La garantie jeune, de l’argent sans vision ?

, par Estelle Legrand

La garantie jeune, de l'argent sans vision ?

Mardi 12 novembre, François Hollande a réuni à l’Elysée vingt-quatre de ses homologues européens pour faire un point sur la « Garantie jeunes », déjà au centre d’un sommet organisé à Berlin le 3 juillet dernier. Pourtant, rien de nouveau à l’horizon.

La garantie jeune, qui ambitionne de permettre à chaque jeune de moins de vingt-quatre ans de trouver dans un délai de quatre mois un emploi, un stage ou une formation, doit être financée à hauteur de 19 milliards d’euros (6 via un fonds spécifique, 6 par le Fonds Social Européen et 7 par la Banque Européenne d’Investissement). Au-delà des chiffres, encore faut-il savoir quand ces crédits seront disponibles et comment ils seront utilisés. C’était tout l’enjeu d’une conférence qui s’est tenue samedi dernier à Paris [1] et qui a permis aux jeunes eux-mêmes de s’exprimer sur le sujet.

Taux de chômage des jeunes : un indicateur inadapté

Une première difficulté méthodologique est soulevée par Bernard Gomel, chercheur au Centre d’Études de l’Emploi. Le taux de chômage n’est pas un outil adapté pour identifier les besoins des jeunes en matière de soutien de l’emploi. En effet, rappelons que le taux de chômage est calculé en rapportant le nombre de personnes en recherche d’emploi au nombre d’actifs (actifs occupés + chômeurs). Taux de chômage des jeunes = Jeunes chômeurs\ Jeunes chômeurs + Jeunes occupés

D’une part ce calcul exclut les jeunes « à la dérive » qui ont abandonné la recherche d’un emploi – et ne sont donc pas comptés en tant que chômeurs – et, d’autre part, les étudiants sont considérés comme des inactifs . Le taux de chômage des jeunes reflète donc mal la composition de cette classe d’âge et ne permet pas de comparaisons pertinentes entre les pays européens, dont les mécanismes d’insertion dans la vie active sont très différents.

De l’argent, pour quoi faire ?

Bien sûr, il faut augmenter les moyens de la lutte contre le chômage. Il est édifiant de constater qu’un conseiller de Pôle Emploi a en moyenne 116 chômeurs sous sa responsabilité . Autre « investissement » auquel on pense assez rapidement, l’instrument des emplois aidés doit cependant être manié avec précaution.

En effet, les postes pourvus par ce biais relèvent du secteur public ou para-public ; s’ils sont adaptés à ces fameux jeunes « à la dérive » pour leur permettre de reprendre pied dans la société, ils ne sont pas la solution au chômage des jeunes en général. Les jeunes diplômés sont confrontés à la méfiance des employeurs qui leur demandent de justifier d’une expérience que, par définition, ils n’ont pas encore acquise.

Une solution serait d’utiliser les ressources financières de la « Garantie jeune » pour exonérer de charges tous les premiers emplois pendant un an par exemple, le temps pour le jeune de devenir productif pour l’entreprise.

Et s’il n’y avait pas assez d’emplois pour tout le monde ?

Un constat s’impose : les employeurs ont du mal à recruter du personnel qualifié dans de nombreux secteurs tandis que dans d’autres, les jeunes peinent à trouver des débouchés. Il s’agit donc d’œuvrer pour rendre les formations adéquates aux besoins. Évidemment, cela ne veut pas dire forcer les élèves à choisir tel ou tel parcours, mais plutôt leur permettre de se confronter tôt à la réalité du poste qu’ils envisagent, ou à leur faire découvrir de nouvelles perspectives. Car même les étudiants de grandes écoles, qui ont pour l’instant fait un parcours sans faute, ne savent pas très bien ce qui les attend, et il n’est pas rare de vouloir se réorienter en cours de cursus.

Changer les mentalités est autrement plus difficile que de voter une loi mais il est absolument nécessaire de ne pas cloisonner les étudiants en fonction de leur diplôme. À défaut, on restera bloqués dans un cercle vicieux où l’étudiant choisit une formation très spécialisée pour pouvoir prétendre à un certain type d’emploi, et se trouve sans solution quand le secteur n’embauche pas. Au Royaume-Uni, des diplômés en histoire peuvent travailler dans le secteur de la finance, pourvu qu’ils aient démontré les capacités d’adaptation nécessaires. D’autre part, il faut aussi que les parents et les professeurs soient à l’écoute des plus jeunes pour leur permettre de trouver la voie dans laquelle ils s’épanouiront, au lieu de leur imposer le schéma classique d’une formation généraliste après-bac.

