Législatives en Estonie : la démocratie aux portes de la guerre

, par Alexis Vannier

Législatives en Estonie : la démocratie aux portes de la guerre
Chambre du Riigikogu, Parlement d’Estonie Source Pxfuel

Ce scrutin législatif est le premier en Estonie depuis le début de la lutte de l’Ukraine pour son indépendance contre une Russie en mal de territoire. Russie qui a lancé son offensive armée contre l’Ukraine un 24 février, fête nationale de l’Estonie commémorant justement son indépendance de l’Empire russe en 1918. Voilà donc une parfaite illustration de la peur d’un peuple menacé par des crises énergétiques et économiques, voire dans son existence même.

Victoire nette du parti au pouvoir

Dans un contexte de fortes tensions, les Estoniens se sont probablement prononcés pour ou contre le soutien au gouvernement mené par l’intraitable Kaja Kallas, du Parti de la Réforme (ERE). Mais finalement l’opposition, y compris le parti de la droite radicale et populiste, le Parti populaire conservateur (EKRE), a perdu de nombreuses voix.

L’ERE a confirmé sa position de leader, récoltant près de 31,2% des voix et 37 sièges (+3 par rapport à 2019), ce qui montre le soutien d’une majorité des votants à l’action de Kaja Kallas. Il faut remonter à 1995 pour retrouver un parti franchissant le seuil des 30%. Arrivé deuxième du scrutin avec 16,1% des voix et 17 sièges obtenus, en légère baisse (-2 députés) par rapport à 2019, l’EKRE a peiné à attirer la colère des consommateurs impactés par une inflation galopante, la plus élevée de la zone euro puisqu’atteignant une inflation de près de 20% du PIB en 2022.

Le Centre (KESK), plombé par sa défense de la minorité russe (bien que le parti s’est éloigné du régime de Poutine dès 2014 et défend aujourd’hui la politique estonienne de soutien à l’Ukraine) et les affaires judiciaires qui gravitent autour de lui, n’évite pas la déroute : il perd presque près de 10% des voix comparé à 2019, pour atteindre 15,3%. Il ne réunit plus que 16 sièges. Les partenaires de coalition du gouvernement Kallas ne profitent pas du bon score de cette dernière : gauche et droite classiques perdent encore du terrain (respectivement -1 et -4 députés), surclassées par la formation sociale-libérale Estonie 200, grand vainqueur du scrutin puisqu’il fait son entrée au Parlement, s’assurant 14 strapontins. Les dirigeants des partis sont d’ordinaire assez favorables aux coalitions, le futur gouvernement est donc d’autant plus difficile à prédire, même si Estonie 200 a de bonnes chances d’en faire partie.

Un contexte extérieur et intérieur très tendu

Ces élections en Estonie s’inscrivent évidemment dans climat international inédit : la Russie tentant d’envahir l’Ukraine depuis maintenant plus d’un an.

Le Tigre de la Baltique est très impliqué militairement dans l’aide apportée à l’Ukraine : le pays a déjà consacré 1,1% de son PIB (soit 330 millions €) pour l’envoi de matériel militaire à l’Ukraine. C’est le pays qui soutient le plus l’Ukraine, rapportant à son PIB. Tallinn a envoyé de nombreuses armes et véhicules, dont l’intégralité de ses obusiers. Le gouvernement prévoit également de doubler son budget Défense en faisant passer les effectifs de 9500 à 20000, malgré une inflation qui atteint 20% cette année. En outre, le pays accueille aujourd’hui plus de 50 000 réfugiés ukrainiens. Un effort non négligeable pour un pays comptant à peine 1,2 million d’habitants.

Prétextant une “russophobie totale” de la part de Tallinn, Moscou a expulsé l’ambassadeur estonien. Par mesure de réciprocité, l’Estonie, suivie bientôt par la Lettonie, a expulsé l’ambassadeur russe. Une rupture inédite de relations internationales qui cache mal une politique étrangère russe quasiment aphone.

Les contestations existent évidemment, mais dans l’ensemble, les Estoniens font bloc face à ces décisions difficiles, qui ont des conséquences négatives sur les finances du pays. Même la droite radicale ne capitalise pas sur le sort des réfugiés. La peur d’être le prochain pays sur la liste du tsar Poutine cimente la nation. Depuis les dernières élections de 2019, pas moins de trois gouvernements se sont succédés dans le pays.

En 2019, à l’occasion du dernier scrutin législatif, le Parti du Centre de Jüri Ratas (23,1%) avait conjugué ses 26 sièges avec les 19 de la droite radicale (EKRE 17,7% des voix) et les 12 de la droite modérée (Isamaa, 11,4% des voix), pour former un gouvernement. Damant ainsi le pion au Parti de la Réforme, qui, avec 28,9% des voix et 34 sièges, avait obtenu la première place. Mais un scandale de corruption et d’utilisation frauduleuse de fonds publics impliquant le parti KESK avait fait plonger le gouvernement en janvier 2021. La Présidente Kaljulaid avait alors chargé la cheffe des Réformateurs, Kaja Kallas, de former un nouveau gouvernement, incluant son prédécesseur Jüri Ratas. Cependant, des désaccords à propos d’une loi portant sur l’éducation font de nouveau tomber le gouvernement début juin 2022.

Kaja Kallas, insubmersible, propose alors une alliance avec Isamaa et le Parti social-démocrate, une sorte de Groβe Koalition à l’estonienne, qui rapproche des partis aux convergences assez larges… comme la Groβe Koalition à l’allemande.

Elle a remporté une nouvelle fois les élections législatives, elle a déjà gouverné avec trois des cinq partis représentés au parlement, elle dispose de nombreux points communs politiques avec un quatrième, Kaja Kallas est en bonne position pour garder son siège de cheffe du gouvernement. Le soir de son élection, elle milite d’ailleurs pour assurer la proportionnelle dans la répartition des portefeuilles ministériels.

Vos commentaires
  • Le 9 mars 2023 à 00:34, par Lalliot Arlette En réponse à : Législatives en Estonie : la démocratie aux portes de la guerre

    Cet article relate une fois de plus la difficulté d’exister à côté de ce géant .. l’Europe assurera t ´elle une certaine sécurité a l’Estonie .. Souhaitons que les états s’engagent au côté ce petit état

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