Les lacunes de l’Europe de la santé
Mi janvier, un sondage IFOP révélait que 62% des français consultés se disaient favorables à la mise en place d’un passeport vaccinal pour les personnes souhaitant prendre l’avion et celles souhaitant se rendre à l’étranger. Au pays où le mouvement anti-vaccin se fait particulièrement entendre, les résultats de ce sondage peuvent surprendre. Dans une communication du 19 janvier dernier, la Commission européenne fixait un objectif très concret à savoir : atteindre un taux de vaccination de 80% des plus de 80 ans et 80% des professionnels de santé et des services sociaux pour mars 2021, puis 70% de la population adulte d’ici l’été 2021. A l’heure où l’OMS annonce que la population mondiale ne sera pas immunisée en 2021, comment envisager la circulation ?
Tout a commencé en novembre dernier. En effet, par une communication du 11 novembre 2020, la Commission européenne a rappelé l’impérieuse nécessité de Construire une Union européenne de la santé, visant à “renforcer la résilience de l’UE face aux menaces transfrontalières sur la santé”. Insistant sur le rôle pivot de l’Agence européenne des médicaments (EMA), la Commission européenne préconisait fermement la mise en place d’une “task force permanente de l’EMA pour les situations d’urgence” et la création d’une “plateforme de surveillance des vaccins”. Elle n’évoquait alors pas de manière explicite l’éventualité d’un passeport vaccinal mais faisait état des enjeux transfrontaliers pour améliorer la gestion de la crise sanitaire.
En outre, on ne pourra parler sérieusement d’un éventuel passeport vaccinal que lorsque toute la population européenne aura eu accès à la vaccination, sans quoi le principe de non-discrimination, instauré au sein de l’article 18 du Traité sur l’union européenne ne sera aucunement respecté.
Un projet clivant au sein des États membres
L’idée a ressurgi dans les propos du premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, considérant qu’il serait utile de créer un document commun européen permettant aux citoyens de prouver leur vaccination, ou leur immunisation, contre le coronavirus. De cette façon, les citoyens continueraient de pouvoir user de la libre circulation au sein du marché intérieur, sans nécessité de se soumettre à un test PCR ou encore de réaliser une période de quarantaine.
La Belgique, l’Espagne, le Danemark, la Suède, la Hongrie et Malte semblent suivre cette tendance. Les raisons de ce positionnement sont multiples comme par exemple des enjeux touristiques ou la considération de l’activité des travailleurs transfrontaliers. Pour comparaison, Israël a lancé une campagne vaccinale drastique afin de vacciner son entière population d’ici deux mois. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou déclarait le 9 janvier qu’ainsi “Nous pourrons faire redémarrer rapidement notre économie : nos gymnases, nos restaurants, nos musées, nos écoles, nos théâtres et nos synagogues. Nous le ferons via le passeport vert.”
De l’autre côté, les Pays-Bas et la France semblent récalcitrantes, priorisant la vaccination et défendant le principe de libre-circulation. Le 17 janvier dernier, Clément Beaune, secrétaire d’état chargé des affaires européennes, déclarait à la radio que : “Nous sommes très réticents à cette idée. De quoi parle t-on exactement ? Si on parle d’un papier, un document qui vous autorise à voyager en Europe, je crois que c’est très prématuré, c’est un débat qui aujourd’hui n’a pas lieu d’être. Je crois qu’il serait choquant de dire alors que l’on débute partout la campagne vaccinale en Europe, qu’il y a un passeport avec des droits plus importants pour certains que pour d’autres, ce n’est pas notre vision de la protection et de l’accès aux vaccins.”
Fin janvier la Commission européenne avançait que plus d’une douzaine d’États membres semblaient favorables à la concrétisation de ce passeport/certificat vaccinal européen.
Les longues tergiversations des discussions institutionnelles
Depuis que la Commission a posé une stratégie vaccinale commune le 15 octobre dernier, elle s’est faite garante de la fourniture des doses de vaccins au nom de tous les États membres et pour tous les citoyens européens. Lors du Conseil européen du 21 janvier dernier, les 27 chefs d’États de l’Union “ont convenu d’œuvrer à l’élaboration d’un formulaire normalisé et interopérable attestant de la vaccination à des fins médicales”. En outre, Charles Michel, actuel président du Conseil européen, déclarait en clôture de séance : “Nous pensons être en mesure de nous mettre d’accord sur des éléments communs à faire figurer sur des certificats à des fins médicales. Et, à un stade ultérieur, nous examinerons dans quel cas ces certificats pourront être utilisés”.
Les 27 États membres semblent donc se rapprocher d’un consensus en la matière. Une infographie récemment publiée atteste de ces réactions étatiques convergentes visant à consolider une approche commune sur les mesures de voyage du fait de la pandémie. Si cette cartographie des zones à risques est un premier pas pour guider les autorités vers les foyers de contagieux, quid des certificats de vaccination ?
