Le Green Deal européen au défi de l’acceptabilité sociale

, par Henri Clavier

Le Green Deal européen au défi de l'acceptabilité sociale
Source : Pixabay

« Un Green Deal européen pour ralentir le réchauffement de la planète », en titrant ainsi une tribune publiée par le journal le Monde, le 10 décembre 2019, Ursula von der Leyen affichait son ambition climatique pour son mandat de Présidente de la Commission européenne. En convoquant des exemples aussi édifiants que les incendies géants à travers le monde ou la progression croissante des déserts, Ursula von der Leyen entendait convaincre les lecteurs de l’ampleur du Green Deal porté par la nouvelle Commission. Un peu moins de trois ans plus tard, la machine législative européenne est lancée et après un accord au Parlement européen courant juin, le Conseil de l’Union européenne s’est également accordé sur le texte les 27 et 28 juin. Le compromis entre les eurodéputés et le Conseil sera-t-il à la hauteur des ambitions d’Ursula von der Leyen ? Rien n’est moins sûr.

“Fit for 55” : Un approfondissement considérable de la politique climatique de l’Union européenne

Le paquet législatif “Fit for 55” actuellement discuté par les co-législateurs entend achever l’un des objectifs principaux du Green Deal à savoir la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Le succès de “Fit for 55” dépend autant de l’ambition des mesures que de leur niveau d’acceptabilité sociale par la population européenne. Ce premier train législatif, préparé par les équipes du Commissaire européen au Green Deal, Frans Timmermans, s’attaque entre autres à la réforme du marché carbone européen (mis en place en 2005), à la mise en place d’un Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), à la création d’un Fonds social pour le climat ou encore la fin de la vente des voitures neuves rejetant du CO2. Un contenu dense qui traduit fidèlement la volonté de la Commission européenne d’adresser une réponse globale à la crise climatique. Le MACF vise à instaurer une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, complétant ainsi le marché carbone uniquement applicable aux entreprises européennes. Il s’agit donc à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), de lutter contre le dumping environnemental et de générer des ressources propres pour l’Union européenne. Le marché européen du carbone permet actuellement de fixer un plafond d’émissions de GES dans les secteurs de l’industrie et de la production d’énergie et couvre actuellement 36 % des émissions de GES. La réforme du marché carbone entend mettre fin aux quotas gratuits accordés à certains secteurs en tension (comme l’aviation) mais aussi inclure de nouveaux secteurs : le transport et le bâtiment. Une telle ambition implique nécessairement des négociations intenses et complexes tant avec les États membres qu’avec les eurodéputés. Si États et eurodéputés semblent partagés sur la temporalité des mesures (les eurodéputés se sont accordés sur une réduction graduelle des quotas gratuits entre 2027 et 2032) leur ampleur ainsi que les secteurs à inclure dans le nouveau marché carbone, l’une des principales inquiétudes émerge de l’acceptabilité sociale de la nouvelle législation. Le président de la commission Environnement (ENVI) du Parlement européen, Pascal Canfin, déclarait dès janvier 2022 « Il faut éviter un effet « gilets jaunes » européen ». En effet, que cela soit en interdisant la vente de voitures neuves émettant du CO2 ou en incluant les secteurs du transport et de l’habitat au marché carbone, on redoute la naissance d’une fronde sociale au niveau européen. L’inclusion de nouveaux secteurs dans le marché carbone ainsi que l’entrée en vigueur du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières risque d’impacter le pouvoir d’achat des ménages. Le coût de la taxe carbone sera directement répercuté sur le prix du produit commercialisé sur le marché européen. La mise en place d’un Fonds social pour le climat apparaît donc indispensable afin d’assurer une transition juste et équitable.

