Annoncé avec enthousiasme au mois d’avril par Věra Jourová, Vice-présidente de la Commission aux valeurs et à la transparence, le passeport sanitaire est désormais fonctionnel, provoquant la joie de certains et le scepticisme d’autres.
De quoi s’agit-il ? Très simplement, du sésame nécessaire pour voyager librement pour quelconque raison au sein de l’espace Schengen, une liberté qui paraît révolutionnaire si l’on pense à tous les mois de réclusion et de restrictions auxquelles l’on a dû faire face pendant les 18 derniers mois. Le passeport est délivré gratuitement par les autorités nationales des pays membres de l’Union européenne à toute personne ayant été complètement vaccinée, ayant guéri du Covid ou encore dont le résultat d’un test PCR ou antigénique s’est avéré négatif.
Grâce à ce certificat, on évite la quarantaine ou l’isolement requis jusqu’à il y a quelque temps avant ou à la suite de déplacements dits « autorisés », c’est-à-dire justifiés par des motifs professionnels ou de santé. Le passeport est valide partout en UE, ce qui le rend d’autant plus avantageux. Aucun État ne peut refuser d’accueillir un voyageur présentant un certificat vaccinal délivré par un autre pays de l’UE, à condition que le vaccin en question ait été autorisé par l’EMA, l’Agence européenne des médicaments.
Le Commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a salué cette réussite en affirmant que « nous avons mis en route ce nouvel instrument en des temps record pour rétablir la liberté de mouvement pour tous les citoyens ». Des chefs d’État et de gouvernement, tels qu’Emmanuel Macron et Mario Draghi, se sont aussi réjouis, convaincus qu’il s’agit de la manière la plus sûre pour faire face à la crise.
Ce sont bien entendu les jeunes qui profitent le plus de cette occasion. Sans aucun doute, leur adhésion massive à la campagne vaccinale a été motivée par l’envie de partir à l’aventure vers des nouveaux lieux, de se baigner dans des nouvelles mers, de franchir de nouvelles montagnes ou de retourner à son lieu de vacances de cœur. La jeunesse étant néanmoins le bouc émissaire de tous les maux, elle a encore une fois essuyé des critiques. Après avoir diabolisé les apéritifs, les dîners de groupe, les activités sportives et d’équipe et surtout la “Movida”, tant décriée dans les journaux, la partie la plus contestataire de l’opinion publique s’est dressée contre le voyage.
Une polémique sans doute superflue. Qu’y a-t-il de mauvais dans le fait de faire les bagages et partir pour une période déterminée quand la probabilité de s’exposer et d’exposer les autres au danger de contamination du virus est infime ? Si cela n’était pas suffisant, avec quels autres moyens croit-on pouvoir relancer le tourisme, l’un des secteurs les plus affectés par cette crise, outre en ouvrant les frontières aux personnes souhaitant profiter des beautés d’un autre pays ?
Seulement en Italie, le virus a conduit à la suppression d’un poste de travail sur quatre dans le secteur touristique. Selon des données collectées par deux organismes actifs dans cette branche (Federalberghi et l’Ente Bilaterale Nazionale per il Turismo), des 1,3 millions d’emplois en 2019, il n’en restait plus que 953.000 en 2020, un chiffre par ailleurs toujours en baisse. Un tel scénario ne s’était pas produit depuis la crise des années 2010, quand l’Italie et le reste du monde ont dû affronter ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Grande Récession.
Ces chiffres font frissonner si l’on contemple également l’aperçu global esquissé par des estimations de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), selon lesquelles les flux touristiques internationaux en 2020 auraient enregistré une chute entre 58% et 78% par rapport à l’année précédente.
Si la relance du tourisme et de l’économie en générale n’était pas des raisons suffisantes pour justifier le retour du voyage, on peut toujours citer les enseignements des grandes personnalités du passé et du présent. Johann Wolfgang von Goethe, l’un des personnages les plus iconiques et européens de son époque de par ses itinéraires parcourus et racontés dans ses œuvres, considérait le voyage comme « la meilleure éducation pour une personne intelligente ». L’écrivain américain Jack Kerouac, qui a construit l’essence même de son œuvre littéraire à partir du voyage, résumait dans son roman le plus célèbre « rien derrière moi, tout devant moi. C’est comme cela que ça se passe sur la route ».
Même la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’étant rendue dans plusieurs capitales européennes pour approuver les plans nationaux liés au plan de relance européen Next Generation EU, ne cesse de rappeler que la libre circulation des citoyens est un principe sur lequel se fonde l’Union européenne et qu’il est temps de le raviver.
Ne pas profiter de la stratégie visant à immuniser les voyageurs tout en ouvrant les frontières est nuisible à l’Europe et à nous tous, jeunes et adultes. Certes, la prudence n’est jamais de trop, mais vivre dans la peur, enfermés et isolés, ne peut que conduire à un lent déclin physique et mental. Au contraire, le voyage à des fins touristiques n’aide pas seulement à éloigner le stress si répandu cette année et engendré par le travail et les études, mais il réussit également à instruire de façon indirecte, en permettant d’aérer l’esprit et en procurant un enrichissement culturel aussi bien qu’humain à quiconque s’y rende. Un échange sans pareil.
Toutefois, il existe une alternative pour voyager sans se déplacer. Il s’agit d’une initiative de l’université de Vilnius datant d’avant la réouverture des frontières nationales : le projet « Portal Cities ». Exploitant l’une des activités les plus fréquentes mais aussi des moins désagréables pendant la crise pandémique, les vidéos appels, et se basant sur une idée de la Fondation Gylys, les chercheurs lituaniens ont réalisé des gigantesques portails qui connectent virtuellement deux villes en direct sans arrêt. Les deux premières installations ont été mises en place dans la capitale lituanienne et à Lublin, en Pologne. La proximité ainsi incarnée semble déjà avoir engendré la convoitise de nombreuses autres villes européennes, souhaitant renvoyer le même message. Une belle initiative, mais, justement à cause de la distance virtuelle, ce qui manque, c’est bien le contact humain.
Le moment est venu de combler ce manque qui nous a tous affectés, et, coïncidence, l’été, est là pour y pallier, aussi bien que le vaccin. Si vous vous êtes adonnés à la cuisine pendant le confinement, notez cette recette dans votre carnet : pour un été de relance économique et culturel les ingrédients sont vaccin, passeport sanitaire et bagages à la main !
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