Empruntant à dessein une terminologie utilisée dans ce qui a trait à l’Union européenne (UE), on pourrait définir l’approche de Guterres comme une tentative de réformer l’Organisation « à traité constant ». Prenant acte de l’impossibilité, en cette période, d’initier un grand bargain sur la réforme des institutions intergouvernementales, – en raison d’une absence de consensus politique entre États membres, en particulier vis-à-vis de la mère de toutes les réformes, celle du Conseil de sécurité – le Secrétaire général a choisi une stratégie plus pragmatique, qui se contente de réordonner et de rendre plus efficace le système bureaucratique de l’ONU.
Il ne faut toutefois pas réduire une telle décision à une simple opération de maquillage. Les trois projets de réforme – développement, paix et sécurité, gestion de l’Organisation – s’appuient de manière cohérente sur une seule vision stratégique qui poursuit en substance deux objectifs complémentaires. D’une part, il s’agit d’augmenter les capacités opérationnelles et de gouvernance du Secrétariat, en promouvant la rationalisation et la concentration de fonctions importantes d’exécution et de contrôle. Aujourd’hui, ces fonctions sont dispersées entre les différents départements et agences des Nations unies. D’autre part, l’autre objectif est de renforcer la présence et l’efficacité des actions de l’organisation « sur le terrain », en restructurant et en renforçant le réseau des missions, des équipes, et des bureaux nationaux et régionaux des Nations unies. D’une manière générale, le but est de consolider le Secrétariat en lui octroyant davantage de pouvoirs exécutifs et de contrôle pour qu’il ait la capacité d’agir sur le terrain grâce à une nouvelle génération de bureaux nationaux et régionaux de façon plus rapide, transparente, et efficace.
La réforme du système de développement des Nations unies, dont le texte a été adopté par l’Assemblée générale à l’unanimité en mai 2018 (résolution 72/279), constitue le premier témoignage d’une telle vision qui peut se concrétiser de manière opérationnelle. La réforme a été initiée par le Secrétaire général dans deux rapports, publiés respectivement en juillet et en décembre 2017, et est le résultat de nombreuses consultations entre États membres, déroulées dans le cadre du Conseil économique et Social (ECOSOC).
Ce qui génère l’urgence qu’il y a à réformer le système de développement de l’Organisation, c’est, entre autres, la nécessité d’accélérer le processus d’activation des Objectifs de développement durable, programme d’action global de dix-sept points adoptés par l’ONU en 2015 et qui doit être mis en œuvre d’ici à 2030, dans le but de favoriser le développement humain, de promouvoir le bien-être, et de protéger l’environnement. Qui plus est, selon le rapport de mise à jour le plus récent, qui date de juin 2018, pour la première fois depuis une décennie, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté, passant de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016. Les principaux facteurs de cette insécurité alimentaire sont : le changement climatique, les conflits, l’augmentation des inégalités, et l’urbanisation rapide.
Des six chapitres de la réforme, il est possible de relever trois points fondamentaux.
Une nouvelle génération de « team nationale »
La réforme modifie le modèle institutionnel et opératif des team nationales des Nations unies, composées des représentants des différentes entités de l’ONU qui opèrent à un niveau local pour favoriser une riposte plus adaptée aux exigences spécifiques de chaque pays dans la mise en œuvre des Objectifs de développement durable. La présence de l’Organisation dans ce domaine restera définie par le « Cadre d’assistance au développement des Nations unies », un document spécifique qui contient, pour chaque pays, des objectifs stratégiques à atteindre à moyen terme, la vision collective et la réponse apportée par l’ONU aux priorités nationales, qui deviendra l’instrument de planification le plus important des Nations unies, au soutien d’agences de développement nationales.
Contrairement à ce qui a lieu à l’heure actuelle, de multiples acteurs (autorités locales et nationales, parlements, société civile, institutions régionales et internationales, universités, et entreprises) seront impliqués dans la conception, la mise en œuvre, et l’évaluation de cet instrument. En outre, le gouvernement hôte participera avec les représentants des Nations unies au choix de la composition des team nationales au début de chaque cycle de programmation.
Un système indépendant et renforcé par des « coordinateurs résidents »
Les team nationales des Nations unies continueront à être guidées par la figure du « coordinateur résident », le fonctionnaire des Nations unies le plus haut dans la hiérarchie qui opère au niveau des pays dans le secteur du développement. Ce rôle sera renforcé en 2019. Sa fonction sera séparée et indépendante de celle de représentant du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) ; il aura des capacités de décision accrues dans la gestion des team nationales, en particulier dans les situations d’urgence ou de crises humanitaires ; enfin, il rendra compte de son action directement au Secrétaire général, et non plus à des structures régionales intermédiaires, avec le résultat de rationaliser la chaîne bureaucratique de l’Organisation, souvent source de retard et de dysfonctionnements.
Un « pacte de financement » pour le développement
Le système de développement des Nations unies sera financé grâce à un « pacte » (funding compact) qui prévoit des engagements réciproques entre États et institutions de l’ONU. Les États garantissent un soutien financier plus régulier, durable, et responsable, au travers d’obligations pluriannuelles. Les organismes de l’ONU s’engagent en retour à présenter chaque année les résultats qu’ils auront obtenus à un niveau systémique ; adhérer à l’initiative pour la transparence des aides internationales ; faciliter l’accès aux données sur les financements ; offrir une visibilité accrue aux contributions des États membres ; faire appel à des évaluations indépendantes sur la qualité des résultats obtenus ; destiner à des activités communes au moins 15% des ressources non stratégiques de chaque agence de développement.
L’analyse de ces trois aspects montre comment la réforme du système de développement poursuit des solutions desquelles chaque partie sort gagnante : le Secrétaire général obtient le renforcement de ses fonctions exécutives et de contrôle ; les États donateurs (surtout les États-Unis et l’Union européenne) ont droit à un meilleur accès aux résultats, ainsi qu’à des garanties quant à la transparence et à la rationalisation de l’usage des ressources. Les États bénéficiaires à tendance souverainiste (entre autres, la Chine, la Russie, et certains États africains) obtiennent des responsabilités plus importantes lorsqu’il s’agit de définir des stratégies nationales de développement et dans la composition de team nationales.
Naturellement, le test pour vérifier le bien-fondé de la réforme sera la capacité accrue du système de développement des Nations unies à obtenir des résultats efficaces dans les domaines de la réduction des inégalités, la lutte contre la pauvreté, et la promotion d’objectifs de développement durable. Après tout, pour reprendre les mots d’Antonio Guterres, “reform is about putting in place the mechanisms to make a real difference in the lives of people” (« les réformes doivent mettre en place les mécanismes qui amélioreront sensiblement la vie des gens », ndlr).
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