Le marché unique : une promesse vieille de trente ans met l’Union européenne à l’épreuve

, par Paul Gelabert Y Nuez

Le marché unique : une promesse vieille de trente ans met l'Union européenne à l'épreuve
Débat de plénière du Parlement européen intitulé « Il est temps de réaliser un marché unique pleinement intégré : la clé de la croissance et de la prospérité future de l’Europe », le 7 octobre 2025. © European Union 2025 - Source : EP

Le 7 octobre dernier, les députés européens se réunissaient à Strasbourg pour une session plénière du Parlement européen consacrée notamment au marché unique. Le débat avait pour objectif de faire état de la situation actuelle du marché intérieur et d’identifier les réformes nécessaires pour relancer la compétitivité européenne. Fondé il y a trente ans, le marché unique devait être un moteur économique pour l’Union européenne, devant lui permettre d’être compétitive sur la scène internationale. Cependant, ce projet n’a cessé de rencontrer des obstacles à sa pleine réalisation : les normes entre les pays membres qui diffèrent, la lourde charge administrative découlant de cette hétérogénéité normative, et l’inégalité d’accès au marché unique entre les petites et les grandes entreprises.

Ainsi, ce débat a pu mettre en lumière les oppositions idéologiques des différents groupes au Parlement européen. Entre ceux qui considèrent qu’il faut davantage libéraliser le marché unique, et ceux qui pensent que celui-ci accentue les inégalités, les échanges ont été vifs. Lorsque certains critiquent l’immobilisme de la Commission européenne sur le sujet, d’autres l’accusent de créer un enchevêtrement administratif impossible à surmonter. Entre compétitivité, justice sociale et souveraineté des nations, le marché intérieur déchaîne les passions. Que faut-il privilégier ? Quelle forme le marché unique européen doit-il prendre ? Et comment doit-il s’articuler ?

L’uniformisation des normes entre les États membres : la solution à un marché unique fonctionnel ?

Dès l’introduction du débat, la complexité et la diversité des normes entre les Etats membres a été désignée comme le principal obstacle à un marché pleinement unique et efficace. Il est considéré par plusieurs groupes politiques du Parlement européen comme étant l’atout principal de l’Union européenne pour être compétitive et peser sur la scène internationale. Cependant, dans l’état actuel, il n’est pas efficient. Et cela serait principalement dû au “protectionnisme des États membres qui en est le plus grand obstacle” comme le défend le Parti populaire européen (PPE/centre-droit) par la voix du député espagnol Pablo Arias Echeverría. Pour le PPE, l’uniformisation administrative entre les pays européens est nécessaire pour relancer la croissance européenne. Il est essentiel d’avoir une seule règle commune au marché unique, et non pas 27 différentes qui génèrent de l’insécurité juridique pour les entreprises.

D’ailleurs, le protectionnisme des États membres, sous prétexte de conserver leur souveraineté nationale, pousse l’Union européenne à devoir se soumettre à des “frankensteins législatifs” dénonce Aurore Lalucq, eurodéputée française du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) lorsqu’elle défend la nécessité d’une Europe fédérale. Elle reproche qu’il faille sans cesse “bricoler des arrangements” qui finissent par donner des textes incohérents uniquement afin de satisfaire les États membres. Ceux-ci seraient ainsi les principaux responsables de l’inefficacité du marché unique européen alors même que ceux-ci accusent Bruxelles d’en être à l’origine.

En somme, le PPE et S&D sont en faveur d’une uniformisation administrative, de règles communes et simples pour un marché unique efficace. Bien que partagée par plusieurs formations politiques, cette opinion n’est pas unanime. D’autres groupes politiques, dont le groupe des Verts/ALE, souhaitent en premier lieu un nouveau modèle de marché unique basé sur la justice sociale et l’écologie.

