Le spomenik, pièce de culture à l’héritage déchiré

, par Jérôme Flury

Le spomenik, pièce de culture à l'héritage déchiré
Le « monument à la Révolution », œuvre du sculpteur croate Dušana Džamonje. Créée en 1967, elle est installée à Berek, en Croatie. Image : ©Jonk

Des centaines de monuments, disséminés sur les territoires de l’ex-Yougoslavie et pour la plupart érigés durant l’époque du maréchal Tito - Président yougoslave durant 27 ans -, sont depuis plusieurs années sources de tensions politiques et mémorielles qui ne faiblissent pas. L’illustration d’un conflit idéologique qui sévit notamment en Croatie et en Bosnie.

« Des vandales ont détruit un monument aux combattants morts au combat et aux victimes du fascisme à Stolac. » Une fois de plus, le 11 mai, dans une ville de Bosnie-Herzégovine, des dégradations ont été relevées sur un mémorial. Sources d’intérêt touristique et surtout de passions photographiques, les “Spomenici” sont des monuments difficilement catégorisables d’un point de vue artistique, bâtis par centaines dans les Balkans. Ils sont depuis plusieurs années l’objet de luttes quant à leur héritage historique.

Parfois érigés au milieu de nulle part, dans des campagnes ou des forêts, parfois en plein coeur d’une grande ville, plus de 1 000 pièces commémoratives, plaques ou monuments existent en Croatie, en Bosnie ou en Serbie. A la base, les spomenici sont des « monuments laïcs, sans symboles religieux », comme l’explique le photographe Alberto Campi, dans un reportage RFI mené par Daphné Gastaldi en 2018. Mais comme a pu le constater le photographe,« les messages qui viennent du passé sont réinterprétés ».

Une production hors des cadres artistiques

D’où viennent ces spomenici (le pluriel de Spomenik) ? La plupart datent des années 1960 et 1970, alors que la Yougoslavie est sous le contrôle de la Ligue des communistes de Tito. Comme l’écrit Bastien Stisi dans Nova, « le leader d’origine croate cherche alors un moyen de célébrer, architecturalement et donc visuellement parlant, la résistance (et donc la victoire) des Yougoslaves communistes contre le fascisme  ». En effet, lorsqu’en avril 1941, l’empire de Yougoslavie a été envahi par les forces de l’Axe, plusieurs Etats ont été créés. Josip Broz, le futur Tito, mène alors la résistance avec ses partisans. Après la fin du conflit en 1945, il instaure la République fédérale populaire de Yougoslavie, qui devient en 1963 la République socialiste de Yougoslavie.

Mais le pays se détache peu à peu du bloc de l’Est, la Yougoslavie ayant fondé notamment en 1961 avec l’Inde de Nehru et l’Egypte de Nasser le mouvement des Non-alignés. Les créations architecturales réalisées à travers l’Etat sont donc voulues comme différentes des modèles soviétiques existants. La grande période de création de ces monuments antifascistes s’est arrêtée avec la mort de Tito, le 4 mai 1980. Des centaines de sculptures de matières diverses, brillantes, et aux formes souvent étranges sont alors disséminées sur les terres yougoslaves, illustration d’une architecture unique.

Sur l’une d’elle par exemple, monumental objet d’aluminium, des visages se détachent : comme souvent, il s’agit d’un hommage aux résistants du second conflit mondial. Un récit qui s’est perdu au fil du temps. Ainsi, les débats sur la question ne datent pas de ces derniers mois. En 2016 déjà, The Calvert Journal tentait de rappeler la signification de ces structures populaires mais méconnues.

La « politique d’oubli délibéré » du gouvernement croate

Depuis plusieurs années, une tendance révisionniste de l’histoire a fait de ces spomenici, témoins historiques, une source de divisions entre les minorités. Lorsque Daphné Gastaldi a réalisé son reportage, en 2018, les ultras-nationalistes se réappropriaient les monuments de la résistance contre les nazis. Le gouvernement croate notamment, se montrait coupable pour certains observateurs de mener une « politique d’oubli délibéré ». Des boycotts sont instaurés. Certains lieux comme le camp de concentration de Jasenovac deviennent l’objet de trois commémorations différentes, comme le développe Danielle Majani sur un site web entièrement dédié aux Spomenici croates.

Le Parlement croate qui sera renouvelé de façon anticipée en juillet prochain est aujourd’hui dominé par l’Union démocratique croate (HDZ). C’est cette majorité, à la fois de centre droit et conservatrice qui, avec le Premier Ministre Andrej Plenković, s’est récemment illustrée en décidant d’honorer samedi 16 mai, à Zagreb la mémoire des soldats de l’État oustachi croate pronazi, tués par le mouvement de résistance yougoslave en 1945.

Cette commémoration qui se déroule depuis des dizaines d’années n’était pas la seule initiative : avec l’appui de l’Eglise catholique et de l’Union démocratique croate (HDZ) de Bosnie [1], une cérémonie s’est tenue dans la cathédrale de Sarajevo. Les habitants de la capitale bosnienne ont protesté dans les rues pour s’opposer à la tenue de cette commémoration à laquelle 20 personnes, dont l’ambassadeur de Croatie, ont participé. Les enjeux mémoriels n’ont pas fini de causer des tensions dans une région à l’histoire récente agitée.

Découvrez le travail du photographe Jonk à propos du Spomenik. Merci au photographe pour nous avoir autorisé à illustrer cet article avec une de ses productions.

Notes

[1Parti croate existant en Bosnie-Herzégovine

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