Un mot capable de fissurer la politique
Au lendemain des attaques meurtrières du Hamas sur les kibboutz israéliens, la classe politique française a quasi-unanimement exprimé sa solidarité à l’égard d’Israël, dénonçant les horribles exactions perpétrées par l’organisation mardi 7 octobre. À l’instar de la plupart des pays occidentaux, à droite comme à gauche, les élus n’ont pas hésité à qualifier le Hamas d’organisation terroriste. C’était sans compter sur La France Insoumise (LFI), le parti de gauche radicale fondé par Jean-Luc Mélenchon, dont la présidente du groupe à l’Assemblée Nationale Mathilde Panot a refusé cette appellation, préférant l’expression de « branche armée qui, aujourd’hui, est responsable de crimes de guerre ». Cette prise de position a déclenché une vague d’indignation dans toute la France, et le parti s’est retrouvé sous le feu des critiques acerbes des autres factions politiques et du gouvernement. Désormais, à gauche, de nombreuses voix s’élèvent pour mettre un terme à la coalition avec LFI, la maire de Paris Anne Hidalgo ayant par exemple demandé au Parti Socialiste de quitter la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). De l’autre côté de l’échiquier politique, plusieurs figures de la droite sont allées jusqu’à demander la dissolution du parti qui aurait, par ses déclarations, quitté le cadre républicain.
Une définition vague et imprécise
Le terme de « terrorisme » est polysémique et ses manifestations s’en retrouvent protéiformes de facto. Il n’existe donc pas un terrorisme, mais des terrorismes. Tenter de le circonscrire à une définition précise capable d’en englober toutes les facettes relèverait de l’exploit. En effet, la notion peut faire référence à un acte individuel qui engendre le sacrifice de la personne qui le commet, comme les attentats des anarchistes du XIXème siècle, ou plus récemment, les attaques d’intégristes islamistes en France ou en Belgique. Mais le terrorisme peut également désigner la résistance du colonisé face à la puissance impérialiste, ou encore une attaque de masse, comme lors des attentats du 11 septembre 2001.
Le terrorisme ne peut pas non plus être définie à l’aune d’une obédience politique spécifique. Il n’est ni l’apanage de l’extrême-gauche, ni celui de l’extrême-droite, ni celui d’une frange intégriste d’une religion quelconque.
D’après Elie Tenenbaum, responsable du laboratoire de recherche sur la défense à l’IFRI , « le terrorisme n’est pas une idéologie mais un mode d’action qui peut servir les idéologies les plus variées ». Une « organisation terroriste est une organisation dont la pratique d’actes terroristes est régulière, systématique, voire consubstantielle à son projet », ajoute le chercheur.
Dans l’imaginaire collectif occidental d’aujourd’hui, la figure du terroriste s’incarne dans l’individu. Mais il y a de cela plus de deux siècles, le terrorisme est né « d’en haut, au cœur-même de l’État », d’après Jean-François Gayraud et David Sénat dans Le Terrorisme (PUF, 2006). Durant la période de la Terreur, au cœur de la Révolution française, le gouvernement révolutionnaire avait dépêché en province, pour réprimer les soulèvements fédéralistes et monarchistes, des représentants que l’on qualifierait pour la première fois de « terroristes ».
Depuis la mort de Louis XVI, la définition du terrorisme a changé au gré des évolutions de sa pratique. Progressivement, il a changé de camp, et est devenu « l’arme des faibles » face à l’État. Au XIXème siècle, sont devenus des terroristes ceux qui, populistes de Russie, s’en prenaient aux classes aisées. Puis, dans les années 1960, ceux qui se battaient pour l’indépendance de leur pays colonisé se sont vu accoler cette étiquette.
Des tentatives de consensus sur la question du terrorisme
Face à une telle complexité, il a été difficile pour les États de tomber d’accord sur une définition commune. L’ONU n’a jamais été en mesure de dresser une liste d’organisations terroristes, à l’exception d’une résolution sur les Talibans à laquelle fut rajoutée l’organisation État Islamique. Des conventions dont le but était de s’attaquer à certaines émanations du terrorisme sont tout de même parvenues à émerger, notamment sur les sources de son financement. Mais face à des régimes autoritaires soucieux de maintenir toute forme de contestation intérieure sous le masque du terrorisme — et donc fermés à toute définition qu’ils jugeaient trop restrictive — il n’a pas été possible de s’accorder dans les grandes arènes internationales,
L’Union européenne fait figure d’exception, ses États membres étant parvenus à élaborer une liste d’organisations considérées comme terroristes. En font partie le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le Hezbollah libanais ainsi que le Hamas.
D’après E. Tenebaum, « Le terrorisme est le mode d’action fondamental [du Hamas], même si elle ne se réduit pas à cela, car c’est aussi un mouvement avec un ancrage politique qui mène des actions militaires. Mais son recours au terrorisme est systématique et pensé comme tel ». Notons que la charte du Hamas de 1988 appelle à détruire l’entité sioniste, tuer des juifs, mais aussi des mécréants et les francs-maçons. D’après le droit de l’Union européenne, se rendent coupable d’actes terroristes ceux qui cherchent à gravement intimider une population, ceux qui contraignent « indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque », et ceux qui déstabilisent gravement « les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale ».
Un terme politique, performatif et dangereux
Selon Gilles Ferragu, maître de conférences à l’Université de Nanterre et historien du terrorisme, « le mot terrorisme est une arme rhétorique : il n’a pas de définition juridique évidente et permet de priver un adversaire de toute légitimité ». Rappelons par exemple que les résistants français de la Seconde Guerre mondiale ont été considérés comme des terroristes. En réalité, devient terroriste toute organisation qu’une entité politique suffisamment forte a décidé de désigner comme tel.
D’après Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du droit international, « certains cherchent à instrumentaliser la qualification de terroriste, afin de restreindre le champ d’application du droit humanitaire ». En 2001, lorsque les États-Unis ont commencé le bombardement des positions talibanes, une question s’était posée : fallait-il considérer ceux qui avaient offert l’asile à Oussama Ben Laden comme des combattants ou des terroristes ? Les États-Unis leur ont préféré l’appellation de « combattants illégaux », très vitre gravement controversée, car elle avait alors servi de justification à des violations du droit international (dans le camp de Guantanamo notamment).
De la même manière, en refusant de reconnaître le statut de combattant au Hamas, Israël pourrait envisager le contournement du droit humanitaire. En effet, l’État hébreux a intégré le terme de "combattant illégal" pour désigner le Hamas dans sa législation interne. L’objectif est de restreindre l’application du droit humanitaire en utilisant la qualification de "terroriste." Cependant, il est important de noter que les conventions des droits de l’Homme s’appliquent également aux individus qualifiés de « terroristes ». Le problème réside dans le fait qu’Israël est signataire des Conventions de Genève de 1949, qui définissent les combattants comme ceux d’une force armée régulière, mais n’est pas partie prenante de la convention de 1977, qui stipule que toute personne prenant part à des hostilités est considérée comme un combattant.
Le rôle du droit humanitaire est d’« éviter les escalades et la logique de la vengeance » d’après C. Le Bris. Actuellement, et on le voit bien au Proche-Orient, il n’a malheureusement pas les outils pour être respecté.
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