“Les considérations sociales et écologiques doivent être centrales pour un projet viable”

Dans le contexte actuel des multiples paquets de simplification de la législation européenne dits “omnibus” présentés par la Commission européenne, le groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE) fait part de sa préoccupation quant à la direction empruntée par l’exécutif européen, laquelle s’apparente à une dérégulation présentée comme remède aux défis actuels. Ils prônent un autre modèle de marché, qui ne serait pas basé uniquement sur des critères économiques. “La vigueur de notre modèle social et environnemental est une condition sine qua non de notre marché unique” exprime l’eurodéputée française du groupe écologiste Marie Toussaint. Elle ajoute que le marché unique ne peut pas se construire simplement en supprimant des normes nationales et en tirant vers le bas toutes les normes sociales, environnementales et fiscales qui sont une nécessité pour un modèle durable. Il faut laisser une marge de manœuvre aux États membres d’être “plus exigeants dans l’encadrement des entreprises polluantes”. Cette marge de manœuvre est également nécessaire lorsqu’il est question d’instaurer des standards sociaux plus élevés. En effet, tous les pays n’ont pas la possibilité d’être exigeants. En revanche, pour ceux qui le peuvent, l’opportunité doit leur être laissée. En clair, une uniformisation vers le bas reviendrait, selon le groupe les Verts, à bafouer toutes les avancées en faveur de l’écologie et de la justice sociale pour lesquelles certains États membres ont lutté. “Il faut prendre ce qu’il y a de meilleur de l’Europe pour créer notre socle commun” termine Marie Toussaint.

Ainsi, la vision d’un marché unique comme une nécessité est partagée, mais les piliers de celui-ci diffèrent. D’autres groupes politiques sont eux totalement en défaveur de toute forme d’unité de marché, qui sont décrits comme une nouvelle perte de souveraineté des États membres.

L’opposition radicale fustige le marché unique en faveur de la souveraineté nationale

Lorsque la convergence des normes fiscales des États membres a été évoquée pour rendre le marché unique plus dynamique, les groupes de droite radicale et d’extrême droite se sont insurgés, remettant en cause la politique menée par la Commission. Selon eux, cette politique d’uniformisation a mené “la France à la faillite, l’Allemagne à la récession et l’Italie à la stagnation” estime Rada Laykova, député bulgare membre du groupe d’extrême droite Europe des Nations Souveraines (ESN). Pour ces groupes attachés à une souveraineté accrue des nations, les différences entre chaque État membre sont un moteur pour la concurrence. L’argument de l’uniformisation ne serait qu’une simple façade pour “donner à Bruxelles toujours plus de contrôle” et forcer les États membres à déléguer encore davantage une part de leur souveraineté.

Certains députés d’extrême droite, comme le polonais Jacek Ozdoba du groupe Conservateurs et Réformistes Européens (CRE), n’hésitent pas à engager directement la responsabilité de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en la tenant personnellement responsable de l’échec européen dans la fragilisation des entreprises et la perte d’emplois en Europe : “Nous observons cette agonie, qui représente un danger : perte de souveraineté (…) Et à tout cela, la réponse se trouve ce jeudi : vous pouvez destituer Ursula von der Leyen [Les groupes Patriotes pour l’Europe (PfE) et The Left ont chacun déposé une motion de censure à son encontre. Aucune n’a abouti] .”

Ces prises de parole de la part des groupes d’extrême droite de l’hémicycle ne sont pas nouvelles. Ces groupes sont en effet habitués à ce type de politiques pragmatiques. À une problématique complexe, une réponse simple : la bureaucratie de Bruxelles est responsable.

Quel avenir pour le marché unique ?

En conclusion de ces débats, Stéphane Séjourné, commissaire français, a rappelé que la présidente de la Commission a annoncé la présentation à venir d’une feuille de route à l’horizon 2028 pour achever le marché unique européen. Il termine en évoquant que “S’atteler concrètement à la réforme du marché unique, c’est renouer avec l’ambition”. Mais cette ambition est-elle vraiment réaliste au vu du paysage politique actuel de l’Union européenne ? Les partis populistes et nationalistes ne cessent de gagner du terrain dans beaucoup d’Etats membres. Ceux-ci étant en parfaite opposition avec l’uniformisation des normes, la question de savoir si le marché unique, tel qu’évoqué lors de ces débats, est réalisable reste légitime.

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