Les élections européennes en Allemagne : entre continuité et bouleversement ?

, par Théo Boucart

Les élections européennes en Allemagne : entre continuité et bouleversement ?

A un mois des élections européennes, il est nécessaire de se pencher sur la campagne électorale menée chez nos voisins. A défaut d’enthousiasmer l’opinion publique allemande, les résultats en Allemagne auront forcément un fort impact sur la composition du prochain Parlement européen.

Malgré son appellation « d’élections européennes », les campagnes restent hélas essentiellement nationales et se focalisent trop sur les enjeux nationaux et non pas sur les grandes thématiques européennes touchant directement les prérogatives du Parlement européen. Les récents débats électoraux l’ont « magistralement » montré. Ce cloisonnement du débat public européen doit nous pousser à observer comment nos voisins mènent-ils la campagne, pour essayer de trouver des points communs favorisant l’émergence d’un espace public européen.

Du fait de son poids politique en Europe et de sa tradition parlementaire très forte, l’Allemagne doit attirer toute notre attention. Si le pays est frappé par les mêmes fléaux que les autres pays européens (comme l’abstention et la montée des populismes eurosceptiques), des caractéristiques lui sont propres, comme l’estime pour le mandat de parlementaire européen ou son influence grandissante au sein de l’hémicycle de Strasbourg. Petit tour d’horizon de la campagne européenne menée en Allemagne, ses partis, ses candidats et ses enjeux.

1380 candidats, un record

Quelques chiffres pour commencer. L’Allemagne est le pays qui possède (de loin) le plus grand nombre de sièges au Parlement européen : 96. Depuis 2014, la répartition entre les partis allemands appartenant aux groupes politiques européens est la suivante : 34 pour la CDU-CSU (centre-droit), 27 pour le SPD (centre-gauche), 11 pour les Verts, 7 pour le parti de gauche Die Linke, ainsi que pour la droite radicale de l’AfD, et 3 pour les libéraux du FDP. Quelques partis ont obtenu un seul et unique siège : le parti antifasciste « DIE PARTEI », le parti pour la protection des animaux, les Freie Wähler, le parti écologiste-démocrate, le parti des familles d’Allemagne, l’extrême droite du NPD, et le « parti des pirates ».

Mais pourquoi de si petits partis sont représentés au Parlement ? N’y a-t-il pas de seuil minimal en deçà duquel on ne peut pas être élu ? Contrairement à la France, où un parti doit obtenir au moins 5% des voix pour rentrer au Parlement, l’Allemagne a fait le choix à la fin de l’année dernière de ne pas appliquer de Sperrklausel, même si le gouvernement fédéral y avait un temps pensé. L’Allemagne fait donc parti des 13 pays européens n’appliquant pas de seuil minimal (ce qui peut paraître curieux, car les élections nationales et locales sont marquées par l’existence d’une clause de 5%).

L’absence de cette contrainte majeure pour les petits partis serait-elle la raison pour laquelle tant de personnes candidatent aux élections européennes en Allemagne ? Selon la commission électorale fédérale, 1380 candidats appartenant à 41 partis et mouvements politiques feront campagne pour décrocher l’un des 96 sièges. Un record absolu, qui donne lieu à plusieurs interprétations : d’un côté, on peut voir un attrait nouveau pour les élections européennes, le seul moment où la démocratie européenne peut s’exprimer. D’un autre côté, on peut arguer du fait que ce nombre exceptionnel de candidats et de partis n’est que la conséquence de la défiance grandissante à l’égard des partis politiques « traditionnels », dont les programmes européens ne traduisent pas la volonté de changement des citoyens.

Le programme des partis : rien de nouveau sous le soleil ?

Les élections européennes de 2019 seront-elles l’occasion de voir de nouveaux et ambitieux programmes ? Pas si sûr, quand bien même les principaux défis existentiels de l’UE sont largement abordés.

Pour la première fois, la CDU et la CSU présentent un programme commun pour les élections européennes, reproduisant ce qu’elles faisaient déjà au niveau national depuis la naissance de la république fédérale d’Allemagne. Manfred Weber est ainsi non seulement le Spitzenkandidat de la CDU-CSU, mais aussi du Parti populaire européen, le groupe politique européen actuellement en tête des intentions de vote. Le programme de la CDU-CSU, « Notre Europe rend fort. Pour la sécurité, la paix et la prospérité », s’axe sur la défense des valeurs européennes face à la montée du populisme, mais aussi sur la crise migratoire.

Le partenaire de la CDU-CSU au sein de la grande coalition au pouvoir à Berlin, le SPD, a choisi Katarina Barley comme Spitzenkandidatin. L’actuelle ministre de la justice a un profil également très européen et serait la première personnalité politique allemande à abandonner un poste national prestigieux pour une fonction européenne. Un signe très encourageant. « Unissez-vous et rendez l’Europe forte », voici le titre d’un programme se voulant différent de celui de son partenaire de coalition, insistant sur les thématiques d’égalité, de justice sociale et fiscale, sur une gestion humaniste de la crise migratoire, et sur une politique d’élargissement aux pays des Balkans occidentaux.

