« Elles ne sont désormais plus Caïn et Abel »
Le premier élément, évident, à noter au moment de rendre compte des relations entre la Pologne et l’Ukraine, est leur nature changée. Le professeur Frank Sysyn a avancé l’argument suivant : là où les deux éprouvaient une aversion l’une envers l’autre et faisaient preuve d’une méfiance réciproque, « elles ne sont désormais plus Caïn et Abel ». La conférence a abordé plusieurs facteurs en mesure d’expliquer cette transformation, certains plus positifs et d’autres moins. Pour prendre un point de vue négatif et cynique, l’on mentionnera l’arbre qui cache la forêt russe ; cet adversaire géopolitique surdimensionné qui insuffle la peur dans les cœurs des Polonais et des Ukrainiens indifféremment. Une métaphore est revenue à de maintes reprises durant la conférence : lorsque l’on partage son lit avec un éléphant, peu importe que l’éléphant soit bon ou méchant, il tire de toute façon la couverture vers lui ! Dans le cas de la Russie, les deux pays avoisinent un éléphant qui se révèle assez désireux de les piétiner.
D’un point de vue plus optimiste, ce sont les réels efforts mis en œuvre pour approfondir les liens entre les deux pays. Du côté polonais, on remarquera qu’ils furent les premiers à reconnaître la nouvelle Ukraine indépendante lors du démantèlement de l’Union soviétique. Du côté opposé, l’image de la Pologne rendue par les médias ukrainiens est extrêmement bienveillante et, depuis la Révolution ukrainienne de février 2014, le succès de la Pologne sert de modèle que l’Ukraine s’efforce d’imiter. Au sujet de l’Euromaidan en Ukraine, il était intéressant d’entendre les parallèles tissés non seulement entre l’Euromaidan et la Révolution Orange de 2005, mais aussi entre eux et le mouvement polonais très connu de Solidarnosc.
Histoire et mémoire
Les conséquences, et obstacles, malheureux du réchauffement des relations entre la Pologne et l’Ukraine sont la persistance des récits de victimes et de bourreaux. La Pologne a longtemps cherché à être perçue comme la victime absolue, le pays ayant souvent été envahi par des voisins sans merci pendant deux siècles, et ayant servi de cobaye à certaines des pires atrocités perpétrées par les Nazis. Cependant, la Pologne ne possède en aucun cas le monopole du « statut de victime ». L’ouverture récente du POLIN Museum à Varsovie aidera à mettre en lumière l’histoire juive du pays, un autre groupe à même de se réclamer de ce statut. L’Ukraine, un regroupement national réprimé durant une partie significative de son histoire moderne, peut également se poser en victime. Dès lors, il n’est pas surprenant que de tels événements comme le massacre de Volhynie aient été mentionnés pendant la conférence. Toutefois, la priorité du moment n’était pas de s’appesantir sur des mémoires blessées mais plutôt de suggérer et discuter de souvenirs et d’expériences plus plaisantes sur lesquels les Polonais et les Ukrainiens peuvent bâtir une meilleure relation.
Le professeur Robert Frost était sans aucun doute mon orateur préféré, et c’est lui qui a fait remarquer avec le plus d’emphase que les terres de l’ancienne République des Deux Nations sont des terres de paix beaucoup plus que des terres de guerre. Il a pris comme exemple la frontière qui séparait la Prusse de la Pologne, immuable du XVe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Si le début de l’époque moderne a été vu et revu de façon assez approfondie pour une conférence sur des relations au XXIe siècle, c’est que c’est à l’époque de la République que l’on peut retrouver des personnes de différentes ethnies vivre en harmonie. Il serait de très loin préférable, et même à la gloire des peuples d’Europe de l’Est, de mettre en exergue l’histoire ce ces époques précédant le court et douloureux XXIe siècle.
Il en a été de même pour la littérature. Beaucoup des héros culturels de cette région considéraient que les ethnies vivaient au « mauvais » endroit, et les pays qui ont succédé à la République doivent apprendre à partager leurs héros une fois de plus ! Le professeur Frost a également insisté sur l’importance d’étudier l’histoire locale. Là où l’histoire des nations a divisé et apporté la misère, le patriotisme local peut causer, dans le pire des cas, des embouteillages sur des routes empruntées par des touristes affluant pour assister à des reconstitutions de combats médiévaux.
Toujours dans la même thématique d’histoire et de mémoire, l’enjeu de l’enseignement du passé a été soulevé. Les cursus scolaires, que ce soit en Pologne et en Ukraine, ou au Japon et en Chine, sont toujours aussi nationalistes. J’ai appris à cette conférence qu’il était courant de comparer la Pologne et l’Ukraine à la France et l’Allemagne, une comparaison empreinte d’espoir que leur relation pourra devenir aussi radicalement bonne que celle qui a vu le jour avec le Traité de l’Élysée. Dans cette veine, ce serait un digne exercice pour les deux pays de mettre en œuvre leur propre Histoire/Geschichte, les manuels d’histoire bilingues qui avaient pour objectif de combler le fossé entre les deux pays.