La mobilité, oui mais laquelle ?

Le Parlement Européen doit discuter cette semaine du programme Erasmus plus (à l’occasion de la session plénière de novembre). La mobilité en Europe est considérée par beaucoup comme une solution adaptée à la crise du chômage des jeunes. Combien de diplômés espagnols et grecs se sont-ils déjà installés en Allemagne depuis deux ans ?

Erasmus pour tous devrait permettre aux étudiants comme aux apprentis de vivre quelque mois dans un autre pays européen. C’est indéniablement un plus dans le parcours des jeunes, qui en apprennent beaucoup sur eux-mêmes et prennent confiance en leurs capacités.

Mais présenter Erasmus comme LA solution serait méconnaître le sentiment de ces jeunes émigrés qui pour une grande partie n’ont laissé que par nécessité matérielle leur terre d’attache et leur famille. Je doute que l’Europe souhaite avoir cette image de broyeuse de vie personnelle.

Des solutions concrètes pour la France

Comment donc redonner espoir à ceux qui entrent sur le marché du travail en France ? Nous l’avons dit, cela implique une meilleure mobilité sur le marché du travail. Passerelles entre les formations. Intégration professionnelle anticipée par le développement de l’apprentissage dans toutes les filières. Mobilité entre les secteurs d’activité, lorsque le premier emploi ne répond pas aux attentes ; cela suppose de sécuriser la démission en droit du travail français.

En effet, un employé qui démissionne est privé d’allocations chômage , ce qui peut bloquer les jeunes dans un emploi qui ne leur correspond pas forcément. Enfin, mobilité territoriale : au XXIème siècle, cultiver la terre de sa province d’origine ou être employé par la même usine que son père n’est clairement plus la norme.

À chacun de prendre sa part de responsabilité personnelle dans la recherche d’un emploi ; à l’Europe de faire en sorte que la mobilité soit vécue comme un choix et non comme une contrainte.

Notes

[1Table Ronde « l’emploi des jeunes et l’Europe », organisée par les Young Democrats for Europe, samedi 16 novembre, en présence de Bernard Gomel (chercheur), Marielle de Sarnez (députée européenne), Henri Malosse (Conseil Économique et Social Européen) et Alexis Govciyan (conseiller régional d’Ile-de-France).

Vos commentaires
  • Le 19 novembre 2013 à 14:37, par tnemessiacne En réponse à : La garantie jeune, de l’argent sans vision ?

    Article intéressant.

    "Une solution serait d’utiliser les ressources financières de la « Garantie jeune » pour exonérer de charges tous les premiers emplois pendant un an par exemple, le temps pour le jeune de devenir productif pour l’entreprise."

    Dans le même ordre d’idée un jeune homme politique avait une fois proposé l’idée suivante. Elle peut paraitre étonnante voire plus mais si quelqu’un a une contradiction sur la question elle est la bienvenue. Voici l’idée :

    Les personnes au chômage perçoivent des allocations, il pourrait être intéressant de dire aux entreprises, embauchez un chômeur on (État) s’occupe de son salaire, vous n’avez rien à payer ou presque. Ainsi on transfert les allocations vers un salaire, puis si l’employé fait preuve d’une réelle production alors le patron se charge de payer le salaire et même si engage par contrat.

    Les employeurs sont très frileux à recruter des nouvelles têtes. Mais là, ils n’ont rien à perdre, tout à gagner. Et ceci peut bénéficier à l’ensemble de l’économie en regroupant plusieurs sensibilités différentes c’est comme ça qu’on innove et qu’on progresse en jouant vraiment le jeu. Et en évitant les postures.

    Concernant l’autre idée de l’article, Erasmus, une des dimensions importante de l’Union européenne c’est la diversité des langues. Ceci est un débat concernant l’Europe. Cette diversité est une force pour l’Europe, car chaque langue véhiculent des imaginaires différents, même une même langue en fonction de régions différentes. C’est cette diversité d’imaginaires qui permet le progrès, la confrontation d’idées permet l’émergence de nouvelles idées. A + B = C

    Tout ça pour dire qu’il est essentiel pour l’Union européenne de financer des cours de langues gratuits aux citoyens qui le souhaitent. C’est une évidence mais pourquoi celà n’existe pas encore. Et sur ce point le retour sur investissement sera très important.

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