La panne de la politique européenne du handicap

, par Merwan Paris

La panne de la politique européenne du handicap
Carte européenne du handicap ©Wikimedia Commons

Lancée en 2021, “la stratégie européenne relative aux droits des personnes handicapées” visait à renforcer l’inclusion dans l’Union européenne. Pourtant, face à des blocages persistants, la commissaire à l’égalité Hadja Lahbib a annoncé en décembre 2024 sa mise à jour en 2025.

Une stratégie 2021-2030 pour le handicap en demi-teinte

Nous sommes en 2021. La Commission européenne présente la stratégie 2021-2030 relative aux droits des personnes handicapées, un ambitieux paquet de mesures pour les 10 ans à venir. Il faut dire qu’il y a urgence. Avec près d’une personne en situation de handicap sur cinq sans emploi et une sur trois exposée à un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, Eurostat dresse cette année-là un bilan peu glorieux des politiques européennes pour le handicap. Pire encore, Eurostat souligne que ces indicateurs ne se sont pas améliorés depuis 2014, soit depuis le début de l’action de l’Union européenne dans ce domaine. Un échec donc, alors même que les personnes en situation de handicap représentent 101 millions d’européens en 2020, soit 1 adulte sur 4.

Ce qui pousse l’Union européenne à agir, c’est aussi la ratification en 2011 de la Convention relative aux droits des personnes en situation de handicap des Nations Unies. Cette convention, contraignante pour ses signataires, a transformé cet enjeu sociétal en un enjeu juridique pour la Commission Européenne. Un problème d’autant plus important que la Convention prévoit que ses signataires soumettent des rapports réguliers sur son application et que la “stratégie de l’UE 2010-2020 en faveur des personnes handicapées” n’en tient pas compte. C’est donc pour répondre à la fois cet enjeu sociétal et intégrer la Convention que l’Union européenne se dote de sa nouvelle stratégie 2021-2030 pour les droits des personnes en situation de handicap.

La stratégie affiche quatre initiatives phares : une carte valant reconnaissance de son handicap dans toute l’UE, une base de données pour l’accessibilité, quelques mesures non contraignantes pour l’emploi et la création d’un cadre européen d’évaluation de la qualité des services d’accompagnement. L’ambition de la Commission était claire : faciliter la reconnaissance du handicap dans l’Union européenne et augmenter l’accessibilité du marché du travail pour les personnes en situation de handicap.

Le 10 octobre 2023, la Cour des comptes de l’Union européenne publie un rapport cinglant sur cette stratégie soulignant son manque d’impact sur les personnes. Une conclusion que la Cour explique par le manque de données récoltées par la Commission et une absence de financements associés. Pire, la Cour note que la Commission n’a pas pris en compte des incompatibilités possibles entre la législation européenne et la convention de l’ONU. Un constat alarmant alors que la quasi-intégralité des livrables de la stratégie 2021-2030 ont déjà été réalisés entre 2021 et 2024 et que l’action de l’UE sera évaluée par le Comité des droits des personnes en situation de handicap de l’ONU en Mars 2025.

La société civile du handicap a donc multiplié les pressions durant l’été 2024 pour obtenir l’annonce de nouvelles mesures de la part de la nouvelle Commission européenne. De l’envoi de lettres ouvertes du Forum Européen du handicap jusqu’à la publication d’indicateurs alarmants par Inclusion Europe, leur front commun a conduit la Commissaire Hadja Lahbib à annoncer en décembre 2024 une actualisation de la stratégie 2021-2030 pour courant 2025.

Des enjeux d’anti-validisme qui fracturent la société civile européenne

Mais derrière ce front commun uni, il y a des désaccords de fond entre les acteurs de cette société civile sur le contenu de cette stratégie et les enjeux associés. Deux thématiques cristallisent ainsi les tensions : les ateliers protégés et la désinstitutionalisation.