La crainte croissante d’un mouvement des “gilets jaunes” européen

La crainte d’un mouvement assimilable à celui des gilets jaunes en Europe instillée par le personnel français à Bruxelles depuis le début des discussions sur le paquet “Fit for 55” semble de plus en plus partagée par les partenaires européens. Une peur légitime dans la mesure où en 2020, 95 millions d’Européens étaient considérés comme vulnérables et au bord de la pauvreté. Or, la taxation croissante du carbone entraînera logiquement une hausse des prix significative sur les biens consommés par les citoyens européens. Le poids de la lutte contre le réchauffement climatique pèsera donc significativement sur les franges les moins favorisées de la population, conséquence inique de la lutte contre le dérèglement climatique. Pire, ce schéma semble être le meilleur moyen de déclencher une contestation globale contre la politique climatique menée par l’Union et pourrir le débat sur le réchauffement climatique. Ici, réside certainement le cœur des problèmes rencontrés dans l’élaboration des politiques climatiques. Les gilets jaunes n’incarnaient pas le rejet de la lutte contre le réchauffement climatique, mais plutôt le refus d’une politique climatique unijambiste, centrée sur les consommateurs. En ciblant spécifiquement les automobilistes, la taxe carbone française entendait reprendre le célèbre principe du pollueur-payeur, mais occultait tragiquement la prise en compte de la sociologie des automobilistes français souvent habitants de zones périurbaines et dépendants de leurs véhicules. La défaillance du réseau de transports en commun français est d’ailleurs un facteur aggravant de la crise des gilets jaunes, le territoire français étant très inégalement doté. À travers ce mouvement, c’est une demande pour plus de justice sociale et plus de démocratie directe qui se formulait. L’exemple des “gilets jaunes” ne doit donc pas être brandi comme un chiffon rouge mais davantage comme une boussole pour la réussite du paquet législatif “Fit for 55”.

Bataille rangée sur le Fonds social pour le climat

L’équité des mesures sera donc un élément déterminant du succès ou non de “Fit for 55”. Assurer l’équité passe nécessairement par la prise en compte des différences d’émissions des individus. Si 50 % des Européens rejettent individuellement une moyenne de 4 tonnes de CO2/an, le bilan est dix fois plus élevé chez les 1 % les plus riches. La gratuité des quotas pour le secteur aérien peut également être perçue comme une source de crispations dans la mesure où plus de 40 % des émissions de GES du top 1% des émetteurs provient du transport aérien. Pour répondre à ces préoccupations et assurer une transition socialement juste, la proposition de la Commission européenne prévoyait la création d’un Fonds social pour le climat dès 2025 devant atteindre la somme annuelle de 72 milliards d’euros à partir de 2032. La Commission proposait également que le FSC soit financé à hauteur de 25 % des recettes dégagées par le nouveau marché carbone. L’exécutif européen entend conditionner l’octroi du FSC à la présentation d’un plan national d’action climatique afin de s’assurer que les fonds participent directement au renforcement de l’acceptabilité sociale du paquet “Fit for 55” (rénovation énergétique des bâtiments, développement du réseau de transports en commun, soutien au développement des véhicules électriques, aide directe aux ménages). Le 22 juin 2022, les parlementaires européens ont voté en faveur de la création du nouveau marché carbone incluant le bâtiment et les transports mais aussi pour la création d’un Fonds social pour le climat sur la base de la proposition de la Commission européenne. Pour sa part, le Conseil a formulé une position commune le 28 juin après 18 heures de négociations. Le compromis trouvé par le Conseil prévoit notamment de plafonner le FSC à hauteur de 59 milliards d’euros et de limiter à 35 % son utilisation pour des aides directes aux revenus, tout en repoussant son entrée en vigueur à 2027. Le rabaissement des ambitions du paquet législatif par le Conseil pourrait préfigurer le début d’une opposition à la politique climatique de l’Union. Enfin, outre le FSC, véritable pierre angulaire de l’acceptabilité sociale des politiques climatiques de l’UE, afin d’éviter une forte opposition sociale, il s’avère essentiel de développer la transversalité et l’interconnexion des politiques entre elles. À ce titre, il n’apparaît pas souhaitable de se dispenser d’un renforcement de la participation des citoyens européens au processus législatif ou d’une augmentation générale de l’investissement dans les transports publics.

Les réunions en trilogue (entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne) pour l’adoption du paquet “Fit for 55” devraient commencer à partir de septembre. Des négociations qui s’annoncent d’ores et déjà difficiles au vu de l’ampleur de la législation mais qui ne doivent pas négliger l’acceptabilité sociale du paquet législatif.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom