Un regain d’intérêt qui trahit un besoin d’incarnation
L’Europe, hors période de crises, semble avoir été jusque-là une niche intellectuelle et politique. Force est de constater que les médias, comme les élites politiques nationales, s’en désintéressent largement, à tort ou à raison.
La potentielle sortie de la Grèce s’est vue, de manière inédite, particulièrement débattue dans les espaces publics nationaux européens. Le sujet a intéressé de nombreux citoyens et différentes lectures sont rapidement apparues et ont dépassé les frontières : Est-ce une humiliation pour la Grèce ? L’austérité doit-elle être prolongée ? Doit-on « payer pour les Grecs » ? La démocratie est-elle bafouée ? Sans voir apparaître un espace public européen digne de ce nom, les débats ont néanmoins prouvé leur capacité à soulever les mêmes interrogations partout sur le continent.
Dans ce contexte, faute d’une incarnation proprement européenne, de fortes figures nationales sont apparues comme responsables de l’avenir du continent. L’Europe a semblé revenir à l’ère diplomatique des siècles précédents, à l’ordre de Vienne ou de Versailles. Ces représentations autour de personnalités comme Merkel, Schäuble, Varoufakis ou Hollande nous renvoient à l’une des grandes lacunes de la construction européenne : les épaules de ces dirigeants sont trop petites par rapport aux intérêts en jeu. Elles rappellent le risque de confier tant de responsabilités à des dirigeants ne tenant leur légitimité que de leur Etat, fractionnant dangereusement l’élaboration d’une solution pour la zone euro.
Au-delà de l’administration d’une vaste zone de libre-échange et de l’harmonisation du marché commun qui en résulte, le problème d’une légitimité propre pour l’Europe reste par conséquent pleinement d’actualité.
L’Europe, carrefour et confrontation de divers intérêts légitimes
Contrairement à l’Union européenne dans laquelle le Parlement européen a peu à peu gagné de plus en plus de pouvoir, la zone euro est encore gouvernée de manière intergouvernementale. La démocratie nationale est réputée lui garantir sa légitimité démocratique puisque chacun des Etats participants est démocratique. Or, la crise a révélé le risque d’un choc de démocraties entre ces différents gouvernements censés porter l’intérêt de leur propre peuple. Face à une Europe divisée en trois camps (les gouvernements en faveur d’une sortie de la Grèce, ceux qui veulent l’éviter si possible et ceux qui y sont fermement opposés), un accord semblait très difficile à trouver.
En outre, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, en plus de devoir négocier avec 18 gouvernements tout aussi démocratiques que le sien, a souligné le choc de légitimité existant entre les Etats d’un côté et les obligations européennes de l’autre. Les Etats sont tout d’abord tenus de respecter les traités européens. Ensuite, avec une monnaie en partage, les marges de manœuvre se sont réduites. L’action de l’un a des conséquences sur l’ensemble des participants. En l’absence d’exécutif, de parlement ou de budget propre à la zone euro, le respect des règles est central pour le bon fonctionnement de la zone. Cela revient à garder une souveraineté nationale en espérant que personne n’en fasse usage, ce qui s’est justement produit depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir en Grèce.
Enfin, par son référendum, Tsipras a réveillé la vieille question de savoir qui, du référendum ou du système représentatif, était le plus démocratique. Son action s’est néanmoins retrouvée confrontée à la démocratie d’opinion, puisque les sondages, en donnant le chiffre de 70% des Grecs en faveur d’un maintien de l’euro, ont pu influer sur la ligne de conduite du Premier ministre à Bruxelles.
Le dilemme européen
En somme, les derniers rebondissements de la crise de la zone euro soulèvent de profondes interrogations sur la légitimité et l’incarnation de la zone euro.
L’apparition d’un réel pouvoir supranational, fusse-t-il géré de manière intergouvernementale, met en lumière les imaginaires et les pratiques autour de l’Etat en Europe. Une Europe relativement coercitive se heurte au fait national : monopole de la violence légitime (Weber), monopole de l’éducation légitime (Gellner), tradition régalienne, souveraineté, etc.
La démocratie au niveau européen, qui apparait comme nécessaire dans un débat sur la légitimité de son pouvoir, ne pourra résoudre à elle seule le choc symbolique entre le supranational et le national.
Au-delà de cette question, les positions de chaque Etat sur la Grèce ont rappelé combien la construction européenne était au centre de projections divergentes sur le sens de l’Europe, dans un Union dominée par la droite mais qui semble condamnée à la solidarité pour sa viabilité.
Face à ces constats, le débat à gauche, en France notamment, semble prisonnier du fait national, se projetant au mieux dans l’international et non le supranational. Pendant que ces nombreux sujets légitimes sont débattus, une idée politique singulière de l’Europe peine à émerger. Or, ne pas créer des réponses de gauche, applicables dans le cadre européen, laisse le champ libre tant aux populismes eurosceptiques, de gauche et de droite, qu’au libéralisme, très actif à Bruxelles et porté par une droite majoritaire.
