C’est sous une pluie persistante, paradoxalement tant attendue après des semaines de sécheresse, que s’est tenu vendredi 24 février le rassemblement de soutien à l’Ukraine et à son peuple face à l’agression de l’Etat russe. Organisée par l’association PromoUkraïna et soutenue par les associations européennes strasbourgeoises, comme Le Mouvement Européen – Alsace et Les Jeunes Européens – Strasbourg, cette manifestation commémorait avec émotion la première année de « l’opération spéciale », ce macabre euphémisme désignant la guerre existentielle, en réalité commencée en 2014, que fait subir à l’Ukraine l’acharnement russe et de ses soldats, envoyés au front parfois même contre leur gré.
Même en qualité de capitale européenne, Strasbourg n’était pas la seule ville à accueillir des rassemblements en soutien au pays. En France, une quinzaine de villes ont voulu témoigner de leur solidarité. En Europe, de nombreuses autres manifestations se sont tenues, dont la spectaculaire installation d’un char russe détruit par les combats près de Boutcha, devant l’ambassade de Russie à Berlin.
Le soutien européen « symbolique » semble univoque, l’aide concrète proposée par les partenaires européens à Kiev, bien plus équivoque. Les Fédéralistes, malgré leur attachement viscéral à la paix en Europe, doivent reconnaître que l’Europe orientale anciennement soviétique est en proie à l’irrédentisme russe violant la souveraineté de peuples qui ont brisé les chaînes de l’asservissement à la chute du bloc communiste. A ce titre, tout cynisme et engagement ambigu à l’égard de l’Ukraine et de sa liberté est à proscrire.
Armer l’Ukraine pour défendre nos valeurs européennes
Une première décision, difficile mais nécessaire, est de continuer à envoyer du matériel de guerre à l’Ukraine. Jusqu’à présent, les Etats-Unis sont (de loin) le premier fournisseur de l’aide de guerre (presque 50% du matériel envoyé) en volume absolu. Pour ce qui est de l’aide relative, l’Estonie et la Lettonie investissent environ de 1% de leur PIB. La France envoie de l’aide, mais se situe assez loin derrière les principaux fournisseurs. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky rappelle régulièrement la nécessité de ne pas perdre le rythme de cette aide qui permet pour le moment au pays de tenir, voire même de reprendre des territoires aux forces russes.
Aider logistiquement l’Ukraine, c’est aussi défendre les valeurs d’une Europe démocratique, respectueuse de la souveraineté populaire, et qui tend vers une union toujours plus étroite afin de préserver nos modèles de société tout au long des prochaines décennies. C’est donc dans l’intérêt de tous les citoyens de l’Union de voir une Ukraine victorieuse. Attention, cela ne signifie nullement qu’il faille consentir aux théories du complot d’extrême droite et gauche, et penser que l’UE tire les ficelles de Kyiv. Volodymyr Zelensky n’est pas la marionnette de Washington ou de Bruxelles, les Ukrainiens défendent leur liberté contre un ennemi qui leur nie le droit d’exister.
En outre, cela signifie encore moins qu’il ne faille regarder que vers l’Ukraine et qu’il faille oublier ce qu’il se passe depuis deux ans et demi au Bélarus, ou depuis un an en Arménie, ou même oublier les conflits gelés en Géorgie ou en Moldavie. Les Fédéralistes européens, premiers défenseurs d’un monde uni et démocratique, exigent en effet de l’Union européenne une politique étrangère bien plus active partout dans le monde et au service de ses valeurs, à la manière d’un État souverain.
L’Ukraine, l’Europe au cœur
Une fois la guerre terminée, une véritable discussion sur l’avenir européen de l’Ukraine s’impose. On a tenté pendant près de 30 ans un modèle de « glacis » ou de « trait d’union » (plus politiquement correct) entre l’UE et la Russie. Force est de constater que les élites russes sont malades de leur irrédentisme et de leur nostalgie obsessionnelle de l’effondrement de l’Union soviétique, et que l’Ukraine ne peut rester éternellement neutre, au risque d’être déchirée par les forces centrifuges régulièrement lancées par Moscou depuis le début des années 2000.
La solution, très difficile à mettre concrètement en œuvre, est de permettre l’adhésion du pays à l’Union européenne. Très difficile, car en temps de guerre comme en temps de paix, l’Ukraine est un pays qui ne répond pas aux critères d’adhésion actuels, dits de Copenhague. Le pays souffre en particulier d’une corruption chronique que le Président Zelensky n’avait pas vraiment réussi à endiguer avant février 2022. Pourtant, offrir une voie européenne à l’Ukraine, c’est aller bien au-delà de ces critères techniques (qu’il faudra tout de même prendre en compte à un moment), c’est répondre à une demande du peuple ukrainien (près de 90% de la population est en effet favorable à une intégration de leur pays à l’UE), c’est aussi acter le fait qu’un retour à la réalité d’avant le 24 février 2022 est impossible et que l’Union européenne doit assumer pleinement son statut de modèle pour certains pays d’Europe orientale.
Sur ce point, l’Union des Fédéralistes européens (UEF), réitère régulièrement son soutien à l’intégration européenne de l’Ukraine, tout en exigeant un approfondissement de l’intégration parallèlement à l’élargissement de l’Union. Dans son communiqué publié le 24 février, l’UEF a ainsi renouvelé son souhait de « voir une Ukraine victorieuse rejoindre l’Union européenne ». En somme, une reconstruction et une intégration du pays est nécessaire pour éviter de nouvelles escalades partout dans les anciens territoires soviétiques.
Anéantir le nationalisme irrédentiste
La Russie et le peuple russe ne sont pas, en tant que tels, les ennemis de l’Ukraine, et par conséquent nos ennemis. L’ennemi irréductible, c’est le nationalisme irrédentiste des élites russes et d’une partie (non négligeable hélas) de la population de la Fédération de Russie. Il convient de mettre l’accent sur « irrédentiste », car c’est de là d’où vient le mal de cette guerre : le refus de reconnaître l’Ukraine en tant qu’expression populaire et souveraine, et par là même de chercher à la détruire et de l’incorporer comme oblasts russes.
On pourrait tout à fait arguer du fait que les troupes ukrainiennes mettent aussi en exergue leur nationalisme, en particulier le Régiment Azov, connu pour ses nombreuses dérives et exactions depuis 2014, notamment dans le Donbass. Cela est totalement vrai, mais hormis pour ce dernier cas très problématique, il ne faudrait pas mettre ces deux types de nationalismes sur le même plan en temps de guerre, et uniquement en temps de guerre : l’un est agressif, extrêmement révisionniste et irrédentiste, l’autre peut être tout autant vindicatif, mais se porte à vrai dire en force défensive et patriotique qui fait tenir le pays et une bonne partie de ses habitants depuis un an. En temps de paix, tout nationalisme est à combattre vertement, en cas d’agression unilatérale et de guerre en découlant, les choses sont, pour le dire cyniquement mais lucidement, différentes.
Les peuples européens, et en particulier les militants fédéralistes, doivent ainsi, coûte que coûte, combattre dans une véritable confrontation d’opinions les expressions de ce nationalisme d’essence irrédentiste. La lutte contre ces expressions est en effet le ciment du militantisme fédéraliste en Europe. C’est aussi comme cela que la reconstruction pourra être moins douloureuse et davantage portée vers l’avenir.
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