Selon l’une de ses (nombreuses) étymologies possibles, le mot « Europe » dériverait des mots grecs « Eurys » et « Ops » et dont l’association pourrait être traduite par « celui qui regarde au loin ». Cette acception correspondrait parfaitement à Altiero Spinelli, fédéraliste visionnaire mais ayant exercé une influence décisive sur la construction européenne, communiste révolutionnaire mais défendeur viscéral d’une Europe démocratique.
Communiste révolutionnaire, porteur d’un idéal fédéral pour l’Europe
Né en 1907 de parents socialistes, le jeune Altiero baigna très tôt dans la politique et l’idéal révolutionnaire. Il adhéra dès 1924 au parti communiste italien, juste avant que Benito Mussolini ne prît le contrôle total de la société italienne. Conséquence de son rôle dans l’opposition au totalitarisme fasciste, il fut condamné en 1927 à 16 ans de prison.
L’isolement fut déterminant pour le parcours intellectuel d’Altiero Spinelli. C’est en prison qu’il prit ses distances (temporairement) avec le communisme, la dictature soviétique étant contre ses idéaux. Il fut finalement exclu du parti communiste en 1937. En 1941, en pleine guerre mondiale, il co-écrivit avec Ernesto Rossi et Eugenio Colorni le célèbre « Manifeste pour une Europe libre et unie » (plus connu sous le nom de « Manifeste de Ventotene », du nom de l’île où il fut enfermé). Ce texte dénonçait la responsabilité des États nations dans les horreurs de la guerre et appelait la création d’une Europe fédérale garante d’une paix durable.
A la fin de la guerre, il s’investit dans la structuration du fédéralisme européen lors des congrès de Montreux et de la Haye en 1947 et 1948, il fonda le mouvement fédéraliste européen et co-fonda l’union fédéraliste européenne, des organisations à la base du militantisme fédéraliste européen, encore aujourd’hui. La conviction fédéraliste d’Altiero Spinelli était différente de la méthode fonctionnaliste de Robert Schuman ou de Jean Monnet : alors que ces derniers misèrent sur une façon de faire pragmatique et technocratique, Altiero Spinelli était convaincu que l’Europe fédérale devait se faire à partir d’une convention s’attelant à rédiger une Constitution européenne : une sorte « d’États-Unis d’Europe » où les citoyens prenaient pleinement part à la construction européenne.
Un fédéraliste radicalement démocratique qui a su faire preuve de pragmatisme
Car ce fut véritablement le cheval de bataille de Spinelli : la construction d’une Europe démocratique où les citoyens avaient un rôle de premier choix. C’est pour cela qu’il rejeta dans un premier temps la CECA et la CEE, bien trop technocratiques pour lui. Cela ne l’empêcha toutefois pas de faire preuve d’un certain réalisme en devenant commissaire européen entre 1970 et 1976 et surtout député européen entre 1976 et 1986. C’est dans l’hémicycle de Strasbourg qu’il mena ses derniers combats. Entre 1982 et 1984, il mit au point son projet de traité pour l’Union européenne, un projet qui inspira l’Acte Unique et le traité de Maastricht. Victoire posthume pour Spinelli car il mourut en 1986. Il est enterré à Ventotene, comme un retour aux sources de son engagement européen.
Un héritage non négligeable, mais qui devrait être encore plus important
Quels sentiments aurait Altiero Spinelli en contemplant l’UE actuelle ? Serait-il enchanté de voir une interdépendance accrue entre les pays européens, une Europe réunifiée et nombre de ses idées reprises, comme la subsidiarité ou la co-décision pour le Parlement européen ? Ou serait-il désemparé de voir une Europe encore trop peu démocratique, adepte de « pseudo-démocratie » que vilipendent Jürgen Habermas ou Thomas Piketty ou l’europhilie disparue dans son Italie natale ? Serait-il désespéré de voir que le concept « d’États-Unis d’Europe » suscite autant de méfiance à l’heure actuelle ? Une chose est sûre : son combat inlassable en faveur du fédéralisme européen confère à Spinelli le rang de père fondateur de l’UE et ses idées gagnent à être bien mieux connues.
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