La Roumanie face à l’Europe : entre désillusion et engagement

, par Alice Rossi, Le Courrier d’Europe

La Roumanie face à l'Europe : entre désillusion et engagement
Débat entre George Simion et Nicusor Dan le 8 mai 2025 ©Wikimedia Commons

Après six mois d’incertitude, la Roumanie vient de tourner une page politique sous haute tension. Entre interférences étrangères, percée de l’extrême droite et instabilité économique, le pays a élu un président centriste pro-européen, Nicușor Dan, porteur d’un message de renouveau. Cette victoire suffira-t-elle à stabiliser un pays profondément fracturé, tant sur le plan intérieur qu’européen ?

Entre crises politique et économique

La Roumanie vient d’élire son nouveau président, près de six mois après la date initialement prévue. En effet, les élections présidentielles devaient se tenir les 24 novembre et 8 décembre derniers mais elles avaient été annulées deux jours avant le second tour à cause d’interférences massives menées par le gouvernement russe, notamment en faveur de Călin Georgescu, un candidat d’extrême droite, qui avait remporté le premier tour. Entre-temps, les Roumains ont voté le 1er décembre 2024 lors des élections parlementaires et les résultats ont été sans appel : trois partis d’extrême droite, jusque-là minoritaires dans la vie politique roumaine, seront désormais représentés au Parlement. Bien que le Parti social-démocrate (PSD) soit arrivé en tête des bulletins avec 22,3% des voix, l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) est arrivée deuxième avec 18,3%, un score inédit pour ce parti ultra-nationaliste. Marcel Ciolacu, président du PSD et Premier ministre à l’époque, avait qualifié ce résultat « [d’]avertissement à l’ensemble de la classe politique » de la part des Roumains.

En plus des tensions politiques qui divisent le pays, la Roumanie traverse une crise financière. Avec un déficit public qui atteint presque 10% du PIB, elle est devenue le pays de l’UE affichant la plus forte inflation, juste devant la Hongrie qu’elle a dépassée en mars. Les incertitudes politiques ont d’ailleurs contribué à perpétuer le phénomène en effrayant de potentiels investisseurs internationaux.

La Roumanie choisit l’Europe

C’est donc dans ce contexte que 65% des Roumains se sont rendus aux urnes ces dimanches 4 et 18 mai pour élire un nouveau président, un taux de participation record depuis 25 ans. Călin Georgescu ayant été interdit de se présenter à nouveau, l’extrême droite, grande gagnante du premier tour une fois de plus, était représentée par George Simion. Ce score inquiétant avait provoqué la démission du Premier ministre et la chute de la coalition entre le PSD et le Parti national libéral (PNL).

Mais le 18 mai, c’est Nicuşor Dan, maire centriste de Bucarest et candidat indépendant pro-européen, qui l’emporte avec 53,6% des voix. Dans un discours prononcé juste après l’annonce des résultats, le nouveau président a déclaré que ce résultat était « une victoire pour des milliers de personnes qui croient en la Roumanie et en son avancée dans la bonne direction ». Alors que Simion annonçait dans sa campagne vouloir cesser tout soutien envers l’Ukraine, Dan avait mené une campagne « pro-western », s’engageant à renforcer les relations devenues fragiles entre la Roumanie, l’UE et l’OTAN. Sa campagne s’est notamment concentrée sur la lutte contre la corruption et le maintien d’une position ukrainienne dans les conflits actuels.

Un jeu d’alliances sous tension

Le plus gros défi du président entrant va être de former un gouvernement stable, qui saura faire face aux difficultés économiques que traverse le pays. En retirant son parti de la coalition, Marcel Ciolacu, ancien Premier ministre, a davantage compliqué la situation, d’autant que l’on ignore encore quelle position adoptera le PSD. Il semblerait qu’en vue des décisions difficiles qui vont être prises afin de redresser la situation financière du pays, les sociaux-démocrates préfèrent préserver leur popularité et rester en retrait du gouvernement à venir.

À défaut de pouvoir compter sur le parti arrivé en tête des élections parlementaires, Dan aurait évoqué comme choix de Premier ministre Ilie Bolojan (PNL), actuel président par intérim, ainsi qu’une coalition avec l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR). Une alliance avec l’AUR a évidemment été exclue, bien que ce parti, qui s’est fait connaître initialement en 2020 comme groupe Antivax, ait beaucoup gagné en popularité cette année.

Le paradoxe européen en Roumanie

Cette montée de l’extrême droite en Roumanie est souvent attribuée aux frustrations croissantes vis-à-vis de l’Union européenne. En effet, le pays, qui a rejoint les rangs européens en 2007, vient tout juste d’être intégré à la zone Schengen, 13 ans après l’ouverture des négociations. Cette intégration retardée a provoqué une amertume qui expliquerait aujourd’hui la montée de partis ultra-nationalistes comme l’AUR. Kamil Calus, chercheur au Center for Eastern Studies (Centre d’études orientales) en Pologne, explique que « l’état d’esprit général en Roumanie actuellement n’est pas “ enfin ” mais plutôt “ il était temps ". Il y a également un sentiment d’amertume par rapport au fait que la Roumanie devienne membre à un moment où la zone Schengen traverse une période difficile avec certains pays qui rétablissent les contrôles aux frontières ».

Du côté européen, la victoire de Nicuşor Dan est une aubaine. Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission, et António Costa, Président du Conseil européen, ont tous les deux exprimé leur satisfaction quant aux résultats des élections. Selon eux, ce résultat n’est pas seulement une victoire pour la Roumanie mais pour le projet européen en général. Certains pays européens comme la Slovaquie ou la Hongrie de Viktor Orbán voyaient en Simion un allié dans leurs positions pro-russes et comptaient sur une victoire de l’AUR pour faire davantage entendre leur voix.

Les élections de mai 2025 ont donc été perçues comme un test pour l’avenir de la Roumanie au sein de l’Union. Depuis son entrée dans l’UE en 2007, le pays a été sujet à de nombreuses critiques sur certains sujets comme l’État de droit ou la corruption, poussant la Commission à le surveiller de près, notamment dans le cadre du Mécanisme de coopération et de vérification (MCV) et les déceptions et frustrations quant à son intégration perçue comme trop lente par certains ont fragilisé les relations entre les deux. Mais la Roumanie joue un rôle stratégique en Europe de l’Est, surtout en raison de sa position géographique et de ses engagements au sein de l’OTAN et de l’Union européenne. Elle partage une frontière avec l’Ukraine et dispose d’une base militaire importante à Constanța, utilisée par l’OTAN. C’est pourquoi la victoire de Nicușor Dan, dont la campagne était centrée autour de l’importance d’une relation forte entre la Roumanie, l’UE et l’OTAN, apporte un souffle d’espoir dans une Europe toujours plus fragmentée.

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