Née le 10 avril 1920 à Reggio Emilia, une petite ville procommuniste du nord de l’Italie, et ayant grandi dans une société patriarcale, Nilde Iotti s’est battue tout au long de sa vie pour la démocratie, la coopération européenne et l’émancipation des femmes. Très jeune, elle rejoint le mouvement ouvrier en tant que militante, deux ans après avoir obtenu son diplôme de philosophie à la prestigieuse Université Catholique du Sacré-Coeur (UCSC) de Milan, même si elle reste une athée convaincue pendant toute sa vie.
Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, elle devient une figure de proue du Parti Communiste Italien (PCI) et, à la fin du conflit, elle est nommée secrétaire régionale de l’Union des femmes italiennes. Grâce au suffrage féminin institué en 1945, de nombreuses femmes italiennes apportent leur soutien électoral à Iotti qui est finalement élue à l’Assemblée constituante en 1946, à la suite du référendum institutionnel du 2 juin 1946. Iotti rédige la section relative au droit de la famille de la Charte constitutionnelle.
Une figure historique de la politique italienne
En 1948, elle devient membre de la Chambre des députés, la chambre basse du Parlement italien. Elle est alors la première femme, et la première communiste, à occuper un poste institutionnel si important en Italie, et notamment au vu de son mandat de présidente de la Chambre de 1979 à 1992. Célèbre pour sa rigueur constante et son impartialité au cours de sa carrière politique, Iotti est encore aujourd’hui considérée comme l’un(e) des meilleur(e)s président(e)s de la Chambre des députés que l’Italie ait eu.
En 1964, après la mort du leader du PCI Palmiro Togliatti (avec qui elle entretenait une liaison depuis 1946), Iotti se lance dans une refondation du parti. Pendant cette période, elle continue à défendre ardemment les droits des femmes. Elle fait campagne avec succès pour l’introduction des lois sur le divorce et l’avortement, les principales priorités des membres du mouvement féministe à l’époque. Excellente médiatrice, elle encourage alors ses jeunes compagnes à ne pas ignorer les opinions des femmes catholiques sur ces questions.
La tournant européen : Iotti pionnière du suffrage universel
En 1969, première année de la participation des parlementaires communistes au Parlement européen, Iotti est membre de la première délégation italienne. Au cours de ces années, elle entreprend de réformer les élections du Parlement lui-même par la promulgation de la loi sur le suffrage direct européen. Son combat en faveur des élections directes des députés européens découlait de sa conviction que le vote du peuple donnerait au Parlement européen un mandat et une crédibilité indiscutables pour agir au nom des citoyens. Son objectif était ainsi de créer un esprit et une conscience européens, qui puissent contrecarrer le désintérêt et l’ignorance caractérisant l’aptitude de nombre de citoyens européens envers la politique et les mécanismes institutionnels de l’Union.
En 1971, lors d’une réunion de son parti sur l’Europe, elle présente un ouvrage sur « La souveraineté nationale et les institutions européennes » pour expliquer comment développer une intégration culturelle, institutionnelle et politique. Lorsqu’elle est nommée présidente de la Chambre des députés en Italie, en 1979, elle prononce son discours inaugural en soulignant l’avancement qualitatif « exceptionnel » de la démocratie au niveau européen avec les élections directes dans les États membres. Au niveau national, elle met en place une commission spéciale sur les politiques européennes et la démocratie, qu’elle promeut à Bruxelles et à Rome.
Iotti reste députée européenne jusqu’en 1979, l’année des premières élections au suffrage universel direct. C’est justement pendant ces années qu’elle devient une figure pro-européenne par excellence et, tout au long de sa carrière, elle reste de l’avis que l’intégration européenne est le vecteur d’une transformation sociale positive. Peu de temps après, Iotti démissionne de son mandat de députée européenne, mais son lien avec l’Europe allait beaucoup bien au-delà de son mandat d’eurodéputée.