Surfant sur une vague de fortes intentions de vote, au niveau national comme au niveau européen, les Verts ont choisi le tandem Ska Keller (également co-Spitzenkandidatin des Verts européens) et Sven Giegold comme duo pour mener leur liste et ont dévoilé dès novembre 2018 leur programme pour les élections européennes. Il s’intitule « Renouveler les promesses de l’Europe » et doit renforcer l’UE grâce à la lutte contre le changement climatique, l’approfondissement de l’union monétaire et sociale, la défense des valeurs européennes fondamentale en Europe et dans le monde, l’éducation et la formation, et la mobilité européenne. Ce programme de presque 190 pages est bien plus concret que ceux des autres parties, ce qui montre l’importance accordée par les Verts au scrutin européen.

A côté de ces trois partis principaux, il ne faudrait pas oublier les autres formations en lice. Le FDP et sa Spitzenkandidatin Nicola Beer veulent « utiliser les opportunités de l’Europe » dans leur programme et se prononcent pour une nouvelle structure de l’UE, via notamment la convocation d’une nouvelle assemblée constituante.

A gauche du paysage politique allemand, Die Linke et leurs Spitzenkandidaten, Martin Schirdewan et Özlem Alev Demirel, ont présenté un programme sous le titre de « Une Europe uniquement solidaire ». La transition énergétique et la politique sociale, en particulier celle du logement, y sont abondamment évoquées.

Enfin, l’AfD a choisi Jörg Meuthen comme Spitzenkandidat. Comme tout partie de droite radicale classique, son programme électoral de presque 90 pages est très critique envers l’UE et préconise un « Dexit », voire même une dissolution pure et simple de l’Union et du Parlement européen pour une coopération intergouvernementale.

Les rapports de force entre les partis peuvent-ils changer en 2019 ?

Selon les principales enquêtes d’opinion, la CDU-CSU récolterait 30-32% des voix, les Verts 16-19%, le SPD 16-18%, l’AfD 10-12%, le FDP 7-9% et Die Linke 6-8%. Le parti social-démocrate serait ainsi le grand perdant des élections (tout comme lors des élections fédérales de 2017). L’AfD et surtout les Verts tireraient leur épingle du jeu, là aussi confirmant des tendances observées au niveau national. A la vue des différentes idées avancées par les différents partis pour le scrutin de mai prochain, on peut constater un certain statu quo dans les positions, malgré la reconnaissance de la menace néonationaliste. Tout cela ne pousse pas les citoyens allemands à s’intéresser aux élections européennes. Selon un sondage sorti début avril, le Brexit semble bien plus important dans l’esprit des Allemands que les élections. De plus, le 26 mai est aussi un jour d’élections locales dans une dizaine de Bundesländer, ce qui dilue l’intérêt pour le scrutin européen, notamment dans les régions de l’Est. En 2014, la participation électorale était de 48%. En 2019, la mobilisation des jeunes électeurs pourrait-elle augmenter cette participation ? Certains l’espèrent.

Un sondage sorti le 18 avril pourrait néanmoins doucher leurs espoirs. Selon l’institut de sondage YouGov, repris par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, 45% des sondés allemands ne connaissent aucune tête de liste. Celles qui sont les mieux connues sont les personnalités politiques présentes au niveau national, comme Katarina Barley (39%) ou Jörg Meuthen (35%). Manfred Weber (26%), Ska Keller (7%), ou Udo Bullmann, en deuxième position sur la liste SPD (4%) sont des quasi-inconnus du grand public allemand, ce qui montre un lien évident et assez consternant entre carrière au Parlement européen et couverture médiatique.

Faut-il s’attendre à une prépondérance allemande au sein du Parlement européen ?

Comme évoqué plus haut, l’Allemagne est le pays qui possède le plus de sièges au Parlement européen. Malgré le rééquilibrage à la faveur du Brexit, la différence entre la France et l’Allemagne est flagrante, ce qui traduit certes la différence démographique entre les deux pays, mais également le peu d’importance accordée par la France au Parlement européen (lors de la négociation du Traité de Nice, Jacques Chirac avait préféré accorder beaucoup plus de sièges aux eurodéputés allemands en échange d’une pondération des voix égale entre la France et l’Allemagne au Conseil de l’UE). L’Allemagne, au contraire, possède une tradition parlementaire ancrée dans son ADN politique moderne.

Dès lors, faut-il s’attendre à une prépondérance allemande au sein de l’hémicycle à partir de mai prochain ? Si de nombreuses forces politiques allemandes seront les plus représentées au sein de leur groupe européen respectif (comme la CDU-CSU, les Verts et peut-être le SPD), il est possible de voir des eurodéputés allemands aux postes les plus stratégiques au sein des commissions parlementaires notamment. Cela est dû également au fait que la plupart des eurodéputés allemands ont de l’expérience et de l’estime pour leur travail, ce qui n’est pas forcément le cas des eurodéputés français les plus connus.

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