La légalisation de l’avortement en Irlande du Nord : une révolution en demi-teinte

, par Maryse Lhommet

La légalisation de l'avortement en Irlande du Nord : une révolution en demi-teinte
Le Parlement nord irlandais, Stormont. Source : Northern Ireland Assembly

Avorter n’est plus forcément un crime en Irlande du Nord. Le changement s’est fait sans loi votée à l’Assemblée de Belfast, par une initiative de Westminster, et est entré en vigueur le 22 octobre 2019. Désormais, et jusqu’à la fin de la période transitoire fixée au 31 mars 2020, l’avortement est encadré par la « Northern Ireland Executive Formation ». L’annonce en a surpris plus d’un car si la dévolution prévoit que Westminster gère les affaires courantes de l’Irlande du Nord en l’absence de gouvernement nord irlandais, rien ne dit qu’elle doit pour autant transformer radicalement la législation nord irlandaise. Comment cette légalisation a-t-elle pu se produire ? Et surtout que prévoit-elle ?

Une Assemblée Nord-Irlandaise muette

Abondamment discutée tant sur la forme que sur le fond, l’adoption du « Northern Ireland Executive » rappelle à tous la crise politique dans laquelle s’est enfoncée le parlement de Stormont à Belfast.

Sans gouvernement depuis janvier 2017, l’Irlande du Nord voit ses affaires courantes gérée par le parlement de Westminster en attendant que soit élu un gouvernement nord irlandais. C’est le principe de la dévolution du pouvoir. Problème, pour pouvoir constituer un gouvernement, les principaux partis que sont le DUP, le parti unioniste démocrate soutenant le maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni, et le Sinn Féin, le parti nationaliste irlandais prônant la réunification avec la République irlandaise auraient dû s’entendre, ce qui n’a pas été le cas.

Dans ce contexte le parlement britannique a adopté le « Northern Ireland Executive Formation etc Act » qui a reçu l’accord de la Reine en juillet dernier. Par cette loi, le parlement britannique donnait jusqu’au 21 octobre 2019 aux différentes formations politiques nord irlandaises pour former un gouvernement. Surtout, il oblige le gouvernement britannique, si aucun gouvernement n’est constitué à Belfast, à changer le droit nord irlandais sur l’avortement jusqu’alors interdit par une loi de 1861 : l’ « Offences Against the Person Act ».

Contrairement au reste du Royaume-Uni où, depuis l’Abortion Act de 1967, l’avortement est légal en cas de danger pour la santé de la mère, ce n’est pas le cas dans cette partie du Royaume. Il n’y était autorisé selon le « Criminal Justice Act » d’Irlande du Nord de 1945, que si le fœtus « n’est pas capable de naître », ou si l’avortement permet de « bonne foi » de préserver la vie de la femme enceinte. Ces critères, très stricts, expliquent pourquoi entre 2017 et 2018, seuls 44 avortements sur une population de 2 millions d’habitants ont eu lieu en Irlande du Nord. Par opposition, ce sont 250.000 avortements qui ont été réalisés en Angleterre et au Pays de Galles sur une population de 59 millions d’habitants.

La Cour suprême d’Irlande du Nord avait déjà, le 8 octobre amorcé le mouvement en jugeant la législation locale contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit à la vie privée. Il n’empêche, l’entrée en vigueur de la loi constitue un changement presque complet d’approche de l’avortement dans le pays.

Que dit la loi ?

Le Northern Ireland Executive Formation Act de 2019 n’a pas vocation à remplacer le législateur nord irlandais. Elle ne pourra s’appliquer que jusqu’au 31 mars 2020, date à laquelle le parlement de Stormont reprendra la main . Une consultation publique est d’ailleurs ouverte sur le sujet depuis le 22 octobre.

En attendant, les nord-irlandaises assistent à un véritable bouleversement du paysage législatif. La nouvelle loi oblige le gouvernement britannique à mettre en œuvre les recommandations du rapport du comité onusien sur l’élimination des discriminations contre les femmes (CEDAW), publié en 2018. La conséquence la plus visible est la dépénalisation de l’avortement via l’abrogation de l’ « Offences Against the Person Act ».

Les femmes en instance de jugement ont vu les poursuites engagées à leur encontre abandonnées à compter du 22 octobre 2019. Un moratoire va également être instauré sur les enquêtes en cours qui portaient sur de possible avortements ou l’assistance à la réalisation d’un avortement.

Les femmes ne pourront donc plus être poursuivies pour avoir avorté, ni même les professionnels de santé ayant fourni une aide à l’avortement.

Concrètement, le 23 octobre 2019, une femme poursuivie pour avoir acheté sur internet des pilules abortives pour sa fille enceinte de 15 ans, qui a, depuis réalisé son avortement, a été acquittée après que le juge ait demandé aux jurés, au vue du changement de législation, de statuer en ce sens. Elle risquait 5 ans de prison sous l’ancienne législation.

