Nouveau succès de l’AfD
Après plusieurs succès enregistrés aux élections régionales en Saxe (+17 points, 2nde position) et au Brandebourg (+11 points, 2nde position), l’AfD a réalisé en octobre 2019 une nouvelle percée en Thuringe en parvenant à doubler son score de 2014 (+13 points). Le parti d’extrême droite est arrivé second, 8 points derrière Die Linke (gauche radicale). Cette élection a abouti à une situation de blocage. En effet, aucun parti n’était suffisamment fort pour former seul un gouvernement régional. D’autre part, aucune coalition n’a émergé jusqu’en février 2020.
Die Linke, qui dirigeait lors du mandat précédent le Land en coalition avec die Grünen (Les Verts) et le SPD (les socio-démocrates), n’est pas parvenu à renouveler cette coalition du fait de l’effondrement du SPD qui a perdu plus de la moitié de ses députés. Après des mois de tractation, le président sortant a finalement posé sa candidature le 5 février, en espérant se faire élire à la tête d’une coalition minoritaire. Toutefois, c’est le candidat du FDP Thomas Kemmerich qui a remporté le scrutin du Landtag (parlement régional), avec le soutien de son parti, de la CDU et de l’AfD. Cet épisode a provoqué une onde de choc dans toute l’Allemagne.
« Un acte impardonnable »
L’association entre le FDP, la CDU et l’AfD marque un tournant historique dans la politique allemande. Cette décision rompt avec une tradition démocratique en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis cette époque, les partis allemands refusent systématiquement toute association avec l’extrême droite. Les récents succès de l’AfD ont plusieurs fois fait réémerger la question d’une coalition avec des partis traditionnels. Néanmoins, la position des partis de gauche comme de droite n’avait jamais évolué auparavant. Le choix de rompre le cordon sanitaire contre l’extrême droite afin de mettre en échec un candidat de Die Linke a donc été vivement critiqué, tant au niveau régional que national. En outre, le leader de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke, est issu de l’aile la plus extrême du parti qui défend notamment des positions racistes et antisémites, relativise les crimes du régime nazi et la Shoah.
L’élection de Thomas Kemmerich a provoqué une vague d’indignation de la part de tous les partis politiques allemands appelant à la tenue de nouvelles élections. A gauche, les partis soutenant la candidature du président sortant (Die Linke, SPD, die Grünen) ont vivement critiqué le manque de clarté de la CDU et du FDP. Le président sortant Bodo Ramelow a dénoncé la « porosité entre l’extrême droite (AfD) et la droite traditionnelle (CDU).
A droite, la chancelière Angela Merkel a dû s’exprimer personnellement, qualifiant l’évènement « d’acte impardonnable » dont le résultat doit être annulé par de nouvelles élections. La chancelière a annoncé le retrait de son parti de la coalition, rappelant que la CDU doit prouver que ses valeurs ne sont pas compatibles avec celles de l’AfD.
Enfin, le président du FDP Christian Lindner s’est entretenu personnellement avec Thomas Kemmerich, jeudi 6 février. Cette rencontre a conduit Thomas Kemmerich à démissionner le jour même « afin d’enlever le stigmate lié au soutien de l’AfD ».
Des conséquences durables
L’annonce de la démission de Thomas Kemmerich semble avoir mis fin à la crise politique en Thuringe. Néanmoins, elle souligne les contradictions au sein de la CDU et de la FDP. Si la position d’Angela Merkel a été très claire vis-à-vis de l’alliance avec l’AfD, ce n’est pas le cas des élus CDU en Thuringe, qui ont voté pour l’alliance. Ces élus sont désormais qualifiés d’insubordonnés par l’organe central de la CDU et menacé d’être exclus du parti.
Vendredi 7 février, Mike Möhring, le chef de file de la CDU en Thuringe a annoncé qu’il démissionnerait de ses fonctions en mai. Il était responsable du vote des élus de la CDU dans le Land. Samedi 8, c’est Christian Hirte qui a été poussé à démissionner par Angela Merkel. Le secrétaire d’Etat à l’Economie et commissaire du gouvernement aux territoires de l’Est de l’Allemagne s’était félicité de l’élection de Thomas Kemmerich grâce aux voix de l’AfD. Ces deux démissions répondent aussi à une demande du SPD, membre de la coalition gouvernementale en Allemagne, pour plus de clarté de la part de la CDU.
Si Angela Merkel a réussi à sauver son gouvernement, les divisions au sein de son parti demeurent importantes alors que l’aile droite de la CDU est tentée par une alliance avec l’AfD. Malgré les efforts de la chancelière, il est probable que la défiance des autres partis politiques envers la CDU s’accroisse tant que la position officielle du parti n’aura pas été clarifiée. De même, il est probable que l’électorat de la CDU soit divisé sur la question.
Le FDP est également sujet à des tensions internes. La position ambigüe de son président Christian Lindner est vivement critiquée. Le leader de la FDP se disait surpris des résultats du vote du 6 février alors que la direction de son parti était visiblement au courant du soutien de l’AfD et avait donné son accord.
Les nouvelles élections en Thuringe vont probablement entrainer un nouveau recul de la CDU et de la FDP, partis considérés comme responsables de la crise en ayant refusé l’établissement d’un gouvernement régional mené par Die Linke. Au contraire, il est probable que le parti de gauche radicale et l’AfD voient leurs scorent augmenter à nouveau. A ce stade, il est encore difficile de savoir si le blocage politique en Thuringe prendra fin à l’issue des prochaines élections, notamment si aucune entente entre la CDU, le FDP et Die Linke n’est établie.
Il est possible que ce genre d’évènement se multiplie en Allemagne lors des prochaines élections, alors que la formation de coalitions, aussi bien au niveau régional que fédéral est de plus en plus difficile. En effet, les partis traditionnels allemands enregistrent des scores historiquement bas et doivent intégrer de nouveaux participants. Cette tendance se retrouve au niveau régional, particulièrement dans les Land de l’Est.
L’Allemagne devient-elle ingouvernable ?
Toutefois, plusieurs partis affirment leurs différences idéologiques et refusent d’entrer dans de larges coalitions. En septembre 2017, le FDP et die Grünen ont ainsi refusé de rejoindre la CDU au sein du gouvernement. Les adhérents du SPD ont récemment élu Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans, issus de l’aile gauche du parti qui pourraient faire voler en éclat la coalition actuelle . Au sein des conservateurs, la CSU se démarque progressivement de la CDU en défendant des positions de plus en plus conservatrices.
Les récents succès de l’AfD, notamment dans les Lands de l’Est, en font un acteur incontournable de la politique régionale, accroissant la tentation d’une coalition avec la droite traditionnelle ou les libéraux. Autrement, l’obtention d’un grand nombre de sièges par la gauche radicale et l’extrême droite conduiront systématiquement à des impasses si aucune ouverture n’est faite vers l’un des deux partis. Comme l’affirme Bernd Riexeniger, co-président de Die Linke, « Briser ce tabou aura de profondes conséquences ».
Le nombre de configurations encore inédites en Allemagne mais que l’on a vu proliférer en Europe : M5S-Ligue du Nord puis M5S-PD en Italie, ÖVP-FPÖ puis ÖVP-Verts en Autriche ; rend toutefois quasiment impossible de spéculer sur les prochaines coalitions gouvernementales en Allemagne.
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