« Une Union européenne vers un plus grand développement civil, social et politique »
Le 27 novembre 1990, dans le cadre de son rôle de présidente de la Chambre des députés, Iotti, après les interventions du président de la République, du président du Parlement européen et du président du Sénat, ouvre la Conférence des parlements de la Communauté européenne à Rome. La Conférence, également appelée « Assises européennes », réunissait les délégations parlementaires des parlements des douze États membres de la Communauté européenne pour aborder les questions essentielles de l’avenir de la Communauté. Parmi ces questions, on retrouvait les implications des propositions relatives à l’union économique et monétaire et l’union politique, avec une référence particulière au rôle des parlements nationaux et du Parlement européen.
L’initiative naquit d’une idée lancée par le président français François Mitterrand et était soutenue par une motion d’une partie du Parlement européen. La conférence se tint à Rome du 27 au 30 novembre 1990, peu avant l’ouverture des conférences intergouvernementales devant aboutir à la signature du traité de Maastricht (7 février 1992). Elle réunissait 258 parlementaires, 85 membres du Parlement européen et 173 délégués des parlements nationaux, répartis par représentations nationales et non par groupes politiques auxquels ils appartenaient. Iotti, dans son intervention, souhaitait que soient abordés les thèmes fondamentaux du rôle de la Communauté dans la construction des nouveaux équilibres européens et mondiaux, l’avenir de l’Europe entière et les formes et modalités de la construction d’un pouvoir démocratique européen.
La fondation d’une « nouvelle architecture européenne »
Dans l’importante phase historique ouverte par le dépassement de la guerre froide et la disparition de l’opposition entre Est et Ouest, Iotti soutenait que la Communauté européenne devait être l’un des noyaux du nouveau système européen et mondial. De même, elle appelait de ses vœux, après la démolition des murs qui divisaient l’Europe en tant qu’espace géographique, la fondation d’une « nouvelle architecture européenne », qui d’après elle avait déjà commencé. Dans son idée, le but était de construire, sous les formes et les manières possibles et praticables, une politique européenne allant de la sécurité aux alliances militaires, de la coopération politique et économique jusqu’aux nouveaux élargissements de la Communauté.
La création de l’Union européenne, nécessaire et urgente dans la perspective de la nouvelle Europe, était pourtant, pour Nilde Iotti, directement liée aux nouvelles institutions communautaires qui, partant de leur propre processus de construction, ne relevaient pas seulement de la coopération entre gouvernements mais répondaient aux règles démocratiques avec l’attribution, notamment, d’un rôle central et de pouvoirs adéquats aux assemblées représentatives nationales et au Parlement européen.
« Nous voulons l’Union européenne non pas pour reculer des niveaux de démocratie que nous avons atteints, mais pour ouvrir de nouvelles et grandes voies de développement civil, social et politique, de nouveaux horizons de renouveau et de croissance, qu’aujourd’hui ne permettent pas les espaces devenus étroits des États-nations, pressés par trop de contraintes qui limitent effectivement leur souveraineté. L’Europe, donc, comme une grande opportunité de croissance démocratique et civile pour les peuples européens » : ce sont les mots prononcés – parmi l’enthousiasme et les applaudissements du public – lors de son discours, aujourd’hui devenu iconique dans le cadre du processus de construction européenne.
Un héritage à jamais inscrit dans l’histoire
En 1992, Nilde Iotti quitte la scène politique italienne, en terminant son mandat de Présidente de la Chambre des députés du Parlement italien. Mais l’attachement de Nilde à l’Europe ne s’arrête pas là. En 1997, elle est élue vice-présidente du Conseil de l’Europe, l’organisation des droits de l’homme qui compte aujourd’hui 46 États membres (après l’expulsion de la Russie).
Après 53 fructueux ans en politique, en novembre 1999, Nilde Iotti annonce sa démission du Parlement italien en tant que députée et meurt deux semaines après, le 4 décembre de la même année à Rome, à l’âge de 79 ans. Moteur du long processus de construction européenne et fondatrice de la République italienne, son héritage historique et ses combats politiques demeureront à jamais inscrits dans le temps.
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