La puissance et l’Europe (3/3) : l’ambition du Haut Représentant Josep Borrell

, par Florian Brunner

La puissance et l'Europe (3/3) : l'ambition du Haut Représentant Josep Borrell
Source : Flickr

Le 21 mars 2022, les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Union, réunis en session conjointe, au sein du Conseil de l’Union européenne, sous la présidence de Josep Borrell, approuvaient la Boussole Stratégique, un document qui, dans la continuité de la Stratégie Globale publiée en 2016 sous Federica Mogherini, définissait « des actions concrètes, assorties d’échéances précises pour mesurer les progrès accomplis », afin de renforcer la politique de sécurité et de défense de l’Union d’ici 2030.

L’endossement de la Boussole Stratégique, par le Conseil européen, des 24 et 25 mars 2022, confirmait les orientations définies et entraînait le lancement des travaux, durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui se déroulait de janvier à juin 2022.

Rouvrir le temple de Mars

Josep Borrell établissait que la Boussole Stratégique était un « document que les États membres ont construit et qui est maintenant adopté également par le Conseil. Tout au long du processus, les États membres ont joué en effet un rôle moteur. En l’approuvant, ils s’engagent à le mettre en œuvre. »

En octobre 1504, avec le petit ouvrage Decennale, Machiavel s’adressait directement aux citoyens de Florence et les invitait à rompre avec la faiblesse militaire, ainsi qu’à se réarmer, pour ne plus être la proie des conquérants : « Mais le chemin serait aisé et court/Si vous rouvriez le temple de Mars ».

Le mécanisme de conception, d’adoption et d’endossement de la Boussole Stratégique, mandatait les États membres à rouvrir le « temple de Mars », réfutant ainsi les conceptions du néoconservateur Robert Kagan qui prétendait dans Of Paradise and Power : America and Europe in the New World Order, que « sur les grands problèmes stratégiques et internationaux qui se posent aujourd’hui, les Américains sont des Martiens et les Européens des Vénusiens » et que « l’intégration européenne a, au bout du compte, contrecarré la puissance militaire européenne et, de fait, tout rôle mondial significatif pour le vieux continent. »

Une analyse des déficits d’investissement dans la défense

Les 10 et 11 mars 2022, la présidence française du Conseil de l’Union européenne, organisait un « Sommet de Versailles », une réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement, menée par le Président du Conseil européen, Charles Michel.

La déclaration de Versailles, adoptée par les Vingt-Sept, conduisait les États membres à investir davantage en matière de défense et invitait « la Commission, en coordination avec l’Agence européenne de défense, à présenter une analyse des déficits d’investissement dans la défense d’ici la mi-mai et à proposer toute initiative supplémentaire nécessaire pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. »

Le 18 mai 2022, Margrethe Vestager, Vice-présidente exécutive de la Commission européenne, Josep Borrell, Vice-président de la Commission, Haut Représentant et Chef de l’Agence européenne de défense (AED), ainsi que Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, présentaient une communication conjointe sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre.

La communication conjointe soulignait qu’entre 2009 et 2018, « les réductions effectuées par les États membres représentent un sous-investissement cumulé d’environ 160 milliards d’euros par rapport au niveau de dépenses de 2008. »

« Des années de coupes budgétaires et de sous-investissement doivent être récupérées »

La communication conjointe estimait encore qu’à « titre indicatif : si tous les États membres avaient consacré 2% de leur PIB à la défense avec 20% dédiés à l’investissement, entre 2006 et 2020, cela se serait traduit par environ 1 100 milliards d’euros supplémentaires pour la défense, dont environ 270 milliards d’euros pour les investissements. »

Josep Borrell avertissait en conférence de presse, que des « années de coupes budgétaires et de sous-investissement doivent être récupérées. Nous devons faire des économies d’échelle, nous devons réduire la fragmentation et les lacunes critiques que nous avons aujourd’hui dans nos forces armées. » Thierry Breton ajoutait : « Aujourd’hui en Europe, 60% des achats de défense ont été consacrés à des importations militaires non européennes, je dis bien 60%. Ça veut donc dire qu’effectivement, on a affaibli notre industrie ».

