Lors d’une conférence de presse à Varsovie, quelques semaines avant les élections législatives, Beata Szydlo, alors leader du parti conservateur de Pologne, Droit et Justice, et maintenant désigné Premier Ministre, a demandé au gouvernement polonais d’abandonner l’idée d’adopter l’euro et promis que la première décision de son gouvernement serait de fermer le service chargé de préparer la Pologne à l’adoption de l’euro. De la même manière, le président Andrzej Duda, appartenant aussi à Droit et Justice, fit l’éloge du zloty pour avoir protégé le pays durant la crise de la zone euro et exprima son opposition à l’introduction de l’euro jusqu’à ce que les salaires moyens des travailleurs polonais soient alignés sur ceux de leurs collègues allemands (c’est-à-dire dans un avenir imprévisible car ils sont actuellement d’un tiers moins élevés).
L’ancien Premier Ministre polonais eurosceptique Jaroslaw Kaczynski amena Droit et Justice au gouvernement avec un programme électoral basé sur un mélange de promesses de meilleures conditions de vie pour les travailleurs et les populations rurales, d’hostilité à l’égard de l’Union européenne et une bonne dose de nationalisme et de populisme, sinon de franche xénophobie. Sans doute, le nouveau gouvernement de Beata Szydlo mènera des politiques nationalistes et s’opposera à de nouveaux transferts de compétences à l’Union européenne.
La crise migratoire en cours et les propositions de la Commission européenne d’un mécanisme obligatoire de partage du fardeau et d’une gestion européenne des frontières européennes fournissent un domaine de conflit immédiat. Mais c’est sur le développement de la zone euro que les élections polonaises pourraient avoir l’effet le plus durable.
La Pologne est l’un des neuf Etats membres de l’Union qui ne sont pas dans la zone euro. A part le Danemark et le Royaume-Uni qui ont négocié de ne pas participer à l’euro, tous les autres pays (la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Suède) sont liés par la loi à l’adoption de l’euro dès qu’ils atteindront certains critères. Ils concernent la dette publique et les niveaux de déficit, les valeurs de référence de l’inflation, les taux d’intérêts à long terme, la participation au Mécanisme de change européen et la conformité des lois nationales avec le statut de la Banque centrale européenne (BCE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Des sept pays, la Pologne est le plus grand pays et le plus stratégique. Actuellement elle est au-dessous de deux seuls critères et ces deux-là ne sont qu’une question d’un peu plus de volonté politique. La mise en conformité de certaines lois nationales pourrait être rapidement réalisée. Et le budget encore excessif par rapport au PIB, dû aussi aux récentes politiques anticycliques pour contrer la crise économique, pourrait aussi être maîtrisé d’ici quelques années. Mais la victoire d’un gouvernement eurosceptique et les tendances plus profondes au sein de la société polonaise qu’il reflète repousse la participation à l’euro à un avenir indéfini, indépendamment de ses obligations à l’égard des traités.
Certains des pays qui ne sont pas dans l’euro sont dans une situation semblable. A un moment où la zone euro est en train de discuter de son avenir -y compris sur la manière de structurer la relation entre les pays de l’euro et les autres, dans l’éventualité où la zone euro approfondirait son intégration fiscale, économique et politique- le report de l’entrée de la Pologne dans la zone euro dans un avenir prévisible change les termes du débat sur le fait de savoir si et quand on approfondit l’intégration de la zone euro et sur les relation entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors ». Si la Pologne rejoignait la zone euro à court terme, cela signifierait une imbrication plus étroite entre la zone euro et l’Union européenne, cela renforcerait l’image du Royaume-Uni comme le principal, sinon le seul véritable Etat membre anti-intégration, et cela s’opposerait à la nécessité d’une intégration plus différenciée. La Pologne hors de l’euro a clairement l’effet contraire.
