Dans le cadre de notre série spéciale sur « la liberté de la presse en Europe en 2020 », il nous semble important de couvrir l’ensemble des régions d’Europe et le maximum de pays possibles. Toutefois, il est nécessaire, dans certains cas, de dépasser ce choix d’analyse national et de se concentrer sur les dynamiques régionales.
Parmi les régions européennes, la Catalogne fait régulièrement la une des médias internationaux pour sa volonté de s’émanciper politiquement de l’Espagne, s’attirant depuis plusieurs années l’ire de Madrid.
Lors de situations politiques tendues déchaînant les passions populaires contradictoires, les journalistes et les médias sont souvent pris en étau. Durant des rassemblements, ils peuvent être victimes d’exactions, d’intimidation, de (cyber)harcèlements, voire de violences physiques. La Catalogne n’a pas fait exception, loin de là, et de très nombreuses atteintes ont été commises aussi bien par les indépendantistes catalans que par le gouvernement espagnol. Les conditions d’un débat public apaisé ne semblent donc pas réunies, ce qui risque d’avoir des conséquences néfastes sur la poursuite du dialogue entre Barcelone et Madrid, voulu par le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez.
Antagonismes profonds
Pour comprendre ces tensions, il est utile de se replonger dans l’histoire de l’indépendantisme catalan. Celui-ci marque la vie politique espagnole depuis plusieurs années, puisque le premier mouvement politique et philosophique en faveur de l’indépendance de la région, l’Estat Català, a été fondé en 1922. L’indépendantisme catalan a également connu des formes plus violentes, comme la formation extrémiste Terra Lliure, fondées dès le retour de la démocratie en 1978 et auto-dissoute en 1991. L’indépendance de la Catalogne a été proclamée plusieurs fois depuis la formation du Royaume d’Espagne au XVème siècle, la dernière étant la déclaration symbolique d’octobre 2017, prononcée par Carles Puigdemont, président destitué de la Catalogne et actuel député européen.
Rarement un conflit politique en Europe n’a suscité autant d’antagonismes au sein d’une société. Preuve en sont les manifestations massives qui marquent la Catalogne depuis 2005, et plus particulièrement depuis le début des années 2010. En 2014, un premier référendum sur l’indépendance de la Generalitat, non reconnu par Madrid, avait été organisé. Plus de 80% des participants à ce scrutin s’était prononcé pour l’indépendance.
Violences des militants pro-indépendance
Le référendum tenu le 1er octobre 2017, déclaré illégal par la justice espagnole, a été marqué par des actes de violence et de nombreuses irrégularités. Ces débordements ne se sont pas limités au jour du scrutin. Toute la campagne électorale autour du scrutin et les manifestations qui ont suivi ont été particulièrement éprouvantes pour les différents médias et les journalistes catalans, espagnols ou étrangers, victimes notamment d’insultes de la part de militants indépendantistes.
Une situation dénoncée par Reporters sans frontières (RSF) dans un rapport fouillé de 24 pages paru fin 2017. L’ONG pointe notamment la guerre de l’information entre les différents camps. Une bataille de l’opinion qui a largement dépassé les frontières de la Catalogne et de l’Espagne, puisque chacun (surtout les indépendantistes) comptait sur le soutien de l’Europe et du monde entier pour faire pression sur le camp adverse (comme en témoigne l’hashtag #ElMonEnsMira (« #LeMondeNousRegarde ») utilisé par la twittosphère catalane).
Qui dit guerre de l’information, dit pressions multiples sur les médias et les journalistes. RSF s’est alarmé en particulier du cyberharcèlement de la part des hiperventilats, ces militants indépendantistes regroupés dans des cellules de riposte très organisées. Même si des groupuscules d’extrême-droite espagnole harcelaient des journalistes de tendance pro-indépendance, les hiperventilats se sont révélés les plus actifs.
La véhémence des militants ne doit toutefois pas cacher le rôle des responsables politiques catalans. Le gouvernement de Carles Puigdemont, pourtant ancien journaliste et membre du Collège des journalistes de Catalogne (el Col), a effectivement joué un rôle actif dans la manipulation de l’opinion publique, n’hésitant pas à s’immiscer dans le travail des journalistes, afin d’imposer sa rhétorique en faveur de l’indépendance. Plusieurs correspondants étrangers à Barcelone ont ainsi relaté à RSF l’existence de « recommandations de lectures » émises par le service de la communication de la Generalitat dirigé à l’époque par legi de Periodistes de CatalunyaJoan Maria Piqué Fernández, un signe flagrant d’ingérence du politique dans le travail des journalistes.
