Les enjeux pour la prochaine Commission européenne (2019 – 2024)

, par Cécile Jacob, Thomas Buttin

Les enjeux pour la prochaine Commission européenne (2019 – 2024)
Le rond-point Schuman à Bruxelles, depuis lequel on voit sur la droite la Commission européenne (le Berlaymont), et à gauche le Conseil européen (bâtiment Justus Lipsius). Photo : yngwiemanux - CC BY-NC 2.0

Les Jeunes Européens - Lyon ont publié en mai 2018 leur seconde numéro de leur édition papier, le TauriLyon. A un an des élections européennes, les rédacteurs dressent les enjeux et les défis qui attendent déjà la prochaine Commission européenne.

L’actuel mandat de la Commission européenne actuelle a été marqué par une montée des mouvements eurosceptiques et souverainetés à l’Est, en grande partie causée par l’incapacité des pays européens à faire face à la question migratoire depuis 2015. Les valeurs démocratiques européennes que sont la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’Homme, y compris des droits des minorités, visées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE) fondent le socle de l’intégration européenne.

Ivan Krastev, politologue bulgare et auteur de l’essai Le Destin de l’Europe, a notamment déclaré : « La crise migratoire a démontré avec éclat que l’Europe de l’Est envisage les valeurs cosmopolites qui sont au fondement de l’Union européenne comme une menace alors que, pour de nombreux citoyens de l’Ouest, ce sont encore ces valeurs cosmopolites qui constituent le cœur même de la nouvelle identité européenne. En résumé, les vagues migratoires ont provoqué une renationalisation de la politique et une résurrection concomitante de la ligne de partage entre l’Est et l’Ouest. ». La fracture entre l’Est et l’Ouest, très largement visible, est un nouveau défi pour l’Union européenne et remet en cause tant l’incompréhension et l’application de ses valeurs que l’intégration elle-même. Ces défis devront être relevés par la prochaine Commission européenne.

Une Union solidaire face à la crise migratoire

Suite au récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 6 septembre 2017 faisant suite au recours en annulation relatifs à la répartition des réfugiés entre les Etats membres votée en 2015, formé par la Hongrie et la Slovaquie, la plus haute juridiction de l’UE a réaffirmé le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres en vertu de l’article 80 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). En effet, la raison d’être, le socle du projet européen, réside bel et bien dans son principe de solidarité et dans ses valeurs.

La réaffirmation de ce principe central devra désormais être considéré dans l’élaboration des politiques migratoires des Etats membres, et par extension il serait probablement souhaitable de l’étendre en interne en ce qui concerne la progression des droits de circulation des citoyens européens. Était alors très clairement visée la politique migratoire développée par le premier ministre hongrois, Viktor Orbán. Celui-ci se félicitait en effet de demeurer « l’une des dernières régions en Europe sans migrants ». A cela, Jean-Claude Juncker avait répondu que la solidarité « n’est pas un plat à la carte ». Durant le prochain mandat, un véritable travail sera attendu quant au respect de cet arrêt, ayant autorité de la chose jugée et s’imposant à tous les États membres de l’Union. En tant que « quintessence de ce qui constitue à la fois la raison d’être et l’objectif du projet européen » et « valeur existentielle et fondatrice de l’Union », la solidarité des États membres est vitale pour l’Union européenne.

La nécessaire sauvegarde de l’État de droit en Pologne

L’année 2017 fut pour la Pologne une année tristement notable en terme d’isolement sur la scène européenne. En effet, des tensions diplomatiques sans précédent se sont élevées entre l’Union européenne et Varsovie. En cause : une réforme judiciaire de treize lois litigieuses réduisant les garanties de l’État de droit via le renforcement des pouvoirs du parlement. Le parlement décidera notamment d’une commission judiciaire spéciale remplaçant le Cour suprême polonaise et il élira directement les membres du Conseil national de la magistrature, réduisant ainsi à néant l’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs. La Commission européenne en a conclu que le système judiciaire était soumis « au contrôle politique de la majorité politique », c’est-à-dire du parti ultraconservateur Droit et Justice (Pis).

L’Union européenne avait déclenché une procédure de « sauvegarde de l’État de droit » en 2016 à l’encontre du gouvernement, et du parti Droit et Justice (Pis) suite à l’adoption de mesures relatives au Tribunal constitutionnel et au secteur des médias. Cette procédure a donc été relancée le 20 décembre 2017 par la décision de Bruxelles de recourir pour la première fois à l’article 7 du TUE en dépit d’avertissements répétés de menace systémique envers l’État de droit en Pologne. Cette attente à l’une des valeurs démocratiques fondamentales de l’Union marque une violation au système institutionnel modèle dans lequel la puissance publique est soumise au droit.

