Le cas de Andrej Babiš fait réagir les députés européens

, par Lucas Nitzsche

Le cas de Andrej Babiš fait réagir les députés européens
Le premier ministre Tchèque est soupçonné d’utilisation de fonds européens à des fins personnelles. Image : Wikimedia commons.

Alors qu’en novembre dernier, plus de 200 000 personnes manifestaient à Prague contre le Premier ministre tchèque, l’enquête sur les conflits d’intérêts de ce dernier n’a pas encore abouti. Un an après les audits de la Commission au sujet de l’utilisation abusive des fonds européens par Andrej Babiš, les députés européens semblent s’impatienter.

Lors de la session plénière de janvier à Strasbourg, les eurodéputés ont débattu de la réouverture de la procédure à l’encontre du Premier ministre tchèque, Andrej Babiš, pour utilisation abusive des fonds européens et conflits d’intérêt potentiels. Comme l’a expliqué en ouverture le Commissaire européen à l’Environnement Virginijus Sinkevičius, le Premier ministre tchèque est accusé d’avoir abusé du fond social européen (FSE) et du fond européen de développement régional (FEDER) à des fins personnelles.

Le problème, comme l’a présenté la députée Viola Von Cramon-Taubadel (Verts/ALE), résiderait dans le fait « qu’une des personnes des plus riches du pays décide de la politique et en même temps [puisse] voter au conseil de l’UE sur la politique structurelle et agricole qui l’a enrichi ». Elle a dénoncé le fait qu’Andrej Babiš paralyse le pays et se mêle de secteurs industriels et médiatiques, et cela même à l’étranger, puisqu’il aurait des intérêts en Slovaquie ou en Allemagne.

Le Tchèque Ivan David, du groupe ID, a, quant à lui, décrit un Premier ministre « très habile », qui aurait créé des entreprises dans de nombreux domaines avant d’entrer au gouvernement, puis de devenir Premier ministre. Selon lui, les entreprises dans lesquelles il avait des intérêts avaient alors commencé à toucher des fonds européens.

Le Conseil et la Commission restent prudents

Nikolina Brnjac, représentante du Conseil de l’Union européenne, a rappelé le souhait du Conseil que les fonds européens soient utilisés dans le respect des règles, et que les dépenses respectent les principes d’une bonne gestion financière. Une enquête étant menée par les autorités tchèques, elle a refusé de commenter une enquête nationale en cours, bien qu’elle se déclare très attentive aux conclusions de la Commission européenne quant aux audits menés à ce sujet.

Dans le même temps, elle a réaffirmé le soutien du Conseil aux différentes initiatives menées au sein de l’Union européenne, à savoir la création d’un parquet européen (qui devrait prendre ses fonctions dans le courant de l’année) et la directive concernant la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union par le droit pénal.

De même, le commissaire européen Sinkevičius est resté prudent : il a certes rappelé la « tolérance zéro » de la Commission concernant l’utilisation abusive de fonds européens, mais n’a pas davantage détaillé les avancées des audits menés début 2019 dans le cadre de cette affaire. En effet, Virginijus Sinkevičius a rappelé que les audits étaient en « phase de suivi », et qu’ils n’étaient donc pas définitifs.

Des conclusions préliminaires et des recommandations générales aux États membres ont été rendues publiques, mais le rapport définitif restera confidentiel tant que la Commission européenne n’aura pas pris de décision définitive. La prochaine étape annoncée par le commissaire à l’Environnement est une réunion bilatérale avec les autorités tchèques. Il a néanmoins assuré aux députés que le budget de l’Union européenne serait protégé le temps de l’enquête, et qu’aucun projet potentiellement concerné par des conflits d’intérêts ne serait remboursé.

Un débat inutile ?

Pour la Tchèque Dita Charanzová (Renew), la discussion est inutile : elle encourage les débats constructifs sous la condition qu’il y ait des fondements solides, qui manqueraient dans ce cas. Les seules choses qui prévaudraient seraient « des impressions, des préjugés, et peut-être de l’animosité personnelle ».

Pour l’eurodéputée, le débat politique interne à la Tchéquie est transposé au niveau de l’UE, alors que le système judiciaire fonctionne comme il se le doit, sans préjugé : la discussion au sein du Parlement européen n’aura aucun effet sur la procédure, c’est pourquoi elle souhaitait y mettre un terme. Selon elle, le débat résulte du souhait de « certains collègues Tchèques qui voulaient que le sujet soit à l’ordre du jour ».

Des eurodéputés mécontents

Plus généralement, des députés de tous bords politiques ont critiqué le système trop souple des fonds européens. À gauche, Younous Omarjee, du parti GUE/NGL, a dénoncé la trop importante corruption permise avec ces fonds, et a demandé qu’une lutte implacable soit menée : il en va de « la crédibilité de l’Union et de la confiance des citoyens envers elle ». Le parquet européen ne serait pas à la hauteur de la lutte à mener, et il doit bénéficier d’une indépendance budgétaire, car ce n’est qu’en lui donnant les moyens d’être indépendant qu’il pourra atteindre ses objectifs.

À l’autre extrémité de l’hémicycle, Ivan David (ID) a souligné que le système de l’UE permet la corruption en subventionnant des entreprises privées au lieu de faire respecter les lois du marché. Par ailleurs, la dépendance envers les aides de l’Union permettrait que ce système se perpétue.

Selon l’avis de Viola Von Cramon-Taubadel (Verts/ALE), Andrej Babiš n’est pas l’origine du problème, il n’en serait simplement que le symptôme : il ne serait qu’un oligarque parmi d’autres s’enrichissant grâce au système des fonds européens structurels et d’investissement.

Un manque de transparence

La critique a également porté sur le manque de transparence et d’informations, car ni la Commission, ni les États membres n’ont assez d’informations pour vérifier où arrivent les fonds européens et dans quels buts ils sont réellement utilisés. Ainsi, l’eurodéputée a réclamé un nouveau système qui permette de mieux vérifier l’utilisation de ces fonds et de mettre en évidence les différents liens entre les entreprises et les personnalités politiques.

Mais tous les députés n’ont pas critiqué la Commission, à l’image des socio-démocrates, qui ont soutenu son action. Lara Wolters (S&D) a déploré qu’après les manifestations de novembre 2019, le Premier ministre tchèque ait insisté pour affirmer que l’enquête de la Commission et les manifestations faisaient partie d’un « complot antidémocratique » contre lui.

La députée a jugé cette théorie du complot « ridicule », et a rappelé que la Commission ne remplit que ses devoirs. Par ailleurs, elle a fait référence au rapport de la Cour des comptes, « factuel » selon elle, qui affirmait qu’il existait en Tchèquie des conflits d’intérêts permettant au Premier Ministre de s’enrichir.

Si certains députés ont exprimé leur mécontentement lors de ce débat, les avis divergent, et il reste à savoir s’ils décideront ou non de voter pour la réouverture de la procédure à l’encontre d’Andrej Babiš.

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