Le budget italien, réponse à l’entêtement austéritaire en Europe

, par Klervi Kerneïs

Le budget italien, réponse à l'entêtement austéritaire en Europe
Pierre Moscovici (à gauche), et Valdis Dombrovskis (à droite), conférence de presse du 23 octobre 2018 (Bruxelles), annonçant la décision de la Commission européenne de rejeter le budget prévisionnel italien. © European Union, 2018 / Photo : Elyxandro Cegarra

Une première pour l’Union européenne : la Commission européenne a retoqué mardi 23 octobre dernier le projet de budget italien pour l’année 2019. Si le déficit prévisionnel de 2,4 % de PIB ne dépasse pas la ligne rouge des 3 % prévue par les traités, il viole toutefois l’objectif de 0,8 % fixé par le précédent gouvernement afin de contenir la dette publique italienne. Rome dispose maintenant de trois semaines pour revoir sa copie, sous peine de sanctions financières.

La Commission européenne a-t-elle le droit de retoquer le budget prévisionnel italien ?

Oui. Depuis l’introduction du « two-pack » en 2013, complétant, sur fond de crise de la zone euro, les mesures du « six-pack » et du Pacte de Stabilité et de croissance, la Commission européenne s’est vu confier de nouveaux pouvoirs en matière de surveillance macroéconomique et de coordination budgétaire. C’est sur cette base que chaque année, dans le cadre du Semestre Européen, les pays de la zone euro soumettent pour avis leur projet de budget à la mi-octobre.

Or pour la Commission, le budget italien porté par la coalition du Mouvement des 5 étoiles et de La Ligue menacerait la cohésion de la zone euro. Elle rappelle par ailleurs que l’Italie a bénéficié ces dernières années des mesures d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) de la Banque Centrale Européenne (BCE) ainsi que d’une interprétation très flexible du pacte de stabilité – ce qui n’a d’ailleurs pas toujours plu aux pays du Nord. Ce dérapage délibéré de la part de Rome n’est donc pas acceptable aux yeux de la Commission européenne qui pourrait décider – si l’exécutif italien ne cède pas – d’engager une procédure pour déficit excessif contre l’Italie. Cette procédure pourrait, en théorie, aboutir à des sanctions financières de l’ordre de plusieurs milliards d’euros.

Le « budget du peuple » : un budget aussi hybride que la coalition qui l’a fait naître

Côté italien, le « budget du peuple » présenté à Bruxelles, est un budget hybride, miroir de la coalition étrange entre un parti antisystème, le Mouvement des 5 étoiles, jouant à la fois, à gauche, sur les questions écologiques par exemple, et, à droite, sur les questions migratoires ; et La Ligue, le parti d’extrême-droite dirigé par Matteo Salvini. S’il comprend des éléments intéressants comme le revenu de citoyenneté, le budget comporte toutefois également des réformes fiscales éliminant quasiment la progressivité de l’impôt sur le revenu en faveur des plus riches. Le député européen Guillaume Balas précise par ailleurs que suivant la logique des dirigeants italiens misant sur une future croissance pour rembourser la dette, « il aurait été préférable d’investir dans les secteurs d’avenir comme celui de la transition écologique ».

Rome/Bruxelles : des stratégies antinomiques

Ce sont donc bien deux positions fondamentalement irréconciliables qui sont au cœur de la divergence. Cependant, il serait bien réducteur d’en attribuer la cause à l’Italie et son seul budget. L’Italie a peut-être tiré sur la détente, mais le revolver était on ne peut plus chargé. Les semestres s’enchaînent, et l’Union européenne – et Angela Merkel en tête – s’entête à ne pas réviser les règles communautaires austéritaires, alors que leur impact négatif sur les économies les plus endettées de la zone euro sont de plus en plus largement apparentes.

D’abord, comme le montre Alternatives Economiques dans un récent article, les gouvernements italiens ont jusqu’ici mené des politiques d’austérité budgétaire très strictes qui ont permis à l’Italie de bénéficier de soldes primaires des dépenses publiques quasi toujours positifs. Et malgré cela, la dette elle, n’a pas diminué – bien au contraire.

Le niveau de la dette italienne ne s’est donc pas aggravé à cause d’un certain laxisme budgétaire, mais bien à cause des mesures austéritaires qui ont freiné son activité économique. En faisant le choix d’une politique fiscale expansionniste, Rome espère relancer l’activité – une solution tout à fait raisonnable en théorie. Cependant, les dirigeants italiens sous-estiment la réponse des marchés financiers, et son impact, à leur budget « provocateur ».