La loi va encore plus loin. Conformément aux recommandations issues du rapport de l’ONU, elle impose la légalisation de l’avortement en cas de viol ou d’inceste ou de malformation grave chez le fœtus. Elle pose l’accès à des soins abortifs et post-avortement de haute qualité dans les centres médicaux publics, ainsi que la mise en œuvre d’une éducation sexuelle appropriée obligatoire selon l’âge et reposant sur les connaissances scientifiques.

Ce n’est donc pas une modification à la marge de la législation qui a été réalisé mais une révolution sociétale qui a été initiée. L’avortement a en effet été pensé dans la loi, comme intimement liée à la condition des femmes tant sur le plan médical, social, scolaire et judiciaire.

La nouvelle loi prévoit en effet la mise en place d’un programme de luttes contre les stéréotypes assignant la femme au seul rôle de mère. Sur le plan judiciaire, cette dernière prévoit une protection des femmes contre le harcèlement des opposants à l’avortement par l’ouverture d’enquêtes suite aux plaintes pour harcèlement de ces femmes et la poursuite en justice de leurs harceleurs.

C’est révolution législative n’est cependant pas totale et, surtout, pas définitive.

Une légalisation imparfaite

Selon le « UK Government guidance for healthcare professionals in Northern Ireland on abortion law and terminations of pregnancy », document qui précise les conditions d’applications de la loi, la période du 21/10/2019 au 31/10/2020 étant une période transitoire, le Parlement de Westminster n’exige pas la création de services médicaux supplémentaires.

De plus, les « general practioners » ou médecins généralistes irlandais n’ont aucune obligation de prescrire une pilule abortive au début d’une grossesse alors que l’avortement médicamenteux est beaucoup moins intrusif que l’avortement chirurgical.

Enfin, la loi n’abroge pas la section 25 du Criminal Justice Act d’Irlande du Nord de 1945, qui prévoit qu’un avortement est toutefois autorisé si le fœtus « n’est pas capable de naître » ou si l’avortement permet de « bonne foi » de préserver la vie de la femme enceinte. Cette même loi dispose qu’est présumé « capable de naître » un fœtus de 28 semaines. Aucune interruption médicale de grossesse (IMG) après 28 semaines n’est dès lors possible. En France, l’IMG est possible à tout moment pendant la grossesse.

Autre limitation, la notion de « préservation de la vie de la femme enceinte ». L’arrêt R v. Bourne de 1939, a interprété cette dernière comme étant l’opinion d’un médecin estimant que la poursuite d’une grossesse pour une patiente peut raisonnablement physiquement ou mentalement mettre en danger la vie de la patiente et que de telles conséquences « réelles et sérieuses » seraient permanentes ou prolongées dans le temps.

Si le rapport de l’ONU préconise la suppression du critère des « conséquences permanentes ou prolongées dans le temps », le simple fait que ces conséquences soient jugées par un médecin, dans un pays où le corps médical est fortement opposé à l’avortement, pose problème.

La loi prévoit certes que des médecins puissent se déclarer « objecteurs de conscience » à condition qu’ils informent leurs patientes de leur objection et qu’ils réorientent ces dernières vers des professionnels susceptibles de réaliser l’avortement ou de les informer sur les conditions d’accès. Mais comment être sûr qu’un médecin objecteur de conscience ne cache pas son statut et entrave ainsi l’accès des femmes qui le désirent à l’IVG ?

Certes, la loi prévoit qu’à partir du 22 octobre 2019, toutes les femmes nord-irlandaises souhaitant avorter, devront être informées du fait que tous les voyages, et, lorsque c’est nécessaire l’hébergement dans le but de réaliser un avortement dans un établissement de santé anglais, sont pris en charge par la sécurité sociale britannique. Le critère du revenu ne s’applique plus. Si cette disposition facilite l’accès à l’avortement dans le Royaume-Uni elle ne pallie pas les restrictions d’accès toujours en vigueur, malgré la loi, en Irlande du Nord.

L’avortement, n’y est en définitive, toujours pas un droit à part entière.

Une solution pérenne ?

La légalisation de l’avortement ne signe pourtant pas la fin du débat : il reste en effet au parlement de Westminster de légiférer sur les conditions d’applications de cette légalisation, dans le respect des recommandations du comité onusien et au parlementaires de Stormont à siéger à nouveau pour établir une loi durable sur le sujet.

Dès lors, chacun des partis et associations pro et anti-choix mobilisés sur la question continuera de militer pour ses positions. Le DUP a d’ores et déjà assuré qu’il cherchait un moyen d’abroger la loi tandis que le Sinn Féin s’est félicité de son adoption. Les trois autres grands partis considèrent, quant à eux, que c’est là un sujet qui relève de la conscience de chaque député et refusent donc de se prononcer…

Affaire à suivre donc.

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