La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) n’est pas contente. Mais alors pas contente du tout que les traités européens ne soient pas respectés et que le Parlement européen se soit exilé pour une durée indéterminée à Bruxelles, sans venir à Strasbourg 12 fois dans l’année comme cela est stipulé dans les textes. Mais alors, vers qui se tourner pour déplorer cet état de fait ? La Cour de Justice de l’Union ? Ou même l’organe du Conseil de l’Europe, qui se trouve dans la capitale alsacienne, la Cour européenne des droits de l’Homme ?
Non, le président de la CEA, Frédéric Bierry, s’apprêtait le 26 mars, « à déposer une plainte auprès de la Médiatrice européenne pour la mauvaise administration du Parlement européen ayant entraîné l’absence des sessions à Strasbourg et donc l’irrespect des traités ». C’est en effet la personne opportune, bien que faisant partie des figures européennes encore trop mal connues par la population. Emily O’Reilly a pourtant été élue en 2013 et 2014 puis réélue en 2019 au poste de médiatrice européenne, fonction créée en 1992 par le traité de Maastricht.
L’Irlandaise joue un rôle d’intermédiaire entre la société civile et les institutions, et procède « à des enquêtes sur les cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes et organismes de l’Union européenne » [1]. Elle peut être saisie par des simples citoyens, des institutions et des députés européens, comme cela a été le cas en juillet dernier lorsque la société américaine Blackrock avait conclu avec la Commission européenne un contrat décrié. Et elle peut aussi agir de sa propre initiative.
Une institution indépendante
Les médiateurs sont élus par le Parlement européen et leur mandat est de cinq ans, comme les députés de l’Union. Le 18 décembre 2019, Emily O’Reilly a été réélue alors que quatre autres candidats s’étaient déclarés. Giuseppe Fortunato (Italie), Julia Laffranque (Estonie), Cecilia Wikström (Suède) et Nils Muižnieks (Lettonie). Elle est seulement la troisième personne à occuper cette fonction, ses deux prédécesseurs ayant comme elle été réélus.
L’indépendance de la médiatrice fait qu’elle peut se montrer critique sur les institutions européennes. Le 19 mars par exemple, elle a rendu sa décision sur l’accord UE-Mercosur, alors que celui-ci doit encore être ratifié par les Etats membres. « L’accord commercial Mercosur-UE pourrait avoir de profondes implications, positives et négatives, pour les deux parties. La Commission européenne aurait dû être en mesure de démontrer qu’elle avait pleinement pris en compte l’impact potentiel sur l’environnement et sur les autres questions avant que l’accord ne soit conclu. » Et une semaine après avoir tapé sur les doigts de la Commission, la médiatrice s’en est prise au Conseil de l’Union européenne, lui demandant plus de transparence dans sa prise de décision et tout particulièrement vis-à-vis de la crise de la Covid-19.
Le médiateur n’est pas pour autant complètement “libre” et peut être destitué “par la Cour de justice de l’Union européenne, à la requête du Parlement, s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions ou s’il a commis une faute grave.” De plus, ses décisions ne sont pas légalement engageantes, bien qu’elles soient suivies pour leur majorité. La fonction d’Emily O’Reilly est bien précise, celle-ci étant compétente pour “les cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes et organismes de l’Union”. Elle travaille principalement sur des questions sur l’éthique, les droits fondamentaux, la gestion des fonds publics et surtout le manque d’informations.
L’un des enjeux clés pour le médiateur européen dans les années à venir sera de continuer à évoluer avec son temps et à s’imposer comme un acteur incontournable de la garantie de démocratie de l’Union européenne. Jean-Louis Lascoux, chercheur en Ingénierie relationnelle et médiation professionnelle, dénonçait déjà l’obsolescence du code de conduite des médiateurs européens… en 2010. Et il faudra pour les prochains médiateurs réussir à conserver son rôle dans le bal des juridictions et instances européennes, alors qu’un tout nouveau parquet européen, entré en fonction en mars 2021, s’attaque à la corruption dans l’UE. Ce dernier sujet ne relève-t-il pas dans certains cas de la mauvaise administration ?
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