La présidence française du conseil de l’UE se rapproche, on connaît l’importance historique qu’a le rail en France, est-ce là l’occasion de voir naître un couple franco-allemand moteur dans l’européanisation du ferroviaire ?
Il y a des coopérations qui existent et qui doivent devenir plus fortes. Une étude du comité des régions a montré que des petits bouts ferroviaires manquent encore, notamment au niveau des frontières. La mobilité est encore trop souvent pensée au niveau national, même si les gens voient leur mobilité de façon de plus en plus européenne. Le projet de la ligne Freiburg-Colmar est un exemple type de petites mesures à prendre, de la construction de ponts à l’installation de rails. Les coopérations franco-allemandes sont bonnes. Cependant, les administrations sont organisées différemment et même si les gouvernements et les gens sont d’accord, les projets bloquent. A cela s’ajoute aussi la barrière de la langue.
On a le sentiment que cette “Europe du rail” relie beaucoup les métropoles entre elles et donc certains milieux sociaux à qui l’Europe profite, l’Europe du rail n’oublie-t-elle pas les habitants des milieux ruraux ? Se dirige-t-on vers une Europe du rail tout TGV ou vers une Europe du rail dans laquelle les lignes ferroviaires régionales seront préservées ?
Si le rail doit être la mobilité du futur, il faut réussir à allier les deux. Le réseau européen devra comporter trois dimensions : un réseau à grande vitesse pour les grandes villes, un réseau de train de nuit qui fonctionne bien et un réseau régional qui pourrait remplacer la voiture dans les zones plus rurales. Il faut mettre la pression sur le secteur routier et aérien en faisant en sorte qu’ils ne bénéficient plus d’impôts allégés et injustes pour le ferroviaire. Le plan pour le Green New Deal et le NextGenerationEU (plan de 750 milliards d’euros, ndlr) font que l’on ne manque plus d’argent. 37% du budget européen sera consacré à la protection du climat mais ce sont les Etats membres qui décideront comment investir cet argent. S’ils veulent le consacrer aux transports et aux infrastructures ferroviaires ils le pourront.
L’Europe du rail bénéficie-t-elle d’une véritable aspiration populaire ou est-ce une idée purement bruxelloise ?
La jeunesse est de plus en plus enthousiaste à l’idée de se déplacer en train, cela peut être plus flexible et moins cher mais cela dépend du lieu où l’on habite, de son environnement, et de son milieu social et familial. Les réflexes de mobilité ne sont pas les mêmes partout. Les habitudes de transport changent environ tous les 3-4 ans. C’est dans cette fenêtre qu’il faut agir pour faire évoluer la mobilité vers le rail. La mobilité douce doit être une politique de l’offre !
La part du fret ferroviaire en France n’a cessé de s’éroder et aucune entreprise de fret ne fait aujourd’hui du bénéfice dans le pays tandis qu’en Allemagne le trafic de fret ferroviaire ne cesse de gagner en importance, comment interpréter cette différence de résultats ? Une européanisation et un accroissement du fret ferroviaire n’est-elle pas indispensable pour atteindre les objectifs fixés par le Green New Deal ?
On est dans une économie de marché libre sans y être totalement. On a longtemps eu l’idée en Europe que ce n’était pas tenable d’avoir en parallèle un réseau ferroviaire et routier. L’idée était de passer au “tout voiture”, en France, notamment, on a complètement laissé tomber le fret et les zones portuaires. On se rend à présent compte qu’il faut agir pour le climat et que le fret est indispensable. L’objectif des écologistes est de passer à 30% de fret d’ici à 2030, en revanche, la Commission n’est selon moi pas très ambitieuse là-dessus. Il faudrait rénover massivement le fret ferroviaire et baisser le prix du kilométrage pour les trains. Prendre un camion c’est plus flexible, peu coûteux. Il faut créer une balance positive pour le fret au travers de lois-cadres afin de le rendre compétitif. Ils le font en Suisse et le fret ferroviaire y est très compétitif.
Récemment la région Occitanie a annoncé tester la gratuité des transports ferroviaires pour les jeunes. Dans le même temps, la relance des trains de nuit a été souhaitée par la Commission dans l’idée de permettre la mobilité des jeunes. Le rail est-il en train de devenir la “colonne vertébrale” de la libre-circulation en Europe ?
Au niveau de l’Europe, oui, définitivement. On mise énormément sur les jeunes. On veut leur donner la possibilité d’être beaucoup plus mobiles sur le territoire européen, que ce soit par Interrail ou pour des formations universitaires et professionnelles. Cependant, une grande proportion des déplacements reste encore motorisée. Pour l’instant, c’est encore le moins cher et le plus pratique alors que c’est bien moins écologique. On n’a pas encore réussi à faire en sorte que les voyageurs soient renseignés avec la même efficacité pour le train que pour l’avion. Je ne parle pas des correspondances, celles-ci étant bien plus difficiles en train. Le passager a plus de droits (remboursement, service-client) en avion. Les prix sont aussi plus abordables : le prix d’un billet d’avion est en moyenne moins cher qu’un billet de train pour un temps de trajet bien moins long.
Le budget de l’Agence Ferroviaire Européenne a été revu à la baisse par l’UE, dans un contexte de revalorisation du ferroviaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, comment comprendre une telle décision ?
C’est incompréhensible et incohérent, l’agence aérienne et maritime n’ont par exemple pas subi de baisse de budget. Ceux qui ont fait le budget sont partis du postulat que les projets ferroviaires étaient des compétences nationales. Le problème c’est qu’en Europe, le rail n’est pas une priorité, il n’arrive qu’en troisième ou quatrième position dans les décisions d’investissement. Pourtant, le rail offre des possibilités d’emploi qui pourraient compenser la baisse de production dans le secteur automobile liée à la transition écologique. Les problématiques liées aux transports ne passionnent malheureusement pas les Européens qui devraient s’en emparer. Bien que l’engagement pour le climat et la protection de l’environnement soit réel, les transports, trop techniques, restent à la marge des préoccupations.
À partir de 2023, le marché ferroviaire français va s’ouvrir à la concurrence, est-ce là l’opportunité avec les compagnies étrangères comme Deutsche Bahn, Trenitalia, Renfe, de voir naître une première entreprise européenne dans le secteur ferroviaire ?
J’ai proposé dans le comité transports (du parlement européen) une plateforme en ligne européenne de réservation. Il faudrait cependant contraindre les compagnies à échanger leurs données, ce à quoi elles sont encore réticentes : elles ont peur que les GAFA s’emparent des données et proposent des prix plus concurrentiels. Il faudrait que l’Europe impose une plateforme de réservation en open source. La Commission et la majorité des parlementaires ont donné cette responsabilité aux compagnies nationales. Cependant des désaccords demeurent, notamment sur la question des remboursements des billets lors de voyages transnationaux. Il faudrait des accords multilatéraux pour y parvenir.
Question technique pour conclure, les écartements des rails, la hauteur des quais ainsi que la largeur des trains n’est pas la même selon les pays et les fabricants, existe-il une réglementation européenne en la matière ou le débat est-il sur la table au Parlement ?
Un conducteur de fret doit toujours connaître la langue du pays qu’il traverse pour des questions de sécurité. Ce n’est pas le cas pour un camionneur. Cela contraint à changer de conducteur à chaque frontière. On s’emploie à changer cela. On va de plus en plus vers un standard commun. Malgré les plans d’harmonisation, de nombreux efforts sont encore à fournir. Bien que les infrastructures soient imaginées localement et régionalement, rien n’empêche les trains de passer.
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