Au cœur du conflit, dans lequel s’affrontent des lobbies dits « verts » et des lobbies dits « industriels », se trouve le report du règlement modifiant le 7ème amendement de la directive Cosmétique de 1976. Ce texte réglemente le marché des produits cosmétiques au sein de l’Union européenne et son 7ème amendement prévoit entre autres le bannissement total de l’utilisation de test sur animaux pour 2013. Or, depuis 1998, la modification de ce règlement n’a cessé d’être reculée : la Commission, dans son rapport de septembre 2011, estime qu’il serait impossible de trouver des méthodes de substitution complètes avant 2013, rassurant ainsi les lobbies industriels.
Autour de la question de l’interdiction des tests des produits cosmétiques sur les animaux a donc émergé une sphère de tentatives d’influence et d’affrontements d’expertises. D’un côté, les lobbies dits « industriels » : ces derniers, à l’image de la Colipa, puissante fédération européenne des industries cosmétiques (L’Oréal, LVMH, Colgate-Palmolive, Procter & Gamble, Unilever, ou encore Chanel), défendent un report de cette interdiction pour 2018 ou 2020. De l’autre, les lobbies animaliers et verts soutiennent une stricte application de l’interdiction pour 2013.
La Commission européenne a toujours considéré que la consultation des tiers et le partenariat dans la décision était central. Elle l’avait exprimé pour la première fois de façon claire en décembre 1992 dans la Communication « Un dialogue ouvert et structuré entre la Commission et les groupes d’intérêt ». Pour autant, se pose la question de l’accès de chacun à cette participation. Dans le cas du règlement « Cosmétiques » et plus particulièrement du bannissement total de l’expérimentation animale, la compétition entre les lobbies est caractérisée par une inégalité des ressources financières et scientifiques entre les deux parties prenantes, et ce à plusieurs titres.
Une inégalité d’accès entre les lobbies ?
En effet, les lobbies dits « industriels » représentant des grandes entreprises multinationales, ils ont en général beaucoup plus de moyens pour défendre leurs intérêts auprès des instances européennes. Ancien eurodéputé vert suédois, Jens Holm a été un témoin privilégié de la bataille autour du règlement « Cosmétiques ». Il affirme, dans un ouvrage où il relate son expérience de parlementaire, que la Colipa emploie vingt personnes à plein temps dans son bureau de lobbying à Bruxelles, nombre auquel il faut ajouter plusieurs consultants.
A côté de cela, les moyens des lobbies animaliers sont plus modestes : le BEUC [3] , l’association de défense des consommateurs européens qui défend la stricte application du bannissement des tests pour 2013, ne dispose que d’une seule et unique personne travaillant sur la question des cosmétiques… Il faut bien sûr ajouter de chaque côté d’autres acteurs : les grands industriels, à l’image de L’Oréal, ont bien souvent en plus de cela leur propre bureau de lobbying à Bruxelles, et en ce qui concerne les lobbies dits « verts », de nombreuses ONG et associations de défense se sont conglomérées dans le cadre de la bataille du règlement cosmétique.
Ces inégalités de moyens et de personnel ont des effets sur l’accès à la participation aux travaux des institutions européennes et donc sur la force de frappe du lobbying. Anne-Thérèse Gullberg, une chercheuse norvégienne, a mis en avant plusieurs de ces effets [4].
Les effets de cette inégalité
D’abord, les moyens financiers et humains permettent aux lobbies des industriels de mettre en place une stratégie de représentation et de défense d’intérêt beaucoup plus complète et sur le plus long terme, de façon plus globale. Les lobbies verts, eux, doivent se concentrer sur l’actualité car ils n’ont pas les moyens de faire autre chose que cela. Cela permet aux industriels, comme le note la chercheuse, d’influencer le cadre conceptuel des politiques. En effet, en entretenant des contacts réguliers avec les parlementaires ou les membres de la Commission, ces groupes participent davantage à la problématisation et au cadrage des sujets qui auxquels ils sont intéressés, imprimant donc leur « patte » sur la manière dont sera résolue la question, assez souvent en accord avec leur position. C’est par exemple l’action sur le moyen et long terme que mène actuellement, et de plus en plus, le bureau européen de L’Oréal auprès des parlementaires européen, par exemple au moyen de petits déjeuners-conférences, où l’entreprise met en avant sa nouvelle identité éthique.
Ensuite, les moyens limités détenus par les lobbies « verts » les poussent à tenter d’influencer et à n’entrer en contact qu’avec les personnes ayant les mêmes positions qu’eux, pour maximiser leurs chances de succès et ne pas perdre de temps sans une garantie de réussite la plus forte possible. Au contraire, les lobbies « industriels » peuvent se permettre d’agir à l’adresse de leurs « alliés » mais aussi de leurs « adversaires » dans un dossier. Cela leur assure donc une sphère d’influence plus forte : même s’ils ne vont pas forcément directement faire changer d’avis beaucoup de personnes, ils vont au mois se faire connaître et faire connaître leurs positions et favoriser l’ouverture de discussions, de contacts et donc de liens.
Cependant, il ne faudrait pas dresser un portrait trop manichéen de cette compétition des lobbies sur le règlement « Cosmétiques ». En effet, il faut préciser que mêmes si les lobbies verts ont moins de moyen, ils bénéficient souvent de subventions de la Commission pour leur action, à l’image de la BEUC. De plus, alors que les lobbies industriels pâtissent souvent d’une image négative, la partie verte peut elle s’appuyer sur le recours à l’opinion publique, ce qu’elle fait notamment par la pétition « No cruel cosmetics in Europe ».
Ce constat peut se faire plus largement, sans se borner au seul règlement « Cosmétiques ». La Commission est une « éponge à lobbying », et présente cela comme un avantage, d’abord car les acteurs sectoriels apportent une expertise, mais aussi parce qu’ils ont la possibilité de participer à l’élaboration de décisions qui les concernent. Toutefois, comme nous le montre l’exemple du règlement « Cosmétiques », tous les acteurs n’ont pas les mêmes chances et les mêmes moyens pour participer à ce partenariat.
Les inégalités restent donc fortes, et la mobilisation autour du règlement « Cosmétiques » et plus particulièrement de la question du bannissement total de l’expérimentation sur les animaux nous confirment cette prépondérance des lobbies industriels : beaucoup pressentent la décision de la Commission d’un report de l’application du 7ème amendement au cours de l’année 2012, renvoyant ainsi cette interdiction à 2018 ou 2020.
1. Le 25 mars 2012 à 15:18, par Creezy Courtoy En réponse à : Le rôle des lobbies à Bruxelles : l’exemple de la driective « cosmétiques »
Nos actions depuis 15 ans auprès de l’Union Européenne sont toujours restées vaines. Il est inutile de perdre son énergie à défendre des valeurs scientifiques auprès des instances européennes. Nos scientifiques, ceux qui ont gardé de vraies valeurs sont ailleurs aujourd’hui. Il existe des mondes sans règlementation, des terrains vierges, il existe aussi des gens biens qui savent associer intérêts financiers et respect de la santé du consommateur. L’Europe est en retard. Les alternatives existent nous le savons tous. Elles obligeront à l’industrie cosmétique de changer leurs formulations. En 2013 ou plus tard, le plus tôt serait le mieux afin de protéger, non seulement la vie des animaux, mais aussi la santé du consommateur. Car nous ne sommes, ni des lapins ni des rats et ces tests appliqués aujourd’hui sur des animaux n’ont aucune valeur si ils ne sont pas appliqués sur les cellules humaines. La Perfume Foundation existe depuis 1995 www.perfumefoundation.org
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