Les ateliers protégés, connus en France sous le nom d’ESAT (Établissements ou services d’aide par le travail), sont des structures d’emploi destinées aux personnes en situation de handicap. Les associations représentant les gestionnaires de telles structures, comme EASPD ( European Association of Service providers for Persons with Disabilities), défendent leur nécessité et plaident pour une transformation progressive de ce modèle, afin de ne pas encourir le risque de mettre au chômage des milliers de personnes en situation de handicap. D’autres associations d’auto-représentants, comme ENIL (European Network on Independent Living), poussent pour une sortie directe de ce modèle. Elles s’appuient notamment sur le Comité des Nations Unies qui considère les ateliers protégés comme une ségrégation dès lors que les usagers sont payés en dessous du salaire minimum et n’ont pas de contrat de travail similaire au milieu ordinaire. La position de la Commission, à travers des lignes directrices sur le sujet qu’elle doit prochainement publier mais surtout la nouvelle stratégie, est donc très attendue. Le risque à terme étant que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ne lui force la main avec une interprétation contraignante des observations du Comité de l’ONU.

À l’aune du nouveau Cadre Financier Pluriannuel 2028-2035, c’est surtout la question de la désinstitutionalisation qui brûle les lèvres de tous les acteurs du secteur. En effet, l’Union européenne est fréquemment accusée de financer avec ses fonds, notamment les fonds FSE+ et FEDER, des institutions ségrégantes pour les personnes en situation de handicap. Un récent scandale en Roumanie, où de telles institutions recevant des fonds européens ont été comparées par des inspecteurs à des “camps nazis” a relancé les débats autour des conditions d’attribution des financements. La désinstitutionalisation des fonds européens a été mise à l’ordre du jour du groupe d’experts de la Commission, nommée la Plateforme Handicap. Le problème ? Personne ne semble être bien d’accord sur la définition à adopter de ce terme et ce qu’il faut considérer comme ségrégant. Le GEE (Groupe d’experts européens sur la transition des soins en institution vers les soins de proximité) , le groupe d’experts dédié à cette question, composé des acteurs du secteur, n’a ainsi toujours pas adopté de définition de la désinstitutionnalisation alors que son site internet s’appelle…deinstitutionalisation.com.

Mais le manque d’avancées sur la question du handicap à l’échelle européenne ne peut être résumé aux différences de positions entre les acteurs du secteur. Ce dernier doit être aussi compris comme la résultante de blocages institutionnels et géopolitiques des Etats membres empêchant des réformes structurelles.

Des blocages plus géopolitiques qu’il n’y paraît

Ainsi, parmi les revendications les plus soutenues par la société civile figure l’adoption de la directive “égalité de Traitement”, visant à étendre le droit européen anti-discrimination, donc portant sur le handicap, au délà du marché du travail. Toutefois, cette directive se heurte depuis plus d’une décennie à un problème de taille : l’Allemagne, qui bloque les négociations à son sujet au sein du Conseil de l’Union européenne. La directive souffre en effet du mal emblématique affectant les textes portant sur le handicap à l’échelle européenne : des différends entre les Etats membres sur les compétences de l’Union européenne. La Chancellerie fédérale allemande s’oppose ainsi catégoriquement à l’étude de ce texte, qui contrevient selon elle au principe de subsidiarité. Ce principe laisse en effet la primauté d’une compétence politique aux Etats membres lorsque les échelons nationaux et régionaux sont plus appropriés pour l’application de cette compétence. L’avenir de la directive devient alors flou tandis que son enjeu porte maintenant sur la répartition des compétences entre les Etats membres et l’Union européenne.

Un conflit similaire oppose les institutions européennes au Danemark et à la Suède concernant la directive sur les salaires minimums qui fixe les conditions dans lesquelles les États membres fixent leurs salaires minimums respectifs. Une directive au combien importante pour les personnes en situation de handicap, puisque s’appliquant aussi aux salaires des travailleurs d’ateliers protégés en raison d’une jurisprudence européenne. En s’attaquant aux conditions de fixation des revenus, et non directement au montant des salaires qui sont une compétence des Etats membres, l’Union européenne pensait pouvoir contourner les traités européens pour faire un premier pas vers un salaire minimum européen. Mais une plainte du Danemark et de la Suède pour non-respect des compétences est en train de faire son chemin à la CJUE, notamment auprès de l’Avocat Général de la Cour qui a demandé l’annulation pure et simple de la directive.

Avec la montée des mouvements eurosceptiques en Allemagne, en Suède et au sein même du Parlement européen, l’application de directives et de la nouvelle stratégie pour les droits des personnes en situation de handicap s’annonce être de plus en plus compliquée pour l’Union européenne. Mais elle demeure une obligation légale et, surtout, une nécessité pour les 101 millions d’européens en situation de handicap.

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