Après l’euphorie provoquée par l’accord obtenu de haute lutte sur le plan de relance Next Generation EU et le Cadre financier pluriannuel de 2021 à 2027 (le “budget européen” comme on simplifie souvent dans les médias), l’heure est venue d’analyser en profondeur ce qu’implique ce paquet de 1825 milliards d’euros (1075 pour le CFP et 750 pour Next Generation EU), au regard notamment des priorités politiques affichées par la Commission von der Leyen.
Au rang de celles-ci, la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique sont érigées en chevaux de bataille pour une Union européenne qui se rêve leader incontestable dans le domaine. Dès le mois de décembre dernier, la Commission, par la voix d’Ursula von der Leyen et de son vice-président, Frans Timmermans, avaient présenté un plan ambitieux pour l’environnement : le Green Deal. Visant à rendre l’Union neutre en carbone d’ici à 2050, le Green Deal a connu un début de mise en oeuvre spectaculaire... jusqu’à la crise sanitaire qui a été un coup d’arrêt.
Toutefois, les institutions européennes se montrent confiantes quant au respect des différents objectifs environnementaux qu’elles se sont fixées. Le récent Conseil européen extraordinaire tenu du 17 au 21 juillet a ainsi été une occasion pour Charles Michel et Ursula von der Leyen (respectivement président du Conseil européen et présidente de la Commission européenne) de réaffirmer le lien entre relance, stratégie économique à long terme, et Green Deal.
Toutefois, après des négociations très difficiles entre les partenaires européens, peut-on vraiment dire que la transition énergétique et le plan de relance feront-ils bon ménage ?
Un Accord qui se veut écologique
A la lecture des conclusion du Conseil européen, la dimension environnementale du plan est mise en exergue. La sous-partie “Objectif climatique" rappelle les principaux objectifs du Green Deal, ainsi que les obligations internationales de l’UE : “L’action pour le climat sera intégrée dans les politiques et programmes financés au titre du CFP et de Next Generation EU. Un objectif climatique global de 30% s’appliquera au montant total des dépenses au titre du CFP et de Next Generation EU et se traduira par des objectifs appropriés dans la législation sectorielle. Ceux-ci respectent l’objectif de neutralité climatique de l’UE à l’horizon 2050 et contribuent à la réalisation des nouveaux objectifs climatiques de l’Union à l’horizon 2030, qui seront mis à jour d’ici la fin de l’année. En règle générale, toutes les dépenses de l’UE devraient concorder avec les objectifs de l’accord de Paris”.
L’objectif de 30% de dépenses liées aux objectifs climatiques, à la fois dans le plan de relance et le budget européen est un progrès par rapport à la proposition budgétaire précédente, où ce pourcentage ne s’élevait qu’à 25%. Sur les 1825 milliards d’euros mobilisés, cela représenterait donc presque 550 milliards d’euros, répartis sur sept ans (mais mobilisables en priorité entre 2021 et 2024). Cela peut sembler être une somme considérable, mais selon certains, c’est loin d’être suffisant pour répondre à l’ensemble des enjeux sociaux et climatiques., comme le soulignait Karima Delli lors d’un entretien avec le média Reporterre. Le Parlement européen avait en effet voté une résolution demandant la mise en place d’un plan de 2000 milliards d’euros. Les Verts français avait quant à eux préconisé la mobilisation de 3000 à 5000 milliards d’euros..
Dans le détail : des coupes dans des politiques indispensables pour la transition énergétique
En étudiant le détail des propositions du Conseil européen, le constat mitigé se confirme : on observe des coupes nettes dans le financement de politiques particulièrement utiles pour la transition énergétique et écologique.
Le fonds de transition juste, l’outil financier du Green Deal pour aider les régions dépendantes des énergies polluantes à se reconvertir, est l’une des principales victimes des négociations. Alors que la Commission avait proposé un montant de 40 milliards d’euros (7,5 milliards d’euros prévus dans le CFP et 32,5 milliards dans le plan “Next Generation EU”) dans sa communication du 27 mai dernier, seuls 17,5 milliards d’euros seront finalement mis à disposition.. Ce fonds est pourtant essentiel pour renforcer l’inclusivité territorial et social de la transition énergétique.
De nombreux observateurs ont pointé la responsabilité du “Club des frugaux” (le groupe de pays composé des Pays-Bas, de l’Autriche, du Danemark, de la Suède et de la Finlande) dans ces baisses de dotations budgétaires en échange du maintien de la solidarité budgétaire dans le plan de sauvetage. Néanmoins, la responsabilité est ici collective car c’est la prise de décision à l’unanimité pour les questions d’ordre fiscal qui bloque toute initiative ambitieuse, dans la mesure où le compromis se fait sur le plus petit dénominateur commun.
Le débat sur les ressources propres, une bombe à retardement ?
La question des ressources propres (l’argent dont dispose l’UE qui n’est pas liée à la contribution des États membres) fera également l’objet d’intenses tractations. Si les dirigeants européens ont salué l’augmentation de celles-ci, les députés européens se sont montrés plus dubitatifs. A l’heure actuelle, il n’existe en effet aucune estimation précise du poids des ressources propres. La Commission est certes en train de réfléchir sur l’élaboration d’une taxe carbone aux frontières du marché unique, d’un taxe sur les transactions financières, ou encore d’un impôt sur les grandes multinationales du numérique, les négociations promettent d’être longues et ardues. Or, la Commission et le Conseil européen tablent sur de substantielles ressources propres pour rembourser le prêt de 750 milliards d’euros. Si celles-ci n’étaient pas suffisamment mobilisables, le prochain CFP (2028-2034) pourrait connaître des coupes budgétaires bien plus importantes que ce qu’on a vu en juillet, notamment dans les politiques essentielles pour la compétitivité d’une économie européenne sobre en carbone.
Les problématiques soulevées pendant les débats du Conseil reviendront donc inéluctablement sur la table. Mais il semble y avoir eu une prise de conscience. Comme le relève Valérie Hayer , “Il faut absolument que les États sortent de cette logique délétère du juste retour, compréhensible en un sens, mais qui fait que nous retombons tous les sept ans dans les mêmes désaccords.”
Cette situation inédite doit servir de premier pas vers une autonomie budgétaire plus grande pour l’Union européenne. Les sujets de dissensions entre États membres sont encore légion mais se réduisent avec le temps. Le commerce ou les droits de l’Homme en sont un exemple. Si les États membres ont été capables de concéder une partie de leur souveraineté sur des sujets aussi sensibles que ceux-ci, ils doivent pouvoir en faire de même pour le budget de l’Union.
A quoi bon se laisser bloquer par des pingreries individuelles quand des sujets aussi importants et urgents comme la lutte contre le dérèglement climatique sont en jeu ? La situation inédite dans laquelle nous sommes a révélé que les ambitions environnementales ne font pas encore pleinement partie des priorités des États membres mais qu’ils sont bien capables de faire des concessions nécessaires quand la situation l’impose.
Il reste à savoir si l’accord européen est déjà à ranger parmi les événements historiques qui ne se reproduiront plus ou s’il constitue le premier pas vers un véritable budget fédéral pour l’Union. Peut-être cela permettra de ne pas sacrifier les ambitions environnementales sur l’autel de la relance...
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