Le Parlement plutôt que le Président

, par Vincent Doillet

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Le Parlement plutôt que le Président

L’Union européenne devrait-elle un jour être dirigée par un Président unique, élu au suffrage universel direct ? Faut-il privilégier le présidentialisme ou bien le parlementarisme ? Le sujet fait débat au sein même de nos rédacteurs. Voici une seconde opinion sur le sujet.

A priori, l’élection d’un Président de l’Union européenne au suffrage universel direct permettrait de donner à l’Union une légitimité démocratique forte en donnant une incarnation au pouvoir politique de celle-ci. La question « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » serait enfin résolue et un Président élu par 500 millions d’européens aurait un poids considérable sur la scène internationale face aux grandes puissances. Toutefois, une telle élection comporte des risques pour l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Union européenne.

Le risque de la personnalisation du pouvoir

Le premier risque d’une élection au suffrage universel direct est la personnalisation du pouvoir. En effet, une personnalité politique élue par l’ensemble des européens pourrait, si les traités ou une future Constitution ne l’en empêche pas, être tentée par l’aventure personnelle. Le risque ici tient autant aux institutions européennes futures et au caractère plébiscitaire d’une telle élection. Dans le cas où la Constitution européenne serait inspirée de l’actuelle Constitution française, un exercice du pouvoir « jupitérien » est certain. En outre, une élection au suffrage universel pousse à choisir une personne plutôt qu’un programme. Les élections présidentielles françaises démontrent, les unes après les autres, que la personnalité des candidats est davantage scrutée que leurs programmes respectifs. Par exemple, lors du scrutin de 2017, François Fillon a perdu bien plus d’électeurs à cause des innombrables affaires qui ont émaillé sa campagne que de son programme et Jean-Luc Mélenchon doit en grande partie son score remarquable à sa prestation lors des débats télévisés à plusieurs candidats.

Le spectacle remplace les idées

Si on organisait de tels débats à échelle européenne, cela serait la consécration du remplacement de la démocratie d’idées par le spectacle. Imaginez seulement un spécialiste du discours démagogique se présentant à une telle élection. Les débats organisés entre tous les candidats ne manqueraient pas de lui donner l’avantage sur ses concurrents et de le propulser vers le pouvoir. On imagine aisément les dégâts que provoqueraient son passage à la tête de l’Union en termes d’image internationale. L’attrait pour le spectacle des électeurs favoriserait à coup sûr une personnalité à l’ego surdimensionné, se rêvant en sauveur suprême de l’Europe, au détriment de personnalités au caractère plus tempéré, sans doute meilleures dans leur exercice du pouvoir.

« Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c’est abdiquer » écrivait en 1976, Pierre Mendés France dans son ouvrage La vérité guidait leurs pas. L’un des plus virulents contempteurs de la Vème République avait justement prophétisé des dérives accentuées depuis vers la personnalisation outrancière du pouvoir en France. Enfin, une élection d’une si grande importance créerait une atmosphère de guerre civile entre factions plus qu’entre leaders de partis politiques. Une campagne centrée sur la personne d’un.e candidat.e engendrerait un climat plus propice à la confrontation entre candidats à l’ego démesuré exaltant des foules qu’à un sain débat d’idées.

Déséquilibre des pouvoirs entre Parlement et Président, à l’avantage de ce dernier

En outre, l’élection d’un Président de l’UE au suffrage universel direct instaurerait un conflit de légitimité avec l’autre institution élue : le Parlement européen. L’un des principaux combats des militants fédéralistes européens étant le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, il serait totalement illogique de voir l’institution qui doit être le cœur de la démocratie européenne s’affaiblir au profit de l’élection d’une personne, aussi compétente et charismatique soit-elle. En effet, l’élection d’un homme ou d’une femme de cette manière mènerait à faire des élections des députés européens une élection inférieure à celle du Président de l’UE, surtout si l’élection présidentielle précède celle des députés.

Une solution alternative : Un Président élu par un collège électoral et un régime primo-ministériel

Mais puisqu’après tout il faudra bien avoir un Président de l’Union européenne afin que celle-ci ait un représentant identifiable par tous, il convient d’élire celui-ci au suffrage indirect tout en limitant ses pouvoirs à ceux d’« inaugurer les crysanthèmes ». Le Président de l’Union européenne serait ainsi élu par un collège de parlementaires et d’élus locaux des États membres. Il serait choisi pour son indépendance par rapport aux partis politiques et sa moralité personnelle, devenant le Président de tous les européens. La réalité du pouvoir serait exercée par un Premier Ministre, remplaçant le Président de la Commission, nommé en fonction du résultat de l’élection des députés et donc sur un programme politique, pour une durée inférieure à celle du mandat du Président, de façon à déconnecter totalement ces deux élections. Ainsi, l’Union européenne serait incarnée par une personnalité mais la vie démocratique garderait toute sa force et son intérêt dans un régime primo-ministériel où l’opposition parlementaire conserverait tout son pouvoir. L’absence d’élection du chef de l’exécutif ailleurs en Europe n’a jamais empêché l’émergence de leaders politiques forts : Helmut Schmidt, Helmut Kohl, Angela Merkel, Felipe Gonzalez ou même Margaret Thatcher en témoignent.

De grâce, n’infligeons pas le présidentialisme français aux européens !

Vos commentaires
  • Le 2 mai 2018 à 06:57, par Araucarias En réponse à : Le Parlement plutôt que le Président

    Il y a déjà un premier déséquilibre auquel il faudrait peut-être remédier, c’est que le Parlement européen ne dispose pas de l’initiative législative (à l’instar de la pratique française) ; la Commission ayant le monopole des propositions de loi. De même, ce Parlement est toujours hors jeu, en ce qui concerne les politiques économiques et budgétaires de la zone euro. Et enfin même chose, concernant la politique européenne d’une sécurité qui serait dite commune.

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