La santé mentale en Europe : d’une « pandémie silencieuse » à une priorité urgente

, par Louise Orvain

La santé mentale en Europe : d'une « pandémie silencieuse » à une priorité urgente
Margarítis Schinás, vice-président de la Commission, présentant la stratégie européenne en matière de santé mentale ©European Union-2024

Chaque année, le 10 octobre, le monde entier se mobilise pour sensibiliser aux enjeux cruciaux de la santé mentale. Cette journée commémorative vise à mettre en lumière l’importance du bien-être psychologique dans nos sociétés modernes.

En 2018, les Nations Unies, à travers le Conseil des droits de l’homme (résolution 36/13), ont officiellement reconnu l’ampleur des violations des droits humains dans le domaine de la santé mentale. La résolution souligne que les personnes souffrant de troubles mentaux sont victimes de formes généralisées de préjugés, de discrimination, ou encore de stigmatisation.

Cette prise de conscience internationale reflète une réalité particulièrement préoccupante en Europe, où l’ampleur du phénomène et l’insuffisance des réponses apportées appellent à une action urgente.

Le poids croissant des enjeux de santé mentale

Face à cette nécessité, la santé mentale s’affirme comme une préoccupation majeure pour l’Union européenne, confrontée à des défis de plus en plus pressants. Bien que la pandémie de Covid-19 ait mis en lumière ce sujet, les enjeux liés à la santé mentale demeurent, en réalité, bien antérieurs.

Dès 2018, l’eurodéputée Dolors Montserrat qualifiait la crise de la santé mentale en Europe de « pandémie silencieuse ». Cette même année, 84 millions d’Européens, soit environ 16% de la population étaient touchés par des problèmes de santé mentale. La situation s’est depuis, considérablement aggravée.

La crise sanitaire a eu un impact significatif sur la santé mentale. Des études de la DREES menées entre 2020 et 2021 ont révélé une hausse marquée des troubles dépressifs en France. Plus récemment, la commissaire européenne à la santé, Stella Kyriakides, a souligné lors de la Journée mondiale de la santé mentale le 10 octobre 2023 que près de 50 % des Européens ont connu des problèmes de santé mentale, souvent sans accès à des soins adéquats.

Une autre figure importante dans ce domaine, Mónica García Gómez, ministre espagnole de la Santé, a déclaré en 2023 : « La pandémie de Covid-19, les conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine ou la crise climatique ne sont que quelques exemples des chocs qui ont exacerbé une situation déjà précaire en matière de santé mentale. Améliorer la santé mentale est un impératif social et économique ».

Le rapport annuel Health of the Nation du RACGP (Royal Australian College of General Practitioners), publié début octobre, confirme cette tendance inquiétante. Il indique que 71 % des médecins généralistes considèrent la santé mentale comme l’une des principales raisons de consultation, une augmentation notable par rapport aux 61 % enregistrés en 2017. Cette prise de conscience collective souligne la nécessité d’une action européenne commune et urgente pour faire face à cette « pandémie silencieuse » qui continue d’affecter des millions de citoyens.

Les freins au développement des soins

Les défis liés à la santé mentale en Europe posent néanmoins de nombreux obstacles. Le rapport « Panorama de la santé » de l’OCDE estime à 600 milliards d’euros le coût des troubles mentaux pour l’UE et le Royaume-Uni, en raison notamment des dépenses de soins.

La situation varie fortement entre les États membres de l’UE, révélant de profondes disparités. En Roumanie, les dépenses de santé par habitant sont les plus faibles de l’UE, et le nombre de spécialistes reste en dessous de la moyenne européenne. Les coûts économiques des troubles mentaux sont passés de 2,1 % du PIB (3,4 milliards d’euros) en 2015 à 10,1 milliards d’euros en 2022. Bien que le taux de prévalence y soit officiellement bas, ces chiffres pourraient être sous-estimés en raison du sous-diagnostic et de la stigmatisation.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) souligne que la santé mentale reste « l’un des aspects les plus sous-estimés de la santé publique », ne recevant qu’une fraction des ressources et de l’attention nécessaires. En France, où le Premier ministre Michel Barnier a promis d’en faire une « grande cause nationale » d’ici 2025, le système public peine toujours à répondre aux besoins, et le manque de psychiatres dans certaines régions accentue les inégalités d’accès aux soins.

La stigmatisation et le sous-diagnostic constituent un autre obstacle majeur dans plusieurs pays européens, marquant souvent l’ampleur des troubles mentaux. Charlene Sunkel, fondatrice du Global Mental Health Peer Network, rappelle que les personnes atteintes de schizophrénie, perçues comme dangereuses ou incapables de travailler, subissent marginalisation et isolement. Sir Graham Thornicroft, psychiatre, montre, quant à lui, que la stigmatisation peut conduire à la négligence des soins physiques des patients atteints de dépression, ce qui entraîne de graves conséquences .

Face à ces défis, une réponse globale et coordonnée de l’Union européenne est essentielle, impliquant un financement accru, des efforts contre la stigmatisation, et des actions pour garantir un meilleur accès aux soins et réduire les disparités.

Vers une Europe plus engagée

Sensible aux besoins des citoyens, la Commission européenne a publié le 7 juin 2023 une communication présentant des mesures concrètes pour la santé mentale. Cette initiative, dotée d’un budget de 1,2 milliard d’euros, comprend notamment la prévention de la dépression et le soutien aux jeunes. En décembre 2023, un [rapport de la commission Santé du Parlement européen https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0367_FR.html], dirigé par l’eurodéputée Sara Cerdas, a renforcé l’initiative en mettant l’accent sur la prévention, le dépistage précoce, la lutte contre la stigmatisation et l’accès élargi aux soins, avec un financement ciblé prenant en compte les impacts de la pandémie sur les jeunes.

À l’approche de la Journée mondiale de la santé mentale en 2024, la commissaire européenne Stella Kyriakides a souligné l’urgence de lutter contre la stigmatisation persistante, accompagnant ce message de la campagne « In this Together » pour sensibiliser à la discrimination liée à la santé mentale et promouvoir l’accès universel aux soins, sans distinction d’origine ou de statut socio-économique.

La même année, la Commission européenne a lancé un plan d’action ambitieux, doté de 1,23 milliard d’euros, avec vingt initiatives couvrant divers aspects de la santé mentale, incluant un Code européen de la santé mentale et un écosystème de recherche sur le cerveau. Ce plan est structuré autour de la prévention (notamment de la dépression et du suicide), de l’amélioration de l’accès aux soins, de la lutte contre la stigmatisation et de la santé mentale au travail. Un soutien spécifique est prévu pour les groupes vulnérables, notamment les personnes touchées par la guerre en Ukraine et les survivants du cancer.

En adoptant cette approche globale, l’UE marque un tournant majeur dans ses politiques de santé, intégrant pour la première fois la santé mentale comme priorité au même niveau que la santé physique.

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