En effet, l’augmentation des taux d’intérêts des obligations italiennes s’est déjà fait sentir et a des chances de miner les effets positifs de la stratégie d’expansion fiscale proposée et donc d’aboutir à une diminution du Produit Intérieur Brut (PIB). En somme, face aux inquiétudes des marchés, le budget italien pourrait bien avoir l’effet inverse qu’escompté.

Ainsi, en défiant les règles européennes, l’Italie pourrait non seulement scier la branche sur laquelle elle s’est hissée, mais également tronçonné tout espoir pour le reste des économies les plus faibles dans la zone euro, qui, faute d’un diagnostic pointant du doigt autre chose que les déficits nationaux, souffrent toujours de politiques austéritaires creusant encore davantage l’écart entre les Etats.

La redistribution, arme contre l’austérité au sein de la zone Euro ?

Comme l’affirme cet article issu de Courrier International, il est plus que temps d’ouvrir un vrai dialogue sur la redistribution au sein de la zone euro : « Ce n’est pas en obligeant les plus faibles à économiser que les plus forts inverseront la tendance. Il faut que celui qui tire un maximum de profit permette aux autres d’avoir droit à leur part ». Le problème, c’est que, contrairement à des mesures de surveillance budgétaire, cela demande une réelle volonté politique et une solidarité entre les Etats membres.

Alors, oui, l’attitude de l’Italie, qui manque à ses engagements et refuse toute concession, n’est bien entendu pas admissible. Mais l’obstination des Etats de ne reconnaître ni l’impasse des politiques austéritaires, et pis, leurs conséquences dramatiques sur les citoyens (en Grèce particulièrement), ni l’absolue nécessité de mettre en place des mécanismes d’ajustement de redistribution inter-étatiques, est tout aussi nocif pour l’avenir de la zone euro, et ce, tout autant sur le plan économique que politique. En effet, sanctionner l’Italie financièrement – passant outre la nature parfaitement contreproductive de ce mécanisme – et fermer les yeux sur les problèmes de fond qui impliquent l’ensemble de la zone euro n’endiguera pas la montée des nationalismes en Europe, mais, a contrario, contribuera à les renforcer.

« Comme Sisyphe », Honoré Daumier.
« Comme Sisyphe », litographie par Honoré Daumier, 25 février 1869.

Pour aller plus loin :

Romain Brunet, « Italie : un budget anti-austérité qui pose problème aux gauches européennes », France 24, 29 septembre 2018.

Guillaume Duval, « Pourquoi l’Italie en a marre de l’Europe », Alternatives Economiques, 8 juin 2018.

Olivier Blanchard et Jeromin Zettelmeyer, « The Italian Budget : A Case of Contractionary Fiscal Expansion ? », Peterson Institute for International Economics, 25 octobre 2018.

Gammelin, Cerstin, « Avec son budget qui irrite Bruxelles, l’Italie n’a pas tout faux », Courrier International, 26 octobre 2018.

Vos commentaires
  • Le 2 décembre 2018 à 19:52, par Bernard Giroud En réponse à : Le budget italien, réponse à l’entêtement austéritaire en Europe

    "Il faut que celui qui tire un maximum de profit permette aux autres d’avoir droit à leur part »

    C’est bien le fond du problème, entre nous européens ; D’une façon générale, c’est rappeler bien simplement que si l’on veut travailler avec ses voisins, il faut aussi qu’ils y trouvent leur intérêt. La construction d’une maison commune, notre sécurité, commence par là. Cette notion de restitution est souhaitable ; Plus encore, stimulante, parce que conduite avec raison vers un vrai futur, un avenir meilleur passe pat la chance que peut multiplier les ressources de notre nouvel ensemble.

    Nous avons bien de la difficulté à passer la barrière des anciennes habitudes, Ces 60 ou 70 ans passés n’ont pas assez comblées les vielles ornières ; Celles-ci peuvent nous conduire à devenir pour longtemps, si l’on s’en réfère à l’exemple de l’ancienne Grèce et l’empire Romain, le "poulailler" des grands pays émergents, vers qui s’en iraient les chances de nos talents.

    Nous avons besoin d’élus, de politiques volontaires et clairvoyants.

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