entrepreneurial » en référence à sa vision de l’Etat comme une grande entreprise. « Andrej Babiš se présente comme la seule personne capable de maintenir l’ordre dans le pays. Beaucoup d’électeurs sont convaincus qu’il sera un bon manager, notamment parce qu’il est millionnaire et que donc, il n’aura pas besoin de voler l’Etat. » [1]
La droite populiste se confirme tandis que la gauche se délite
Très critique à l’égard de la politique européenne, Andrej Babiš s’insère dans la mouvance populiste de droite des pays d’Europe centrale, notamment en matière de politique migratoire. Parmi les membres du groupe de Visegrad, la République Tchèque faisait jusqu’ici office d’exception. En remportant 78 des 200 sièges à la Chambre des députés (avec 29,6% des voix selon les résultats définitifs), le parti ANO s’assure donc une place de choix dans le prochain gouvernement. « ANO sera au gouvernement et mènera la danse » selon Lukáš Macek, directeur du campus de Sciences Po à Dijon, cité par la Fondation Robert Schuman.
Les quatre partis arrivés en tête reflètent un retournement de situation sur le plan national. Si ANO remporte 31 sièges de plus qu’en 2013 et est ainsi le grand vainqueur de l’élection, les conservateurs du Parti démocratique civique (ODS) progressent avec 11,3% des voix traduits en 25 sièges. Le parti pirate (CSP) fait également son entrée au Parlement avec 22 députés en arrivant en troisième position (10,8%). Enfin, la droite nationaliste du Parti de la liberté et de la démocratie directe (SPD), fondé en 2015 est à la quatrième place (10,6%) avec 22 sièges également.
Le scrutin est par ailleurs marqué par le fort déclin des sociaux-démocrates qui ont perdu près de 13 points de pourcentage. La gauche sociale-démocrate est en mauvaise passe dans toute l’Europe et la République Tchèque confirme la règle. Arrivant en sixième position, le parti social-démocrate tchèque (CSSD) perd 35 députés et ne parvient pas à dépasser le Parti communiste de Bohême-Moravie (seul parti communiste non-réformé d’Europe). Ils récoltent chacun 15 députés. Ainsi, malgré la relative bonne santé de l’économie tchèque et les succès politiques de la coalition sortante en matière d’emploi, de politique sociale et d’économie relancée, ces bons résultats politiques ont favorisé l’envolée du parti ANO et n’ont pas profité au partenaire de coalition majoritaire social-démocrate.
Une coalition incertaine
Désormais, Andrej Babiš va devoir se conformer au périlleux exercice de formation d’une coalition. Si le Président Miloš Zeman appelle de ses vœux à ce que la coalition sortante soit reconduite avec une modulation des forces selon les résultats obtenus, rien n’est moins sûr. La campagne pour l’élection présidentielle de janvier 2018 apparaît en ligne de mire de l’exercice des négociations. Miloš Zeman souhaite se représenter et il est probable qu’il use de ses prérogatives institutionnelles, certes faibles mais néanmoins importantes en période de transition législative, pour influer sur la construction du nouveau gouvernement. Si certains observateurs tablent pour une alliance avec des partis extrêmes, d’autres voient ce scénario particulièrement instable politiquement.
En fonction de la coalition qu’Andrej Babiš va former, les décisions du gouvernement en matière de politique européenne pourront être radicalement opposées. Bien que faisant partie du groupe de l’Alliance des Libéraux et Démocrates (ADLE) au Parlement européen, le parti ANO d’Andrej Babiš n’en est pas moins un euro-pragmatique compatible avec des euro-critiques contestataires et populistes. Ainsi, si la coalition s’établit avec les conservateurs de l’ODS, toute adhésion à l’Euro est impensable avant plusieurs années. Les négociations qui ont débutés en milieu de semaine seront donc particulièrement intéressante à suivre.
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