Le budget jeunesse du Conseil de l’Europe sous pression : une menace pour une Europe démocratique et pacifique

, par Valentin Dupouey

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Le budget jeunesse du Conseil de l'Europe sous pression : une menace pour une Europe démocratique et pacifique

Le Conseil de l’Europe célèbre actuellement son 70ème anniversaire. 70 ans d’actions pour la défense de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit en Europe. Tous ne se joindront pas aux célébrations alors que le département jeunesse du Conseil de l’Europe est sous la menace de coupes budgétaires importantes.

L’organisation internationale (qui ne doit pas être confondue ni avec le Conseil Européen ni avec le Conseil de l’Union Européenne) est reconnue à travers son organe le plus médiatique : la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ses actions pour le développement d’une société civile de jeunesse forte et pour le développement des droits des jeunes sont moins connues bien qu’elles contribuent également à atteindre les buts finaux du Conseil de l’Europe. Depuis 1972, année de la création du département jeunesse du Conseil de l’Europe, l’organisation de coopération internationale s’est faite pionnière de politiques de jeunesse, instruments et mécanismes de participations innovants. Les coupes budgétaires prévues sont problématiques pour les organisations de jeunesse en Europe, pour les jeunes engagés au sein d’associations, et plus largement pour la paix et la démocratie en Europe. Mais la mobilisation des jeunes peut empêcher cette issue.

Les activités jeunesse du Conseil de l’Europe

Dans le dynamique écosystème des organisations de jeunesse européennes, les termes « Conseil Consultatif sur la Jeunesse » (CCJ) et « Fondation Européenne pour la Jeunesse » (FEJ) font partie intégrante de leur vie quotidienne. Le premier est un organe unique au monde de prise de décision qui a incarné, depuis sa création, la nature innovante de l’approche du Conseil de l’Europe en matière de participation des jeunes. A travers le CCJ, les jeunes sont impliqués directement et au même niveau que les décideurs politiques des états membres dans la formulation et la mise en œuvre des orientations et activités du secteur jeunesse du Conseil de l’Europe.

Cette assemblée composée de 30 jeunes représentant la diversité de la société civile de jeunesse européenne est élue pour deux ans[1]. Le CCJ se réuni deux fois par an avec les représentants des 47 États Membres et des trois états signataires de la Convention Culturelle Européenne pour décider, sur un pied d’égalité et par consensus, des priorités du secteur jeunesse, des programmes et de l’utilisation du budget. C’est une des formes de participation des jeunes les plus avancées et un exercice démocratique unique au monde.

En particulier, le CCJ, en coopération avec les représentants des états membres, pilote le travail de la Fondation Européenne de la Jeunesse. La FEJ est un organe de financement majeur des organisations de jeunesse et de leurs projets à travers toute l’Europe. Son budget annuel de près de quatre millions d’euros permet aux organisations de jeunesse d’organiser des rencontres entre jeunes, des formations, des campagnes, des séminaires. Elle offre à la fois des financements opérationnels, permettant le fonctionnement quotidien des organisations, et des financements par projet permettant l’organisation d’activités plus ponctuelles et ciblées.

Les projets soutenus par la FEJ permettent de toucher directement les jeunes, leur permettant de développer des compétences pour la participation démocratique et la compréhension interculturelle à travers l’éducation populaire. A travers cet impact, en renforçant et permettant à la société civile de jeunesse de fonctionner de manière efficace, ce sont les objectifs finaux du Conseil de l’Europe qui progressent [2].

Le Conseil Consultatif sur la Jeunesse et la Fondation Européenne de la Jeunesse sont les éléments les plus connus du secteur jeunesse du Conseil de l’Europe mais ce ne sont pas les seuls. La liste est longue. Les Centres Européens de la Jeunesse de Strasbourg et Budapest, la coopération Euro-Arabe dans le domaine de la jeunesse, la campagne contre le discours de haine #NoHateSpeech, des myriades de résolutions et recommandations non contraignantes pour l’avancée des droits des jeunes et du travail de jeunesse, une plateforme unique de coopération sur la jeunesse avec l’Union Européenne, une plateforme de synergies entre chercheurs, décideurs et praticiens dans le champ de la jeunesse, des cours en ligne ouverts à de larges publics (MOOCs : Massive Online Open Courses), des manuels et guides pour les praticiens dans le champ de la jeunesse, des conférences de grande échelle, un magazine en ligne, un soutien aux politiques de jeunesses nationales, du travail de recherche, etc. La liste des réussites passées et activités en cours du secteur jeunesse du Conseil de l’Europe est un témoignage de son importance pour l’ensemble des acteurs du secteur jeunesse en Europe.

Mais cette liste appartient peut-être bientôt au passé.

