C’est un jeu de chaises musicales auquel nous avons pu assister à la Commission européenne : alors que le désormais ex-Secrétaire général de la Commission, Alexander Italianer, a démissionné - il était en poste depuis septembre 2015 - c’est Martin Selmayr qui lui succède, lui-même remplacé par son adjointe auprès de Jean-Claude Juncker. [1]
Un parcours fulgurant
Cet allemand de 47 ans a gravi les échelons de l’administration européenne à une vitesse phénoménale, passant en l’espace de dix ans de porte-parole de commissaire à directeur de cabinet de la présidence de la Commission. [2] De formation juridique, il a commencé sa carrière au sein de la Banque centrale européenne (BCE), avant de rencontrer Elmar Brok, membre du Parti Populaire Européen (PPE), qui l’a fait intégrer les équipes de Jean-Claude Juncker.
L’éminence grise du Berlaymont
Martin Selmayr est doté d’une capacité de travail sans précédent - capable de réciter les traités selon ses admirateurs - qu’il a su utiliser pour servir sa carrière, mais aussi pour contrôler le Berlaymont (le siège de la Commission européenne à Bruxelles).
« Juncker a plus besoin de lui que lui de Juncker » [3] Cette phrase attribuée à un eurocrate peut parfaitement résumer la situation à la Commission : Jean-Claude Juncker est inaccessible, alors tout passe par lui, Martin Selmayr... à se demander qui porte réellement la culotte ! Il agit comme un filtre opaque allant jusqu’à doubler les commissaires chargés du plan Juncker en 2015 en négociant directement avec le Parlement et les Etats.
C’est lui qui dirige en réalité l’administration de la Commission et ce depuis 2014, lorsqu’à l’arrivée de Juncker comme Président, le règlement intérieur a été changé, confiant à la présidence le pouvoir de nommer aux postes de direction, ce qui revient en substance à laisser Martin Selmayr le soin de choisir avec qui il travaille, ou qui travaille pour lui.
Garder le pouvoir plutôt que le prendre
A un peu plus d’un an des élections européennes et donc de la fin de la présidence Juncker, la nomination de Selmayr à la tête du Secrétariat général [4] apparait comme une manœuvre qui lui assure de garder le pouvoir qu’il a acquis jusqu’ici, en témoigne le peu de temps laissé entre l’annonce à l’ordre du jour de sa nomination et de son officialisation par Jean-Claude Juncker. Une manière d’empêcher les commissaires - qui ont entériné la nomination - de s’organiser ? A en faire pâlir les scénaristes de House of Cards.
D’autant plus que c’est Clara Martinez Alberola qui le remplace au cabinet de la présidence, elle était auparavant son adjointe, lui permettant en quelque sorte de garder une main sur ce poste.
Juncker a tout de même posé une condition : cette nomination « devra être confirmée par le prochain Président de la Commission » ; de quoi nous rassurer ? Selmayr aurait jeté son dévolu sur Michel Barnier - actuel négociateur en Chef de l’Union européenne pour le Brexit - qui, s’il est désigné par le PPE comme tête de liste aux européennes est quasiment assuré de devenir le prochain Président de la Commission européenne.
Une si mauvaise nouvelle ?
On ferait passer Martin Selmayr pour le diable, mais l’Union européenne pourrait avoir besoin d’hommes et de femmes de ce tempérament, outrepassant les divergences, imposant leur vision de l’Europe, c’est la garantie d’une administration et d’une Union qui avancent. Tout dépendra du sens donné à cette marche, au service de l’Union ou au service de Selmayr ? En effet, au contraire du fonctionnement de l’administration en France, qui est au service du politique, l’administration de l’Union européenne, et plus précisément de la Commission, apparait plus indépendante de l’action politique que sa cousine française.
Le Berlaymont compte 23 000 fonctionnaires (et 8 000 contractuels) qui sont répartis dans les différentes directions générales et services. En France, les membres du gouvernement sont les chefs de leurs services. Or, ce fonctionnement est assez difficile au sein de la Commission, les commissaires étant nommés après de longues tractations politiques entre les différents Etats membres, chacun cherchant à obtenir les « portefeuilles » les plus stratégiques, de ce fait les différentes directions ne sont pas directement liées à un Commissaire - certainess pouvant même se retrouver sans direction - ce qui pousse ces dernières à agir d’une manière plus indépendante, à mettre en œuvre leur vision de l’Union européenne. Ce mécanisme qui peut avoir ses avantages - une continuité dans l’action de la Commission - dessert malheureusement l’image de l’Union européenne, régulièrement accusée de ne pas être assez proche des citoyens. Ce fonctionnement donne l’opportunité à ses détracteurs de la qualifier de technocratique.
On peut espérer que ce mécanisme tendra à s’estomper, avec la nomination du Président de la Commission qui échappe de facto depuis 2014 aux chefs d’Etat et de gouvernement européen grâce au « Spitzenkandidat » porté par le Parlement - et qui semble remis en cause par les chefs d’Etat ces derniers jours [5] - et qui voit la tête de liste du parti européen vainqueur des élections européennes prendre la tête de la Commission. On peut donc espérer que dans ce sillage, les Commissaires pourront acquérir une légitimité plus démocratique dans leurs fonctions.
Est-ce dans l’intérêt de Martin Selmayr de voir des Commissaires plus légitimes ?
Lui qui tient désormais les rênes de la Commission, et donc de l’administration, dispose des moyens de mettre en œuvre sa vision de l’Union européenne. A la condition qu’il souhaite renforcer l’aspect démocratique de l’Europe, il apparait aujourd’hui étonnant, au regard de son parcours, que Martin Selmayr œuvre pour une Europe plus transparente. D’ici là, notre cher eurocrate devra justifier de sa nomination au poste de Secrétaire général, car comme l’a souligné Jean Quatremer [6] , celle-ci parait outrepasser les procédures de la Commission. L’affaire reste donc à suivre. Nous laisserons le mot de la fin à l’un de ses illustres compatriotes, Wolfgang Schäuble [7] : « Quelle est la différence entre Martin Selmayr et Dieu ? Dieu sait qu’il n’est pas Martin Selmayr ! ».
1. Le 10 mars 2018 à 15:58, par giraud En réponse à : Le legs de Juncker à la Commission : Martin Selmayr
En France, le secrétaire général du Gouvernement est nommé par le Président, le Conseil de Ministres « entendu ». https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030317097
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