Une task-force sur les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense

Le Commissaire européen annonçait l’instauration « immédiate » d’une task-force sur les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense (AED, SEAE et Commission). Thierry Breton introduisait également la proposition d’un instrument destiné à renforcer l’industrie européenne de défense, EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act), doté d’une enveloppe financière potentielle de 500 millions d’euros sur deux ans, provenant du budget de l’Union, pour l’acquisition conjointe et urgente de capacités de défense identifiées par la task-force.

Le Commissaire au marché intérieur présentait un programme européen d’investissement dans le domaine de la défense (EDIP), avec notamment une exonération de TVA et un co-financement de l’Union européenne, pour les États membres qui décideraient d’acquérir des capacités de défense développées de manière collaborative au sein de l’Union. Ce dispositif d’exonération de TVA avait été avancé par la Commission européenne le 15 février 2022 et figurait comme objectif dans la Boussole Stratégique.

Thierry Breton proposait enfin d’avancer progressivement vers une programmation stratégique conjointe, en amont, pour renforcer la base industrielle, en soutenant par exemple l’accès aux matières premières critiques, ainsi que la montée en puissance de l’appareil industriel, tout en se dotant d’une « vision prospective » des grands projets. Dans ce contexte, le Commissaire estimait nécessaire que la Banque européenne d’investissement (BEI) puisse adapter sa politique, afin d’accompagner les industries de défense.

214 milliards d’euros de dépenses européennes de défense, en 2021

Selon l’examen annuel coordonné en matière de défense (EACD/CARD) de 2022, les dépenses de défense dans l’Union ont atteint 214 milliards d’euros en 2021 (soit une augmentation de 6 % par rapport à 2020) et devraient encore croître pour atteindre 70 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2025. Le Haut Représentant considérait, dans une analyse de ces résultats, qu’en 2023, « nous devrions atteindre le "point de rétablissement". C’est à cette date que nous aurons compensé des années de sous-utilisation ».

Le rapport annuel sur les données de défense pour 2020-2021 de l’AED, notifie qu’à « 214 milliards d’euros, les dépenses de défense totales correspondent à 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) des 26 États membres de l’AED, le même que celui enregistré en 2020. » Josep Borrell constatait que « nous sommes encore loin du critère de référence de l’OTAN (2 %). »

En 2021, les dépenses portant sur l’acquisition collaborative d’équipements de défense s’établissaient à 7,9 milliards d’euros, ce qui représentait 18 % du total des dépenses consacrées à l’acquisition d’équipements. Cette évolution traduisait une augmentation par rapport aux 11 % investis en 2020, mais demeurait sous la référence européenne de 35 %.

Assurer la résilience de la puissance hors limites

Le Haut Représentant prévenait que nous « avons besoin d’actes concrets, ce qui nécessite une impulsion politique de la part des dirigeants, à savoir les présidents et les premiers ministres de l’UE. Nous devrions non seulement dépenser plus en matière de défense, mais aussi dépenser mieux. Et cela signifie coopérer davantage. Pour continuer à soutenir l’Ukraine, répondre aux besoins qui sont les nôtres aujourd’hui, et commencer à se préparer pour l’avenir. »

Henry Kissinger notait dans Does America Need a Foreign Policy ? : Toward a Diplomacy for the 21st century, qu’en envisageant « la situation à long terme, la création d’une force militaire européenne va de pair, selon toute logique, avec l’émergence d’une identité politique européenne. »

En dévoilant la Boussole Stratégique, Josep Borrell annonçait son ambition : « Nous devons faire en sorte maintenant que le réveil géopolitique de l’UE se transforme en une posture stratégique plus permanente. Car nous devons faire beaucoup plus encore. » Le niveau d’exigence s’accroît et maintiendra les acteurs dans une contrainte de réactivité et de créativité constante, afin d’assurer la résilience de la puissance hors limites.

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