Cette procédure a cependant peu de chances d’aboutir en ce qu’elle nécessite une proposition motivée « d’un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne ». Le veto du groupe de Visegrád pourrait notamment mettre en échec l’activation de la procédure. Le dialogue semble totalement rompu face à une Pologne qui campe sur ses positions. Récemment, en mars dernier, Jacek Czaputowicz, ministre polonais des affaires étrangères, défendait le droit de la Pologne « à conduire des réformes du système judiciaire conformément aux attentes des polonais ». Dès lors, à défaut de rétablir le dialogue avec Varsovie, l’activation de cette procédure et l’aval de tous les États membres constituera sans nul doute un enjeu de taille pour le prochain mandat de la Commission européenne afin de protéger l’État de droit sur le territoire européen, comme valeur démocratique commune. Par l’activation pour la première fois de cette procédure, la Commission devra s’ériger en garde-fou de l’État de droit dans ses pays membres.

Préparer la voie à des élargissements futurs

Le 6 février dernier, la Commission européenne a rendu publique sa stratégie d’élargissement aux pays des Balkans occidentaux. A l’horizon 2025, des États de l’ex-Yougoslavie pourraient bien prendre part à la construction européenne. La Serbie et le Monténégro devraient notamment clore les négociations de pré-adhésion à cette date. Le mandat 2019-2024 sera donc un mandat tournant pour préparer ces États à intégrer le projet européen, en renforçant la coopération avec ceux-ci. Des progrès supplémentaires sont toutefois encore attendus pour remplir les critères d’adhésion, dont les « critères de Copenhague », qui se doivent d’être respectés afin de prévenir tout élargissement hâtif.

Préalablement à un éventuel élargissement européen, il apparaît clairement qu’un travail conséquent doit être entrepris quant au respect des valeurs démocratiques européennes en Europe de l’Est. La fracture entre l’Est et l’Ouest demeure préjudiciable pour tous les États membres et empêche toute avancée dans la poursuite de la construction européenne.

L’intégration de l’Eurozone : un défi de conciliation entre les Etats membres

Si les volontés françaises et allemandes se rejoignent en ce qui concerne un approfondissement de la zone euro dans les années à venir, certaines voix se font entendre pour en calmer les ardeurs.

Lors du dernier Conseil européen des 23 et 24 mars dernier, les dix-neufs chefs d’Etats et de gouvernement de l’espace monétaire ont débattus des réformes intégratrices et des projets futurs. Le président français, Emmanuel Macron et la chancelière, Angela Merkel, ont plaidé à l’élaboration d’une feuille de route commune comme force de propositions. Parmi elles : un budget propre, réforme du Mécanisme européen de stabilité en un Fond monétaire européen, controversés Eurobonds et mécanisme de garantie des dépôts...

La prise de conscience de l’inachèvement de l’espace monétaire et économique européen, le programme est ambitieux. La Commission européenne devra accompagner ces réformes et concilier des opinions divergentes sur le sujet. Les pays nordiques se sont d’ores et déjà exprimés quant à leurs réticences face à certains des points abordés. La période est propice aux réformes et au progrès de l’intégration : le statu-quo n’est ni souhaitable ni envisageable.

L’espace de liberté, de sécurité et de justice : progresser pour le citoyen européen

L’espace de coopération judiciaire et civile de l’Union européenne conçu en faveur du citoyen européen constitue un domaine souvent peu connu, mais susceptible de progrès considérables. Face à l’émergence du statut de citoyen européen, comme « statut fondamental de tous les ressortissants des Etats membres », des nouveaux pans du droit de l’Union sont apparus comme les prémices d’un droit civil européen ou d’un droit pénal européen. Cependant les aspects les plus importants, au regard de la situation concrète au sein de l’Union sera de rétablir l’effectivité d’un espace de liberté morcelé suite aux fermetures des frontières unilatérales au sein même du territoire européen. Approfondissement de la coopération policière, européanisation des contrôles aux frontières, créations d’agences... les réalisations n’ont pas manqué durant la période 2014 - 2019. Désormais il est temps que l’espace recouvre son unicité.

De même, la Commission européenne pourrait être amenée à réviser les textes concernant la circulation des citoyens européens. Si ce n’est pas le cas, il faudra lui en inviter. Effectivement, si la circulation est une réalité, trop d’obstacles demeurent encore aujourd’hui. La citoyenneté européenne est un vecteur formidable d’intégration pour l’ensemble de l’Union. Considérer ce statut comme central devrait être l’une des missions principales de la prochaine Commission européenne pour progresser dans une « union sans cesse plus étroite entre les peuples », et dépasser son existence en tant que simple statut juridique pour en faire une réalité tangible et politique.

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