Une histoire de la corruption
La situation actuelle au sein de l’Europe de l’Est peut s’expliquer de plusieurs manières, dont une historique : les pays membres de l’Europe de l’Est sont apparus bien plus tard, sous la pression de grands empires comme l’Autriche, l’Empire Ottoman ou la Russie.
En Europe de l’Est, le gouvernement tire ses origines du centre, puis s’est étendu graduellement pour inclure d’autres régions, ce qui contourne la culture de gouvernance locale qui n’a jamais fait défaut à l’Allemagne. Une période turbulente d’entre-deux-guerres a ouvert la voie à une période prolongée de règne communiste, dans laquelle la corruption née dans les partis s’est enracinée dans le système politique et administratif à tous les niveaux.
Laissée en suspens par l’histoire en 1989, l’Europe de l’Est s’est tournée vers ses homologues occidentaux plus riches, démocratiques et libéraux. De ce fait, elle dut modifier son système et montrer des signes significatifs d’amélioration. Plus tard, la Roumanie et la Bulgarie rejoignirent l’Union européenne, et furent placées sous le Mécanisme de Coopération et Vérification (MCV), un outil mis en œuvre par la Commission qui est censé mesurer l’efficacité de la réforme judiciaire et la lutte contre la corruption dans les deux Etats membres.
Le MCV vise à surveiller les progrès enregistrés par la Roumanie et la Bulgarie dans ces domaines, après leur adhésion à l’Union européenne. En utilisant plusieurs sources, y compris la société civile et les organisations internationales, la Commission a pu rendre compte de l’avancée des efforts de lutte contre la corruption dans les deux pays, et recommande un plan d’action plus poussé.
Gouvernement vs. Système judiciaire
Cependant, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie reviennent tous sur leurs réformes en ce qui concerne le judiciaire. Par exemple, jusqu’en 2012, la Roumanie améliorait sa moyenne petit à petit, montrant une hausse de la confiance que son peuple plaçait dans l’état de droit et l’impartialité des juges. Mais les sociaux-démocrates, au pouvoir en Roumanie depuis 2012 avec les libéraux-démocrates, leurs partenaires au sein de la coalition, ont organisé une refonte du système judiciaire depuis qu’ils ont gagné les élections, principalement en utilisant les ordonnances gouvernementales d’urgence, contournant ainsi le Parlement.
Contestées et débattues, y compris au sein de la coalition gouvernementale, certaines ordonnances d’urgence concernent directement la Direction Nationale Anticorruption (DNA). Dans ce qui ne peut être décrit que comme un revers de la Pologne – le Parti Loi et Justice au pouvoir en Pologne a abaissé l’âge de la retraite pour les juges de la Cour Suprême, ce qui a poussé beaucoup d’entre eux vers la sortie – les sociaux-démocrates roumains ont augmenté le nombre d’années d’activité requises pour qu’un procureur puisse faire partie de la DNA. À ce titre, dix ans d’expérience en tant que procureur seront requis pour qu’un candidat devienne admissible, et quinze ans pour devenir Procureur général, alors qu’actuellement la Procureure générale elle-même n’avait besoin que de huit ans d’expérience. Comme toutes ces règles, ainsi qu’une autre qui demande de réussir un concours pour être employé au sein de la DNA, seront appliquées à l’institution actuelle, tous ses procureurs risquent d’être licenciés.
La Constitution roumaine établit que les procureurs travaillent « sous l’autorité du ministère de la Justice », chose que la Cour suprême de Roumanie a récemment renforcé. Ce même ministre de la Justice au pouvoir renforcé tente à présent ses chances pour le poste de Procureur général de la DNA auprès du Président (qui ne peut refuser qu’une seule candidature), malgré avoir reçu un avis négatif du Conseil Supérieur de la Magistrature.
En Roumanie et partout en Europe de l’Est, le judiciaire est de plus en plus politisé, brisant ainsi l’un des principes fondamentaux de la démocratie (énoncé en premier par Montesquieu) : la séparation des pouvoirs au sein de l’Etat.
Le Parquet Européen
L’Union européenne ne peut pas permettre à ses membres les plus récents, dont les habitants ont parmi les taux les plus bas de participation aux élections européennes, de tomber entre les mains de la corruption et d’un abus de pouvoir omniprésent.
Le budget de l’Union pour le développement régional et la politique de cohésion entre 2021 et 2027 est à présent fixé à environ 373 millions d’euros. Les dirigeants européens l’ont augmenté par rapport aux années précédentes, reconnaissant le besoin pour les régions les moins développées du continent d’aller plus loin, de créer des emplois, des opportunités et des marchés avantageux pour tous ceux qui sont impliqués. Et pourtant, malgré de nombreuses déclarations et communiqués de presse mentionnant une « inquiétude », l’état de droit semble être oublié lorsqu’il s’agit de prendre des mesures concrètes.
Une meilleure coopération est primordiale, non seulement pour le développement régional mais aussi lorsqu’il s’agit de la justice. Le Parquet Européen a été créé à cette fin en juin 2017. Opérant sur les bases légales prévues par l’article 86 du Traité de Lisbonne (ou Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), le Parquet Européen est censé faire ce que l’Office Européen de Lutte Antifraude (OLAF), Eurojust (l’unité de coopération judiciaire de l’UE), et Europol, (l’office européen de police) ne peuvent pas faire (mener des enquêtes criminelles et des poursuites pour fraude).
Tandis que ces agences déjà existantes ne peuvent mener que des enquêtes administratives, qui doivent être transmises aux autorités nationales, le Parquet Européen mènera des enquêtes de son propre chef dans les Etats membres qui se sont mis d’accord pour prendre part à cette coopération renforcée, et sera aidé (mais pas subordonné) par les organismes nationaux.
Avec un Procureur général européen et 21 procureurs européens, un pour chaque Etat membre participant, le Parquet Européen a prévu de mener ses premières affaires en 2020. Situé au Luxembourg, le Parquet Européen fonctionnera en toute indépendance des autres organes de l’UE, mais surtout des intérêts nationaux.
L’Europe de l’Est a plus que jamais besoin du Parquet Européen. Il ne peut pas s’agir d’une autre « institution placebo » que la Pologne, la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie doivent accepter de l’Union européenne. En 2017, l’Allemagne a accueilli 60 000 migrants en provenance de Syrie, mais également 73 000 de Roumanie, 34 000 de Pologne, 33 000 de Croatie et 30 000 de Bulgarie. La corruption crée la pauvreté et éloigne les gens de leur patrie, exactement comme une guerre civile. La seule différence, c’est que cela se produit à un rythme plus lent.
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