Une utopie réalisée : un symbole de l’unification européenne
L’espace Schengen est un espace de libre circulation, notamment de personnes. Ce principe, posé par l’article III du Traité sur l’Union européenne, implique que tout individu (ressortissant d’un pays de l’UE ou d’un pays tiers), une fois entré sur les territoires de l’un des pays membres, peut franchir les frontières des autres pays, sans subir de contrôle (vie-publique.com).
Un espace se renfermant de l’intérieur comme de l’extérieur
Cet espace datant de 1995 n’avait jamais été remis en cause. Il connaîtra sa première grande crise majeure à partir de 2015, en raison des crises migratoires touchant le vieux continent. Les nombreux gouvernements de droite de cette époque se sont alertés suite à l’accès aisé des migrants issus de la Méditerranée dans les pays européens, à l’image de Nicolas Sarkozy ou de Silvio Berlusconi (ancien Premier ministre italien) qui a affirmé qu’il « s’agit d’améliorer Schengen, de le rendre plus adapté aux exigences des citoyens ».
Les crises migratoires ont permis à certains États membres de justifier le rétablissement des contrôles aux frontières intérieurs, notamment pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique. Les pays sont les suivants : Hongrie, Slovénie, Autriche, Allemagne, Danemark, Norvège, Suède, Pologne et la France. Les États membres ont été les premiers à avoir rétabli les contrôles, obligeant implicitement les institutions européennes à réagir.
L’incapacité des institutions européennes à réagir convenablement
On peut d’ores et déjà observer que les institutions européennes souhaitent renforcer la gestion des frontières extérieures pour des raisons notamment d’instrumentalisation des migrants à des fins politiques, ne remettant pas en cause l’article III du Traité sur l’Union européenne. Ce phénomène d’instrumentalisation des pays tiers encourage ou facilite le déplacement de ressortissants de pays tiers vers les frontières extérieures de l’UE afin de déstabiliser les États membres.
La grande complication réside dans le contrôle des frontières intérieures des Etats membres qui, elle, est un grand danger pouvant remettre en cause cet espace de libre circulation. En effet, le droit de l’Union européenne a fixé des règles claires concernant les contrôles des frontières intérieurs ; et pourtant, certains Etats les ont enfreint, se retrouvant dans une position illégale au regard du droit de l’Union européenne. Néanmoins, le Conseil d’Etat français valide, dans des arrêts du 21 novembre 2017 et du 16 octobre 2019, les contrôles au sein des frontières de la République française. Et pourtant, aucune condamnation n’a été prononcée à l’encontre de l’État français. Mais, la Cour de Justice de l’Union européenne s’est enfin réveillée dans un arrêt du 26 avril 2023, condamnant l’Autriche en affirmant que les contrôles au sein des frontières intérieures de plus de six mois sont illégales. Malheureusement, ne pouvant pas appliquer des mesures contraignantes, les États membres continuent à faire ce qu’ils souhaitent sans se soucier du droit de l’UE, malgré la condamnation de l’Autriche.
L’Union européenne est-elle dans l’optique de défendre l’Espace Schengen ?
L’Union européenne fixe des règles strictes concernant le contrôle des frontières intérieures. Elles peuvent être mises en place immédiatement en informant les Etats membres et les institutions européennes. Pour les menaces prévisibles, la durée est de six mois maximum avec des périodes renouvelables de six mois maximum dans une durée de deux ans. Le Conseil Européen et la Cour de Justice de l’Union Européenne sont dans une volonté de mettre en place des mesures alternatives permettant de garantir l’espace de libre-circulation, notamment comme une politique commune avec un contrôle plus pertinent sur les frontières extérieures.
Un communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne (actuellement sous la présidence Belge) datant de février 2024 présente un accord provisoire entre le Conseil de l’Union européenne et les négociateurs du Parlement européen. Cet accord n’a pas encore été adopté mais il modifierait le droit de l’UE qui fixe les règles du fonctionnement de l’espace Schengen. On peut donc souligner un manque de cohérence entre les institutions représentées par les Etats membres et le Conseil européen et la Cour de Justice de l’Union européenne. Mais il faut pointer notre attention sur l’essentiel : ce manque de cohérence permet aux Etats membres de pouvoir appliquer la politique migratoire qu’ils souhaitent, pouvant être jugés légitimement comme immorale.
Un contrôle arbitraire au détriment des citoyens eux-mêmes
Le Pape François n’a pas attendu pour réagir quant à la situation : “deux mots ont résonné, alimentant la peur des gens : “invasion” et “urgence”, mais ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité”. La gestion de cette crise par les Etats membres peut être considérée comme immorale au regard des conditions d’accueil et de la volonté de repli. Comme le disait Warsan Shire, une célèbre poétesse somalienne, “personne ne met ses enfants dans un bateau à moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre”. Il est légitime de se demander si se renfermer sur nous-mêmes pourra entraîner des conséquences beaucoup plus importantes que cette crise migratoire.
Il est impossible de filtrer les contrôles pour seulement une certaine population ayant traversé la Méditerranée : les citoyens de l’Union européenne sont aussi touchés par cette situation. Beaucoup de témoignages de citoyens remontent à la surface en affirmant avoir reçu des amendes pour ne pas avoir pu présenter un passeport à certaines frontières. Mais il ne faut pas oublier que ces conséquences sont tout bonnement inacceptables et illégales, pouvant faire l’objet d’une saisine du Cour de la Justice de l’Union européenne (CJUE). Malheureusement, cette information est méconnue du grand public.
Deux routes se présentent à nous : doit-il y avoir plus de contrôles au détriment du droit de libre-circulation pour les citoyens européens ou moins de contrôles tout en laissant l’Union Européenne mettre en place des mesures ? On retrouve toujours la même thématique : la souveraineté des États membres. Ayant peur de perdre cette souveraineté, les États membres enfreignent le droit de l’Union Européenne afin de pouvoir se protéger. La seule solution ne serait-elle pas de laisser l’Union européenne mettre en place une politique commune entre les 27 afin de pouvoir faire face à cet enjeu, dans la moralité et la légalité, tout en garantissant l’existence pérenne de ce noble espace ? Il s’agirait juste d’y méditer.
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