Le journalisme dans une « démocratie illibérale » : un entretien avec Adam Magyar, journaliste d’Euronews en Hongrie

, par Kimberley Mannion, traduit par Jérôme Flury

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Le journalisme dans une « démocratie illibérale » : un entretien avec Adam Magyar, journaliste d'Euronews en Hongrie

Être un journaliste en Hongrie n’est pas chose aisée. Les missions clichées mais authentiques du journaliste, dire la vérité, écrire un résumé équilibré sur une première ébauche de l’Histoire, sont difficiles à atteindre dans une « démocratie illibérale ».

Ádám Magyar est un jeune journaliste d’Euronews basé à Budapest. Intéressé par les relations internationales et amateur d’écriture, le journalisme semblait être la voie professionnelle à suivre. Kimberley Mannion, du New Federalist, a discuté avec lui pour comprendre à quoi ressemble le début d’une carrière journalistique dans un tel climat d’hostilités.

Travaillant pour Euronews, Ádám fait partie d’une minorité de journalistes indépendants dans le pays. Pour un organe de presse international, certains des défis que d’autres journalistes indépendants pourraient avoir avec l’administration Orbán ne sont pas si intéressants pour l’entreprise. La rédaction couvre surtout les informations étrangères, ce qui n’attire pas une audience importante dans le pays, ainsi le gouvernement ne la considère pas comme un « ennemi important », comme l’explique Ádám. De plus, elle a le soutien de l’Union européenne, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte des relations tendues entre le pays et l’Union.

Les médias en Hongrie ont connu une centralisation croissante au cours des dernières années. En 2018, près de 400 organes de presse ont été rassemblés pour devenir KESMA, la fondation de la presse et des médias de l’Europe centrale, leur traitement médiatique est devenu de plus en plus généreux envers le Premier ministre Viktor Orbán et le parti au pouvoir, le Fidesz.

« Dans tous ces organes de presse, le message sur un sujet au hasard reste le même, parce qu’il est choisi par le gouvernement », explique Ádám. Quelques-uns des médias en ligne les plus populaires restent indépendants, mais les citoyens qui n’y ont pas accès ou qui ne vont pas chercher activement pour les trouver entendront exactement ce que le gouvernement souhaite qu’ils entendent.

Lors d’une conférence de presse, Viktor Orbán a annoncé certaines mesures qui pourraient être importantes pour de nombreux citoyens hongrois. Il a en effet déclaré que les citoyens ne pourraient pas savoir quel vaccin ils recevront avant d’arriver sur place et que s’ils n’aimaient pas la version qui leur était donnée, ils pouvaient faire la file.

Bien qu’ayant clairement un intérêt médiatique, ces commentaires n’ont pas été rapportés par les organes de presse favorables au gouvernement et qui plus est étaient quasiment les seuls autorisés à assister à la conférence. Les journalistes indépendants comme Ádám l’ont seulement découvert parce que l’agence Associated Press y a assisté et a enregistré la déclaration dans son intégralité. Quelques jours plus tard, un ministre a nié cette affirmation et a déclaré l’inverse. « Le Premier ministre a certainement commis une erreur » à propos de l’information, devine Ádám. Le manque de transparence et les communications contradictoires ont été les grandes thématiques du gouvernement hongrois tout au long de la pandémie.

Le travail quotidien des journalistes est nettement plus difficile pour Ádám que pour les collègues d’Euronews oeuvrant dans un autre État membre qui bénéficie de conditions plus favorables à la presse. Il est souvent difficile d’obtenir les informations nécessaires à un sujet, parce que le gouvernement les retient et refuse de s’adresser aux journalistes autres que ceux du bloc médiatique central.

« Bien sûr les journalistes doivent être objectifs, mais c’est difficile quand vous ne pouvez pas avoir le point de vue du gouvernement sur des questions dont ils ne veulent pas parler », développe Ádám. Les médias indépendants comme Euronews cherchent à dresser le tableau complet d’une histoire avec toutes ses nuances, mais cet objectif est souvent impossible à atteindre en Hongrie.

Pendant la crise de la Covid-19, des agences comme Euronews auraient aimé filmer dans les hôpitaux, sur la ligne de front de la Covid, pour sensibiliser les téléspectateurs sur la pandémie, comme l’ont fait des équipes comme Sky News lorsque l’Italie a été le premier pays d’Europe à subir les foudres du virus mortel. Leurs reportages ont été très appréciés, car ils ont permis aux citoyens de réfléchir sérieusement et de changer leur comportement, en se rendant compte qu’il ne s’agissait pas d’une grippe ordinaire. L’équipe d’Ádám à Euronews a pu réaliser un reportage depuis un hôpital slovaque, ce qui était d’après eux une production journalistique importante. Malgré des demandes répétées, le gouvernement hongrois n’a jamais autorisé un tel reportage.

Comme plusieurs gouvernements à travers la planète, la Hongrie voulait soutenir le secteur de l’art, l’un des plus touchés par la récession. Ainsi, il a parrainé des groupes pour qu’ils se produisent en concert. Cela ne s’est pas réalisé sans controverse et secret. L’un des groupes invités a joué des chansons anti-gouvernementales, dont l’une s’intitule "Viktor". L’enregistrement final avait bien sûr censuré ces chansons.

Un acteur qui avait participé au concert du groupe aurait prétendument été battu après le show, comme il l’a rapporté sur Facebook. « C’est un autre sujet sur lequel je voulais un commentaire du gouvernement parce que nous n’avons qu’une version de l’histoire, mais je n’ai jamais eu de réponse », explique Ádám. Un journaliste ne peut pas donner un compte rendu équilibré d’un événement si l’une des parties ne veut pas s’engager.

Le gouvernement contrôle les médias du pays grâce à l’argent de la publicité. Il pompe de l’argent dans les médias loyaux dont les pages sont ornées de publicités financées par le gouvernement. La Hongrie est un marché relativement petit et, par conséquent, peu d’entreprises indépendantes souhaitent investir beaucoup dans la publicité dans les médias. Les journalistes indépendants peuvent écrire ce qu’ils souhaitent, ils ne sont pas menacés et leur sécurité physique n’est jamais en danger - c’est le manque de fonds qui tue de plus en plus de leurs médias.

L’année dernière, Index, l’un des plus grands médias indépendants en ligne, a été complètement restructuré, ce qui a constitué un coup dur pour les défenseurs de la liberté de la presse. La situation n’est pas noire et blanche dans la mesure où le gouvernement a forcé la refonte ; en effet, les entreprises qui le finançaient ont été reprises par des partisans du gouvernement, ce qui a conduit le conseil d’administration à licencier le rédacteur en chef et les journalistes du personnel à démissionner.

Ádám n’est pas optimiste au moment d’évoquer le futur des médias en Hongrie. De plus en plus de médias indépendants ferment chaque année et le Conseil hongrois des médias est peuplé de loyalistes du Fidesz. « Si cette tendance se poursuit, il sera de plus en plus difficile de trouver un endroit où travailler si vous voulez être un journaliste indépendant. C’est la raison pour laquelle je me considère très chanceux de travailler pour Euronews. Il y a beaucoup de journalistes indépendants qui veulent travailler, mais ils ont de moins en moins d’endroits pour le faire. »

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