La chute des partis traditionnels
Les résultats des élections n’ont pas surpris tout le monde. Le gouvernement de centre droit de Petr Nečas, qui a tiré sa révérence en juillet 2013, avait subi, depuis son entrée en fonction en juillet 2010, la démission d’un nombre total de treize ministres, le marasme économique le plus long jamais enregistré (il dure depuis six trimestres), un taux de chômage en augmentation et le scandale des écoutes illégales qui l’ont finalement fait chuter.
Les huit timides pour cent récoltés par le parti d’extrême droite Parti démocratique civique (ODS), qui avait obtenu un tiers de voix en 2006, étaient prévisibles. On ne peut pas en dire autant des socio-démocrates qui, après sept ans dans l’opposition, auraient dû obtenir une vraie victoire. Au lieu de cela, le parti a connu son score le plus médiocre depuis 1992. Sans compter qu’en plus de cela, il est en proie à une lutte de pouvoir interne, étant donné que les grandes figures du parti ont tenté d’en éjecter le président juste après les élections.
Les deux partis traditionnels qui dominaient depuis la naissance du pays il y a vingt ans sont donc confrontés à un sérieux revers. Leur place a été prise par des groupes plus récents qui ont rassemblé, ensemble, un quart des voix. Le parti Aube de la démocratie directe a presque obtenu le même résultat que l’ODS malgré le fait qu’il ne compte que neuf membres (contre 21 000 à l’ODS). La même chose vaut pour le nouveau mouvement de contestation ANO, moyen d’expression politique pour le deuxième homme le plus riche du pays, Andrej Babiš. Avec ses deux pour cent de moins que le parti social-démocrate, ce mouvement, qui refuse d’être qualifié de « parti » est en fait le vrai vainqueur des élections (aucun gouvernement de coalition ne pourra être formé sans sa participation).
Des subventions européennes mal réparties
La success-story d’Andrej Babiš a également mis en lumière l’une des plus évidentes faiblesses de l’Union européenne : la politique agricole commune. Grâce à l’entrée dans la sphère publique de ce personnage, les Tchèques ont appris que les subventions étaient centrales dans le modèle d’entreprise du 736e homme le plus riche du monde. En effet, ces subventions qui auraient dû venir en aide aux petits agriculteurs qui utilisent des méthodes traditionnelles représentent une large part des bénéfices du gigantesque groupe agricole détenu par Andrej Babiš. Le « roi des subsides » va si loin que l’une de ses entreprises (après un changement de nom) a reçu des subventions européennes pour le tourisme afin de financer la construction d’un complexe commercial luxueux composé d’hôtels, de salles de conférences et de centres de loisirs.
Être le principal bénéficiaire du fonds agricole européen en République tchèque n’empêche pas Andrej Babiš de s’opposer à l’euro, aux « eurocrates » et à la poursuite de l’intégration européenne. Et, au moment où les Tchèques vont découvrir ce que « gouverner un État comme une grande entreprise » signifie, les représentants des contribuables européens sont invités à réfléchir aux critères d’attribution et aux mesures de contrôle de l’allocation des fonds européens.
Un laboratoire du rejet de la politique
La montée des partis anti-establishment n’est pas un phénomène limité à la République tchèque : souvenons-nous du Mouvement 5 étoiles italien. Cependant, le cas tchèque présente quelques particularités. La participation électorale, qui s’est élevée à 59 % lors des dernières élections, se situait 16 % en dessous du taux de participation aux élections italiennes (et 10 % en dessous du taux de participation grec). De plus, un parti communiste siège déjà au parlement tchèque. C’est d’ailleurs le seul parti qui s’accroche aux principes de l’âge du rideau de fer et qui arrive encore à attirer 15 % des électeurs (comme cela a été le cas lors des élections de cette année). Ce parti n’a participé à aucun gouvernement depuis la Révolution de velours en 1989 et se considère donc comme un parti anti-establishment dans son genre.
Finalement, les Tchèques ont une spécificité : le faible taux d’adhésion aux partis politiques. Dans un pays de 10 millions d’habitants, le parti qui compte le plus de membres est le parti communiste, avec 57 000 membres (dont la moyenne d’âge est de 71 ans), suivi par les Chrétiens-démocrates centristes. Cela a rendu beaucoup plus simple l’utilisation d’« âmes noires » afin d’obtenir une majorité dans les procédures de vote interne des partis, une pratique commune qui a, à son tour, renforcé le dégoût public pour la politique.
C’est pourquoi il n’est pas surprenant que les groupes politiques tchèques aient accepté de nombreux candidats non affiliés aux dernières élections, comme Aube de la démocratie directe, dont neuf des quatorze membres récemment élus au parlement ne sont pas affiliés au parti. Le mouvement ANO, quant à lui, implique des entrepreneurs, des universitaires, des journalistes ou même des employés de son fondateur. Ce mouvement n’est pas comparable avec le parti Slovénie positive. En effet, ce n’est pas un nouveau parti fondé par des responsables politiques qui sont dans le monde politique depuis des années.
En fait, les mouvements de protestation tchèques démontrent que les politiques de campagne électorale peuvent se baser sur le rejet global de la politique dans son ensemble. Aube de la démocratie directe, avec son appel à l’utilisation de référendums et à l’introduction du droit de révoquer les responsables politiques avant la fin de leur mandat, et le mouvement ANO, mené par un milliardaire avec son slogan « Nous ne sommes pas comme les politiciens, nous travaillons dur », ont tendu un miroir aux responsables politiques professionnels européens. L’exemple tchèque montre comment, même dans un pays avec une dette inférieure de moitié à la moyenne européenne, la situation politique peut dégénérer.
Suivre les commentaires : |