Numéro 1 en Allemagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Argentine, au Vietnam, aux Philippines et surtout aux États-Unis. La série “Lupin”, quasiment incontournable en France, est un carton mondial. Elle aurait été regardée par 70 millions d’utilisateurs rien que sur son premier mois de disponibilité sur Netflix. Qualifié de “succès phénoménal”, la production de Gaumont conduit même certains spécialistes à s’interroger sur le domaine d’une fiction télévisuelle plus habituée aux succès venus du pays d’Hollywood : les cartes sont-elles en passe d’être rebattues ?
D’après le journaliste Benjamin Pierret, le “triomphe de Lupin sur Netflix, après celui de La Casa de Papel, illustre la fin de la toute-puissance américaine sur la production télévisée”. Il faut reconnaître que la réussite actuelle de la série portée sur le gentleman cambrioleur est finalement l’illustration d’un phénomène plus profond. En Europe, la production de telles saisons télévisuelles a gagné en importance. Certains pays comme le Danemark se posent comme des spécialistes en la matière.
La nouvelle influence française
Surtout, face à l’émergence de nouvelles plateformes et après une année très complexe pour le monde du cinéma mais propice à des visionnages en hausse de séries depuis chez soi, le paysage télévisuel se recompose. Et à ce petit jeu-là, la toute puissance des États-Unis doit faire face à une concurrence renouvelée. “Il y a un vrai rééquilibrage", et "ça va s’accélérer", assure Pascal Breton, fondateur et président de la société de production Federation Entertainment. Plusieurs pays de l’Union européenne ont sorti des séries qui ont récemment connu le succès à l’international, et cela ne semble pas prêt de s’arrêter, notamment en ce qui concerne le pays des (frères) Lumière.
Auréolée de son récent coup d’éclat, la France n’en était en effet pas à son coup d’essai. “Il est loin le temps où les séries américaines faisaient la loi sur le petit écran. Depuis plusieurs années, les fictions françaises cartonnent de plus en plus”, écrivait ainsi Clément Rodriguez en février 2020. « Engrenages », « Les Revenants », « Un village français », « Braquo »…De très nombreux programmes sont en effet appréciés un peu partout sur la planète. Véronique Trouillet s’est penchée sur cette frénésie de succès bleu-blanc-rouge pour Le Parisien. “Les plateformes de vidéos comme Netflix et Amazon représentent une émulation” pour les producteurs, relate la journaliste.
Engrenages, diffusé dans plus d’une centaine de pays différents, a été l’une des productions à l’origine d’un remodelage du domaine en France. L’écriture, le scénario, le travail sur la lumière ont été repensés depuis l’arrivée de cette série au succès retentissant. Le Bureau des Légendes s’est retrouvé en décembre 2019 à la troisième place d’une liste des 30 meilleures séries étrangères des années 2010 publiée par le New York Times. Et en ce qui concerne Dix pour cent, sortie au Royaume-Uni sous le nom Call My Agent, Rebecca Nicholson de The Guardian ne tarit pas non plus d’éloge : “adieu to a fabulous French concoction”, écrit-elle ainsi en titre de sa chronique affichant cinq étoiles sur cinq. “French” est bien l’adjectif qui s’appose sur une série dont le casting fait la part belle à des grands noms du cinéma et de la comédie français comme Jean Dujardin, Christophe Lambert, Juliette Binoche, Charlotte Gainsbourg, Sandrine Kiberlain, Jean Reno...
Et le “soft power” français marche à plein régime. “Les séries françaises séduisent quand elles sont créées avec tout ce qui fait notre culture, notamment notre langue, et quand elles s’attaquent à des sujets et des univers français”. Dans quel cadre démarre Lupin ? Le musée du Louvre. Et pourquoi la série “Emily in Paris”, bien américaine, a-t-elle tant fait parler en 2020 ? Pour sa litanie de clichés sur la capitale à la Tour Eiffel. Le modèle français fait toujours rêver. En épisodes de 50 minutes au moins.
Ce gain en termes d’influence ressurgit sur l’ensemble de l’Union européenne aujourd’hui. La qualité des programmes réalisés par plusieurs États membres est de plus en plus reconnue. Un coup d’œil aux Emmy Awards suffit à s’en apercevoir. Cette récompense de la télévision américaine distingue notamment la catégorie de la meilleure série internationale produite originellement hors des États-Unis. Et depuis 2002, la liste des distingués affiche huit programmes britanniques mais aussi quatre danois, tandis que ces cinq dernières années, une série espagnole, une allemande et une norvégienne ont aussi obtenu les faveurs d’un jury issu de plus de 40 pays. La France a trois lauréats, tous produits par Canal+. Un bilan qui pourrait encore grandir dans un avenir proche.
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