Les Etats membres les plus intégrationnistes de la zone euro ont trois options
Ils pourraient investir leurs efforts pour essayer de tirer la Pologne et d’autres pays réticents pour préserver l’unité de l’Union en attendant le temps qu’il faudra pour qu’ils reprennent éventuellement la voie européenne, y compris en rejoignant la zone euro et en participant à son évolution future. Cela impliquerait de repousser une intégration plus approfondie de la zone euro à la prochaine décennie voire au-delà. Personne ne peut prédire d’ici combien de temps. Cela pourrait être extrêmement coûteux. Si aucun changement n’était fait dans la structure économique et institutionnelle de la zone euro, la durabilité de la monnaie unique pourrait être mise en question, particulièrement si une nouvelle crise financière ou économique frappait l’Europe. En outre, si la zone euro était incapable de se réformer et si elle ne pouvait pas faire ce qu’on attend d’elle dans les quelques années prochaines, les sentiments eurosceptiques pourraient même se répandre dans l’Union tout entière, mettant ainsi en péril la construction européenne dans son ensemble.
Sinon, ils pourraient continuer à approfondir l’Union monétaire, vers une union fiscale et économique plus importante mais éviter toute « intégration politique » supplémentaire. Cela signifierait aussi éviter toute différenciation dans la composition et la manière de travailler des institutions européennes qui pourraient élargir le fossé entre les pays à l’intérieur et ceux à l’extérieur de la zone euro. Les idées françaises pour un parlement de la zone euro et les idées allemandes pour un ministre des Finances européen ayant son mot à dire sur les budgets nationaux ainsi que l’idée d’un budget de la zone euro financé par des ressources propres (qui aurait un impact d’une manière ou d’une autre sur les pays en dehors de l’euro), il ne pourrait en être question. Les résultats ne seraient en fait pas différents de ceux de la première option.
La seule option à long terme pour les pays de la zone euro (et en premier lieu pour l’Allemagne et la France), consisterait à insister pour faire un saut vers une intégration plus profonde en associant une intégration fiscale et économique (particulièrement à travers un budget de la zone euro et des instruments de partage des risques) à une union politique plus profonde. Evidemment, de telles avancées impliquent des modifications des traités de l’Union européenne qui seraient refusés par les pays non participants à l’euro.
Ce qui amène la question de la manière dont les pays de la zone euro peuvent récupérer le contrôle de leur propre destin et ne pas être bloqués ad infinitum par ceux qui sont à l’extérieur, si nécessaire en recourant à des traités additionnels. Les efforts des Etats membres intégrationnistes devraient se focaliser sur la proposition aux autres pays d’un accord acceptable qui leur permettrait de bénéficier des résultats des phases actuelles de l’intégration européenne sans prendre part aux autres décisions européennes, ni être liés par elles. En échange, ils garantiraient leur soutien à la fédéralisation de la zone euro.
La Pologne n’est pas un cas isolé. Tous les pays qui composent le groupe dit de Visegrad (la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie) connaissent un retour des forces nationalistes et alimentent des suspicions croissantes à l’égard des voisins, des partenaires de l’Union et des étrangers. Et puis, évidemment il y a le Royaume-Uni. Les élections en Pologne ainsi que des développements semblables dans d’autres pays actuellement en dehors de la zone euro, obligent chacun à se confronter à la réalité que l’Union européenne ne pourra pas progresser vers l’intégration tout d’un bloc au même moment. L’Union restera pendant un très long temps, peut-être pour toujours, une Union avec plusieurs monnaies. Le type d’intégration requis pour la zone euro est fondamentalement différent de celui qui sous-tendait le marché unique. Il nécessite un niveau d’engagements et le sentiment d’une communauté de destin que certains Etats membres n’ont pas encore et n’auront pas dans un avenir prévisible. Les Européens devraient accepter que le principe d’une Union toujours plus étroite et l’obligation de rejoindre l’euro ne sont pas réalistes dans les circonstances actuelles. En revanche, c’est seulement si le cœur de l’Union, la zone euro, est capable d’avancer seule que les acquis de l’Union et ses valeurs seront préservés.
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