Les difficultés budgétaires du Conseil de l’Europe

Les finances des organisations internationales peuvent être complexes. Essayons de rester simple. Les lecteurs familiers des méandres du fonctionnement du Conseil de l’Europe savent que l’organisation suit une politique budgétaire de ‘croissance nominale zéro’ depuis 2014. En termes simples, cela signifie que le budget reste strictement identique d’une année sur l’autre. Pour rendre l’équation budgétaire plus complexe, en 2018, la Turquie a décidé de renoncer au statut de contributeur majeur, créant un trou budgétaire de 20 millions d’euros. Comme si la situation n’était pas assez difficile, depuis 2017 la Russie, un des plus gros contributeurs, a décidé de geler sa contribution au Conseil de l’Europe. Cette décision est intervenue après que la Russie a perdu son droit de vote au sein de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe à la suite du conflit en Ukraine. Cette décision est venue ajouter un déficit de 22 millions d’euros au budget du Conseil de l’Europe. Face à cette situation, le Conseil de l’Europe doit trouver comment économiser environ 14% de son budget.

Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, a récemment esquissé un plan d’urgence pour faire face à la crise budgétaire. Ce plan prévoit des coupes allant de 6% à 30% pour les différents secteurs de l’organisation. Sauf pour la jeunesse. Le plan propose simplement de supprimer le financement des activités du secteur jeunesse de l’organisation du budget ordinaire à la fin de 2020 et de les remplacer par un accord partiel élargi sur la jeunesse.

Les accords partiels sont des associations volontaires d’Etats membres à travers une contribution financière librement décidée visant à financer un certain type d’activités. Chaque Etat membre du Conseil de l’Europe pourrait alors décider de se joindre, ou non, et donc de contribuer financièrement, ou non, à l’accord partiel élargi sur la jeunesse. Considérant, le manque d’importance générale donné par les Etats membres aux questions de jeunesse, et à leur financement, on peut légitimement s’inquiéter pour le futur du secteur jeunesse du Conseil de l’Europe.

De par les spécificités des finances du Conseil de l’Europe, le budget de la Fondation Européenne de la Jeunesse n’est pour le moment pas menacé directement. On peut en revanche s’interroger sur son futur et le futur de sa gouvernance alors que les structures qui sont supposés l’encadrer sont détricotés.

Protéger le budget du secteur jeunesse

De son mode même de fonctionnement aux projets jeunesse de terrain qu’il finance, le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe a toujours prouvé qu’il participait activement à la poursuite des buts de l’organisation. A l’heure des démocraties vacillantes en Europe, alors que les jeunes se détournent des formes classiques de participation, alors que les populismes nationalistes menacent les fondations d’une Europe de la paix, de la démocratie et de l’état de droit, il est impensable que la jeunesse ne soit pas une priorité. Si maigrement financée soit-elle, puisque que le budget 2019 prévoit environ 1,8% pour les activités jeunesse.

Plus que jamais, nous avons besoin de ce que le Conseil de l’Europe a réussi à offrir à la jeunesse européenne jusqu’à maintenant : des opportunités pour équiper les jeunes européens des compétences pour la participation démocratique, pour la paix et la compréhension interculturelle. Plus que jamais nous avons besoin de ce que le Conseil de l’Europe peut offrir aux états membres : un soutien pour la mise en place de politiques de jeunesses orientées vers les droits des jeunes, le travail de jeunesse, la participation des jeunes et leur autonomie.

Comment agir ? Aucune décision n’a encore été prise alors que le plan d’urgence est encore à l’état de proposition. Dans les jours à venir, les jeunes européens et leurs organisations peuvent contacter les représentations auprès du Conseil de l’Europe, les ministères en charge de la jeunesse et de l’éducation mais aussi des affaires étrangères qui décideront en dernier lieu du sort du budget jeunesse du Conseil de l’Europe. Il faut rappeler aux décideurs que la jeunesse européenne et sa société civile sont plus importantes que jamais pour la défense et le développement de démocraties solides dans une Europe de la paix.

La société civile de jeunesse européenne a lancé une campagne de mobilisation en ligne. Son message est clair, et souvent porté de manière humoristique à voir les ‘memes’ nombreux qui fleurissent sur les réseaux sociaux. Le Conseil de l’Europe ne peut pas faire un tel pas en arrière en coupant intégralement son budget pour la jeunesse !

[1] 20 membres sont élus par l’Assemblée Générale du Forum Européen de la Jeunesse, et 10 membres sont nommés par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.

[2] JEF Europe est un bénéficiaire régulier de la FEJ à travers les financements opérationnels et par projet. En particulier, la FEJ a permis à JEF Europe d’organiser ses cycles de formations depuis plusieurs années.

JEF Europe a reçu des financements de la Fondation Européenne de la Jeunesse du Conseil de l’Europe chaque année depuis 2014. Ces financements ont permis, parmi d’autres activités, d’organiser plus de 20 séminaires de formation auxquels ont participé environ 650 jeunes engagés. Ces activités ont impliqué indirectement 3000 personnes. Des jeunes de 15 à 20 nationalités différentes ont participé à chaque séminaire.

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