Quoi qu’il en soit, l’accord en l’état ne semble pas viable et il est d’ores et déjà questionné de toutes parts. Assistons-nous pourtant à une étape cruciale de la construction européenne, tant sur le plan symbolique qu’économique et politique ? S’agit-il du chant du cygne d’une vision ordolibérale de l’intégration européenne ou est-ce la défaite d’un idéal, porté par la Grèce mais transcendant tous les champs politiques nationaux, consistant à changer l’Europe par le national ?
1. Le 17 août 2015 à 15:01, par Xavier C. En réponse à : Les leçons à tirer de la crise grecque
C’est quoi une « réponse de gauche » ?
Et où est donc le libéralisme « très actif à Bruxelles » ? Si le libéralisme était si actif, on aurait dit ceci dès le début aux Grecs : « vous avez un budget déficitaire, vous vous êtes trop endetté, vos créanciers ont évalué un risque, se sont rémunérés sur ce risque, alors faites défaut de paiement ou restructurez votre dette ».
En fait ça a été dit : c’était la position allemande et ça a été très partiellement fait (si cela avait été fait de manière complète, la Grèce n’aurait plus été en mesure d’emprunter et aurait été contrainte de mener de vraies réformes structurelles - comme la Lettonie ou encore la Suède ont pu le faire). Mais la France a réussi à imposer sa solution : fuite en avant, faire en sorte que la Grèce bénéficie de taux intéressants pour pouvoir soigner la dette par de la dette... Autrement dit, privatisation des profits et nationalisations des pertes et risques. C’est ce qui a été appliqué, on voit que ça n’a rien résolu et ceci est à l’opposé total du libéralisme. Et cela me semble au contraire une solution de gauche, puisque c’est une pseudo-solidarité qui a été imposée au contribuable européen.
Et heureusement maintenant nous avons Merkel qui défend ce contribuable européen... quand Hollande milite maintenant pour une restructuration au détriment du contribuable ! Quel monumental foutage de gueule quand même !
Bref. Tout ceci n’est pas une question de national ou supranational, c’est une question de définition des responsabilités. Les responsables sont les Grecs et les créanciers, on n’aurait pas dû intervenir directement dans le dossier. On n’aurait pas dû assumer une part de cette responsabilité. Tout au plus aurions-nous pu aider les Grecs à assumer certaines missions (gestion des frontières par exemple).
Tout ceci aurait pu permettre de sanctionner les politiques clientélistes grecques, ainsi que les créanciers, nous avons préférer sanctionner les Grecs et les contribuables européens.
Petit rappel historique. Après la guerre d’indépendance, les USA ont remboursé les dettes des colonies, parce qu’elles s’étaient endettées pour l’indépendance, ce qui a bénéficié à tous les Américains. Quand certains États ont toqué à la porte du fédéral pour un nouveau remboursement, quelques décennies plus tard, le fédéral a refusé car cette fois-ci ils s’étaient endettés pour eux seulement. Question de responsabilité, de logique, de rigueur. Les Américains ont préféré délivrer un message clair pour bâtir l’avenir sur des bases saines, quitte à morfler quelques années. Nous, Européens, avons préférer délivrer un message flou et prônant l’irresponsabilité, pourrissant l’avenir, pour repousser le problème sans le résoudre aucunement.
2. Le 22 août 2015 à 22:43, par Henri Tanson En réponse à : Les leçons à tirer de la crise grecque
C’est vraiment problématique cette démocratie.
N’y aurait-il pas d’autres moyens de mettre tout le monde d’accord. On voit bien que si on demande leur avis à 28 peuples, ils ne seront jamais d’accord.
Si on veut l’Europe efficace, il faut une Europe qui aurait une autorité indiscutable. Mais je ne sais pas comment y arriver.
Peut-être que ces épreuves que nous traversons vont faire émerger un chef qui aura la carrure ; certains trouvent que l’Allemagne dirigée par Merkel pourrait endosser le rôle. D’autres imaginent que les USA qui ont intérêt à nous fédérer, pourrait s’impliquer plus ouvertement ?
Ces 28 peuples sont si différents, leur culture, leurs choix politiques, leur économie, leur taille etc... Chacun a ses propres besoins, ses propres objectifs, ses propres capacités. Plus ça va, moins ça va.
À six, une action commune était possible. À 28, c’est un casse-tête permanent. Et ce nombre devrait encore croître !
Il faut une sacrée dose d’optimisme pour y croire, toujours et encore.
Et ceux qui doutent ne sont pas forcement des populistes euro-sceptiques...
Enfin, je crois.
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