Si 2017 a été une année très difficile, un fort regain de tension fin 2019 a provoqué de nouvelles violences contre les médias. En effet, lors des manifestations du 1er octobre 2019 pour fêter les deux ans du référendum, une journaliste a été prise violemment à partie par les manifestants pro-indépendance. La vidéo avait alors choqué l’Europe entière. Le 14 octobre suivant, la Cour suprême espagnole a confirmé la condamnation de neuf leaders indépendantistes à de lourdes peines de prison pour « sédition ». Cette annonce a provoqué de violentes manifestations et l’agression de nombreux journalistes, abondamment relayées par les médias internationaux. Selon la plateforme pour la censure de l’observatoire catalan des médias Mèdia.cat, le nombre d’atteintes contre les journalistes a ainsi battu un record l’année dernière, avec 201 cas répertoriés, dépassant le précédent « record » de 2017 (196 cas).
Ripostes des autorités espagnoles
Bien sûr, les autorités espagnoles ne sont pas exemptes de critiques. La loi organique de protection de la sécurité publique, dite « loi bâillon » (ley morzada), votée dès 2015, était une tentative de contrer le mouvement indépendantiste après le premier référendum de 2014. L’International Press Institute avait à l’époque condamné cette loi qui restreint la liberté d’expression dans l’espace public et sur les réseaux sociaux, et encadre strictement les manifestations.
Dans son rapport sur la Catalogne de 2017, RSF dénonçait la tentative des autorités espagnoles de s’immiscer dans le travail des médias catalans : « le 15 septembre [2017], plusieurs médias catalans - en majorité numériques - ont reçu la visite d’agents de la Guardia Civil qui ont remis à leurs directeurs respectifs une notification émanant du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne, en vue de les informer que leur responsabilité pénale serait engagée dans le cas où ils diffuseraient une quelconque publicité ou propagande liées au référendum du 1er octobre, suspendu par le Tribunal Constitutionnel ». Parallèlement, les médias nationaux espagnols (surtout la télévision et la radio publiques) ont été accusés de partialité ou de couverture délibérément bâclée du référendum.
Toujours selon Reporters sans frontières, les manifestants et les journalistes ont été la cible de violences policières, en 2017 comme en 2019. Selon les informations de Mèdia.cat, reprises par le journal catalan francophone l’Indépendant, 65 journalistes ont été agressés dans l’exercice de leur fonction lors de la semaine de manifestations suivant la décision de la Cour suprême espagnole. Plus de 70% de ces agressions seraient le fait de la police catalane (Mosos d’Esquerda) et espagnole (Policia Nacional). Dans un article en catalan et en anglais, El Nacional insistait sur l’augmentation des violences policières, en comptabilisant 58 agressions en l’espace de cinq jours, même si certaines ne sont pas clairement identifiées. Pour la seule région de Barcelone, El Periódico de Catalunya a dénombré quant à lui 38 journalistes blessés lors des manifestations, là encore majoritairement par la police.
Ce climat de violence n’a pas échappé aux Nations unies. En janvier 2020, pendant la présentation du rapport sur la situation des droits de l’Homme en Espagne, une quinzaine de pays ont appelé Madrid à respecter la liberté de la presse, notamment en Catalogne. Un rapport salué par le Conseiller catalan à l’Action extérieure, Alfred Bosch, et par le gouvernement de Quim Torra, successeur de Puigdemont.
L’UE fait l’autruche
De nombreux leaders indépendantistes catalans, en particulier Carles Puigdemont, avait tenté d’attirer l’attention de l’Union européenne sur les pressions exercées par Madrid et la suspension de l’autonomie catalane. Dans une conférence de presse organisée à Bruxelles fin octobre 2017, Puigdemont avait notamment exhorté la communauté internationale et l’UE à « réagir ». Depuis lors, force est de constater que les indépendantistes catalans sont bien isolés sur la scène internationale. La Commission européenne considère en effet que le « problème catalan » relève des affaires intérieures de l’Espagne et s’accroche à une ligne non-interventionniste. En septembre 2017, Jean-Claude Juncker avait pourtant dit dans une interview à La Vanguardia qu’il respecterait les résultats d’un référendum « légal » reconnu par Madrid.
En revanche, l’UE ne peut pas ignorer le bafouement de la liberté de la presse en Catalogne de ces dernières années. Bruxelles est pourtant largement restée silencieuse face aux violences à l’encontre des journalistes, que ce soit durant le référendum de 2017 que lors des manifestations d’octobre 2019. La Commission dirigée par Ursula von der Leyen s’est toutefois engagée à faire de la liberté de la presse une de ses priorités.
1. Le 10 juin 2020 à 14:17, par Manel Fantassin En réponse à : La situation irrespirable de la liberté de la presse en Catalogne indépendantiste
Vous vous trompez, le royaume d’Espagne n’a pas été créé au XVe siècle mais au XVIIIe siècle. Au XVe siècle, « LES ROYAUMES de la péninsule ibérique ou Espagne » se sont alliés par mariage mais sont restés indépendants. Seule la conquête militaire de la couronne d’Aragon par la couronne de Castille aux mains des Bourbons a fait disparaître frontières et les douanes.
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