LT : Comment est née l’envie de raconter ce scandale dans un film et pourquoi avoir choisi d’adopter le point de vue du journaliste sportif Catalin Tolontan ?
AN : Nous avions envie de raconter cette histoire pour comprendre la manière dont fonctionne le pouvoir et comment il est possible que dans nos démocraties, les autorités en abusent. Cependant, nous n’avions pas un accès suffisant au pouvoir pour s’en faire une image concrète et comprendre la raison de la corruption. C’est ce qui nous a décidé à suivre des journalistes d’investigation lors de leur enquête sur le pouvoir.
LT : Quel accueil le film a-t-il reçu en Roumanie ?
AN : Le film a été très bien reçu en Roumanie. Nous avons eu un nombre d’entrées record lors des deux semaines de projections, avant que les cinémas ne ferment complètement à cause du Covid-19. L’Affaire Collective a également été diffusé sur HBO GO et il a été le film le plus regardé de la plateforme en Roumanie en 2020. Des centaines de milliers de personnes l’ont vu.
Le film a soulevé de nombreux débats et le nombre de lanceurs d’alertes a explosé. C’est peut être la meilleure chose que le film ait pu provoquer. Avant que le film soit lancé, la salle de presse du film recevait environ dix témoignages valides de lanceurs d’alerte par jour. C’est allé jusqu’à 80 voire 120 témoignages par jour.
LT : Le 15 janvier dernier vous avez refusé la médaille du mérite culturel que voulait vous remettre le gouvernement, pouvez-vous nous raconter le motif de ce refus ?
AN : J’ai refusé la médaille pour son poids politique et parce que le gouvernement a abandonné le secteur culturel durant la pandémie. Il n’y a pas eu une seule aide financière pour le secteur culturel indépendant, et la Roumanie est peut-être le seul pays européen qui n’ait pas mis en place de fonds pour le cinéma durant cette dernière année et demie.
LT : La presse n’est pas en très bonne santé en Roumanie. D’après Reporters sans frontières, les financements opaques des médias, la désinformation, les pressions judiciaires, et la vision qu’a le gouvernement de la presse poussent à la censure ou à l’auto-censure. Quel est le message de L’Affaire Collective de ce point de vue-là ?
AN : Le film montre que la démocratie ne peut pas fonctionner sans une presse libre et sans des citoyens courageux, qui se battent pour la vérité. La démocratie a besoin d’un contre-pouvoir, la presse, pour donner à voir une autre version de la réalité, différente de celle diffusée par le pouvoir en place.
LT : Y a-t-il une volonté “pédagogique” de montrer au public l’importance d’une presse de qualité ?
AN : Ce film est un moyen de sensibiliser les spectateurs sur la manière dont ils reçoivent l’information. Il doit amener les spectateurs à adopter une réflexion critique sur l’information qui est propagée par les personnes au pouvoir.
LT : Depuis la sortie du film avez-vous constaté un changement dans le monde des médias roumains ?
AN : Je pense que beaucoup de choses ont changé en Roumanie depuis le lancement du film. Le public a pu voir ce qu’était une investigation, et cela a accru leur confiance dans les journalistes. La presse elle-même est devenue plus professionnelle. Auparavant, le problème principal était qu’il n’y avait pas de presse spécialisée sur la santé. Les journalistes n’avaient pas conscience qu’on les manipulait.
LT : Pourquoi Collective devrait être récompensé par le prix LUX ? Pourquoi est-ce important que les citoyens européens le voient ?
AN : Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour dire pourquoi ce film devrait gagner ! En lançant ce film, nous avons constaté que ce n’était pas qu’une histoire roumaine que nous présentions. Ça allait au-delà de cela. Des citoyens à travers le monde, souvent de pays démocratiques, se sont sentis concernés par ce film et par le problème qu’il décrit. Ces citoyens ne font plus confiance à leurs gouvernements, ils ont perdu la certitude que ceux qui dirigent leur pays, bien qu’élus de manière démocratique, gouvernent véritablement selon l’intérêt des citoyens.
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