Le 1er février dernier, le Conseil de l’Union européenne mettait à jour la recommandation relative aux mesures ayant une incidence sur la libre circulation. Cette décision faisait suite à la situation particulière des travailleurs transfrontaliers ainsi qu’à celle de ceux du secteur des transports. Le communiqué de presse de ce Conseil des ministres de l’Union précisait que : “La décision d’instaurer ou non des restrictions à la libre circulation afin de protéger la santé publique continue de relever de la responsabilité des États membres. Toutefois, la coordination sur ce sujet est essentielle”. Pour l’heure, les recommandations du Conseil n’étant pas juridiquement contraignantes, les 27 États décident donc nationalement de la mise en œuvre desdites recommandations européennes.
En parallèle, l’imminent défi de la couverture vaccinale européenne
Le passeport vaccinal européen semble au final intrinsèquement lié à la problématique de l’obligation vaccinale, ou tout du moins à celle de la couverture vaccinale. Quant à savoir si elle deviendra une condition préalable à l’octroi d’un certificat vaccinal, le débat institutionnel n’a pas été poussé jusque là. Par ailleurs, cette “preuve de vaccination standardisée” ne lève pas l’incertitude scientifique pesant sur les qualités immunisantes des différents vaccins contre le virus.
En outre, derrière la normalisation européenne d’un document commun, se pose la question de la protection des données personnelles et de santé des citoyens européens qui s’y soumettront. Tant la question du stockage, de la gestion que celle de la consultation sont des traitements sensibles qui en l’espèce devront scrupuleusement suivre les dispositions du règlement général sur la protection des données à caractère personnel, plus communément appelé “RGPD”.
Pourquoi ne pas capitaliser sur un document déjà existant tel que la Carte européenne d’assurance maladie ? Actuellement, la Carte européenne d’assurance maladie (CEAM) est délivrée par les services d’assurance maladie des États membres. Elle sert essentiellement à attester d’une couverture santé au sein d’un État membre afin de pouvoir se voir être pris en charge pour des soins réalisés au sein d’un État membre. Consolider la CEAM pourrait conduire à une plus grande convergence des échanges d’informations médicales et sanitaires entre États membres.
Par ailleurs, le 27 janvier dernier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, organisation intergouvernementale réunissant 47 États membres de notre continent, a adopté la Résolution 2361 intitulée “Vaccins contre la covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques”. Celle-ci insiste sur l’information des citoyens quant au caractère non obligatoire de la vaccination afin de “veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner” (§7.3.2.).
L’exemple des divergences françaises
En ce sens, Alexandre Devecchio, journaliste en charge du Figaro Vox, estime par exemple que “Inventer un autre document administratif alors même qu’on a pas de vaccin, ce débat ne se pose pas au rythme où l’on va pour avoir une vaccination collective. Il va falloir des années. Nous ne sommes pas pour le moment en état de vacciner tout le monde, et je ne vois donc pas pourquoi l’on exigerait un passeport vaccinal.”
L’économiste Nicolas Baverez estime quant à lui que “Ce n’est pas un passeport immunitaire, mais cela permet de certifier la qualité des vaccins et des laboratoires (...). C’est une invention très française puisque c’est la France qui a inventé le passeport sous Louis XIV, pour le mercantilisme et les sauf-conduits, et que c’est la France qui a inventé le vaccin avec Pasteur en 1880. Et s’il y a bien un pays qui en a besoin pour repartir, c’est le nôtre ; donc prenons la tête du combat pour le passeport vaccinal”.
Ainsi, qu’il soit considéré comme prématuré ou encore illusoire, le passeport vaccinal ne semble pas prêt d’être dans notre poche demain. D’ici là, reste en effet à savoir si le citoyen européen possèdera en matière de vaccination un droit ou un devoir.
Le 17 février dernier, l’Observatoire d’éthique publique, think-tank rassemblant chercheurs et parlementaires visant à oeuvrer en matière de transparence et de déontologie de la vie publique, publiait un document de prise de position quant aux enjeux “éthico-juridiques du passeport vaccinal”. Premièrement, le document craint que l’incertitude médicale relative aux vertus immunisantes des vaccins ne conduise à une incertitude juridique. Deuxièmement, la mise en place du passeport vaccinal pourrait mener à terme à un régime discriminatoire entre les personnes souhaitant être vaccinées mais ne le pouvant pas encore au vu du déploiement progressif de la vaccination , celles souhaitant être vaccinées mais ne le pouvant pas pour des raisons médicales ou encore celles ne souhaitant pas se faire vacciner. Troisièmement, si l’obligation vaccinale était décidée, l’objectif de santé publique supplanterait alors certains de nos choix individuels au nom de l’intérêt général de protection de la santé publique. Quatrièmement, enfin, l’Observatoire s’interroge sur les risques liés à la protection des données de santé et la confidentialité du secret médical notamment du fait “de l’accès aux données par les prestataires techniques et par les destinataires du passeport”.
Si les positions françaises, européennes et mondiales concernant le passeport vaccinal comptent de multiples variétés, tout comme l’existante variété de vaccins, il n’en demeure pas moins que l’échelon européen est aujourd’hui le plus appropriée pour pouvoir démocratiquement opter pour le bon modèle à suivre afin de préserver nos libertés citoyennes au sein du marché intérieur, qui a érigé, depuis l’origine des traités, la protection de la santé comme valeur fondamentale que les États membres doivent impérieusement sauvegarder.
Suivre les commentaires : |