Les tensions entre la Hongrie et l’Union Européenne ne datent pas d’hier, mais elles semblent atteindre leur paroxysme aujourd’hui. Nombreuses sont les critiques de pays, essentiellement de l’Ouest européen, sur les positions du gouvernement envers les migrants, la liberté de la presse et la justice.
Après le référendum du 1er octobre qui a vu la victoire à 98% du « non » à la politique européenne de répartition par quotas des réfugiés (référendum invalidé pour participation insuffisante), le Parlement pourrait se voir demander d’amender la Constitution. Un texte annonçant l’interdiction des réinstallations collectives a ainsi été présenté lundi 10 octobre et un vote est envisagé pour novembre. Le parti au pouvoir, le Fidesz, est majoritaire et devrait pouvoir compter sur les voix de l’extrême droite pour valider la loi avec le vote de deux tiers des députés.
Composition de la Diète hongroise issue des élections législatives du 6 avril 2014.
Coalition au pouvoir :
*Alliance Fidesz/KDNP - 133 sièges.
Opposition :
*MSZP-EGYUTT-DK-PM-MLP, liste commune des cinq principales formations de centre droit et centre gauche - 38 sièges,
*Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie) à l’extrême droite - 23 sièges,
*LMP-HP en tant que parti vert - 5 sièges.
L’opposition du centre et centre gauche a quant à elle dénoncé très tôt la campagne gouvernementale en prévision du vote. Début septembre, le journal HVG, à tendance pro-européenne, a ainsi dénoncé en couverture « le lavage de cerveau » des affiches anti-immigration affichées dans le pays et dans les médias d’Etat. « Le saviez-vous ? L’attentat de Paris a été commis par des immigrés » ; « Depuis le début de la crise migratoire, plus de 300 personnes sont mortes dans des attaques terroristes en Europe », martelaient ainsi certains slogans.
Ces médias ont cependant de plus en plus de difficultés pour s’exprimer librement. Ainsi, les journalistes du principal journal de gauche Népszabadsag ont vu l’accès à leur rédaction interdit la semaine dernière et ont été informés de la fermeture du titre par mail, sans préavis. Raison officielle : les difficultés économiques de la rédaction et le besoin de trouver un meilleur modèle. Les rumeurs circulent et nombreux sont ceux qui s’élèvent contre cette décision, qui peut être perçue comme une preuve supplémentaire de l’érosion de la liberté de la presse et de la mainmise de Viktor Orban sur les médias.
Les autres pays européens ont également élevé la voix contre la politique du gouvernement. Le futur de la Hongrie dans l’Union Européenne inquiète de plus en plus et nombreux sont les Etats membres qui réclament une réaction poussée de l’Union. Ainsi le ministre luxembourgeois des Affaires Etrangères Jean Asselborn appelait il y a un mois Bruxelles à exclure la Hongrie de l’Union européenne, pointant du doigt la politique hongroise envers les migrants qui sont traités « aussi mal que des animaux ». Pour la première fois dans l’histoire de l’Union Européenne, un pays membre, fondateur de surcroît, a donc demandé l’exclusion de la Hongrie. Cependant, il n’existe pas de procédure pour se débarrasser d’un Etat membre encombrant. De plus, les autres pays du groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque et Slovaquie) partagent une position très similaire concernant l’accueil des migrants et la défense de la « culture chrétienne occidentale ». Il existe certes la possibilité pour le Conseil de suspendre les droits, y compris le droit de vote, d’un Etat membre (article 7 du Traité sur l’Union européenne) grâce à un vote à la majorité qualifiée. Néanmoins la procédure est complexe et nécessite à la fois une forte volonté et une unité politique européenne, qui n’existent pas aujourd’hui.
Malgré les tensions et la politique de rejet de l’Europe du gouvernement, les pro-européens restent cependant présents et n’ont pas tous abandonné l’idée d’une évolution favorable concernant les relations du pays avec le reste de l’Union Européenne.
Diana Kimmer, hongroise et ancienne membre des Jeunes Européens, témoigne :
Penses-tu que les pro-européens ont encore une voix et un pouvoir politique en Hongrie ?
« Malheureusement, un agenda pro-européen est devenu une caractéristique de l’aile gauche politique en Hongrie. L’aile droite (au pouvoir) est généralement associée à des sentiments anti-européens. La situation est similaire pour les questions portant sur les droits LGBT. Il existe des membres modérés à droite, mais ils sont peu entendus et affaiblis par leur propre parti.
De plus, notre aile gauche est très faible à l’heure actuelle et nous ne disposons pas de politiciens suffisamment puissants qui pourraient défendre des valeurs pro européennes. »
As-tu été surprise par le résultat du référendum ?
« Les sondages donnaient le vote invalide et celui-ci l’a bien été, dû à une participation trop faible, ce qui peut être perçu comme une victoire pour l’opposition. Cette dernière avait appelé à voter un bulletin nul (en marquant oui et non) ou à le boycotter. Cela montre donc que de nombreuses personnes ont jugé la question du référendum stupide ou contraire à leurs valeurs et à leur position envers l’Union Européenne. En ce sens, il n’est pas surprenant que le vote pour le non au quota de migrants ait gagné avec un chiffre aussi élevé. Mais il est surtout important de prendre en compte le nombre de votes invalides et le pourcentage d’abstention. Les chiffres du « non » restent cependant élevés et cela m’inquiète : 3.3 millions de citoyens hongrois ont en effet donné leur soutien au gouvernement. »
Es-tu optimiste quant aux futures relations entre la Hongrie et l’Union Européenne ?
"Oui. Il existe et se crée des organisations politiquement actives, essentiellement composées de jeunes, qui mettent en place des stratégies de communication et qui s’investissent dans la communauté. J’ai beaucoup d’espoir dans cette jeune génération pro-européenne. Le régime Orban sera toujours majoritairementy eurosceptique et même très critique envers l’Union Européenne, malgré les bénéfices économiques que nous apportent cette dernière. Il nous faudra changer de régime pour changer la situation actuelle. Mais ce n’est pas une mission impossible."
Le rassemblement serait-il encore possible ? En 2014, des dizaines de milliers de Hongrois étaient descendus dans les rues pour protester contre la proposition de loi d’une taxe internet qui devait augmenter le prix des téléchargements de données. Toutefois les manifestations s’étaient rapidement tournées vers une critique plus générale des mesures nationalistes prises par le gouvernement depuis l’arrivée d’Orban en 2010. Ce weekend, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté à Budapest pour protester en solidarité avec le journal Nepszabadsag et pour exiger le respect de la liberté de la presse. Parmi les slogans et pancartes, de nombreux « Bas à la mafia du gouvernement » et « Respectez la démocratie » pouvaient être vus. Malgré l’optimisme de certains jeunes et la mobilisation réelle de l’opposition, le futur de l’idéal européen en Hongrie reste incertain. On ne peut ignorer le vote de trois millions de personnes et le fait que l’opinion publique soit profondément divisée.
Les jeunes sont également de plus en plus attirés par le parti Jobbik qui, comme d’autres partis d’extrême droite en Europe, parlent des problèmes quotidiens et proposent des solutions se voulant concrètes, aussi douteuses soient-elles. Ne serait-ce pas là un problème plus large que la seule Hongrie ? La France, la Grande Bretagne ou encore l’Allemagne souffrent de la montée et de l’installation d’une extrême droite populiste. Le futur de la Hongrie montrera-t-il la voie au reste de l’Europe ? Un sursaut semble nécessaire. Ne nous mentons pas, l’Union Européenne est en danger.
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