Comparaison avec l’intégration de l’Europe de l’Ouest
Il est pratique courante de construire un argument et d’user de comparaisons, ce dont la conférence regorgeait. La Pologne et l’Ukraine ont été comparées entre elles ; ces deux protagonistes ont été comparés avec l’axe franco-allemand ; et des parallèles ont été tissés entre la cordialité croissante des relations en Europe de l’Est et l’intégration qui eut lieu en Europe de l’Ouest. Il fut acté que la peur commune de la Russie a grandement favorisé un rapprochement entre les deux pays. L’Ukraine a besoin d’amis dans un monde où la Russie coupe l’approvisionnement en gaz en toute impunité, ou découpe des pans entiers de territoires souverains avec le même mépris du droit international. La Pologne est plus à même que beaucoup de pays de connaître les problèmes liés à sa position géographique vis-à-vis du géant russe. En outre, il y va très clairement de l’intérêt de la Pologne d’avoir une Ukraine forte et intégrée dans le projet européen. Le plus fort et le plus prospère sera le territoire entre Varsovie et Moscou, le plus en sécurité se sentira la Pologne.
La conférence a poursuivi en détaillant que, néanmoins, un ennemi commun ne suffit pas à unir deux peuples. Un discours de pardon et de fraternité prend place aujourd’hui en Ukraine et en Pologne. Au sortir de la seconde guerre mondiale, de pareils sentiments ont été vus en Europe de l’Ouest. Le futur des relations ukraino-polonaises dépend cependant de la capacité des deux pays de s’inspirer de l’œuvre de Jean Monnet et de travailler vers la création et la poursuite d’intérêts communs, ainsi que vers la normalité. C’est avec cela en tête qu’un orateur de la conférence a fait valoir que, contrairement à la France et à l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine roulent dans « des voitures différentes ». La Pologne fait partie de l’Union européenne et de l’OTAN et jouit d’une économie florissante, alors que l’Ukraine, comparativement, souffre d’une faiblesse économique et n’est pas encore encastrée dans un réseau d’alliances pour assurer sa sécurité nationale.
En tant qu’Européens, de surcroît Européens fédéralistes, il faut prendre notre part du fardeau pour faire entrer l’Ukraine dans « notre » voiture et la soutenir activement dans sa tentative de satisfaire aux critères qui lui permettront de devenir membre de l’Union européenne. De cette façon, nous promouvrons la paix en Europe de l’Est et braverons de face une de ces graves crises qui ébranlent aujourd’hui le continent.
Quelques conclusions finales
Le député européen Michal Boni était supposé participer à la conférence mais n’a pu finalement s’y rendre, et a donc envoyé un discours destiné à être lu à haute voix à l’auditoire. Il y a émis quelques propositions concrètes en vue de développer l’Ukraine et de l’amener dans la « même voiture » que les Européens. Une de ces suggestions était la création accélérée d’une Ukraine fédérale. Cette suggestion m’a immédiatement interpellé, de la même façon que lorsque j’entends le mot « subsidiarité ».
Le débat qui s’en est suivi a mis l’accent sur la nouvelle Ukraine qui est en train d’émerger du conflit actuel. Le centre du pouvoir de l’Ukraine indépendante a été un axe Lvov-Kiev - la capitale avec la ville du pays la plus « occidentale ». Yaroslav Hrytsak, toutefois, a détaillé le nouveau besoin d’inclure Dnipropetrovsk, située sur le fleuve Dniepr dans la partie orientale du pays. Mais un axe de trois villes est encore trop étroit pour réellement protéger le deuxième pays le plus grand d’Europe, après la Russie.
Nous devons aussi prendre en compte les points de vue des villes de Kharkiv, située au Nord-est du pays, et de Donetsk au Sud-est, actuellement occupée par les petits hommes verts de Poutine. En outre, la ville d’Odessa sur la côte Sud-ouest de l’Ukraine présente encore une attitude différente. Sans même parler de la Crimée occupée, il est devenu très clair que les Européens font face à une Ukraine multipolaire, qui se prête à un fédéralisme. Espérons que l’Ukraine qui surgira de la révolution de 2014 traitera toutes ses provinces en tant que telles.
Sortis de cette conférence optimistes sur le présent et le futur des relations entre l’Ukraine et la Pologne, les participants ont assisté à des propositions concrètes pour l’approfondir encore plus. Mais la conclusion finale qu’un Européen fédéraliste emportera chez lui concernait la Russie. Il est bien trop facile, pour un auditoire sensible à la situation désespérée de l’Ukraine, de tomber dans des stéréotypes sur la Russie, et de la faire passer pour une « étrangère » comme les Européens se sont faits passer pour des étrangers les uns les autres au cours de leur histoire. Les auditeurs ont été incités à se souvenir que le peuple russe n’est pas l’égal de son gouvernement. Dans un pays où les opposants au régime se font emprisonner ou meurent dans « d’étranges circonstances », nous devrions tous être encouragés à voir une Russie qui continue de maîtriser les gens qui manifestent contre certains aspects de son régime. Cela nous rappelle que le projet européen est d’instaurer la paix à travers l’union des peuples d’Europe. Le Traité de Rome n’excluait pas la Russie du processus d’intégration européenne. Dès lors, tout comme nous tendions la main aux Polonais dans les années 1980, et aux Ukrainiens aujourd’hui, nous ne devons pas oublier les Russes. Nous devons embarquer tout le monde dans la même voiture.
1. Le 17 juillet 2015 à 14:43, par Alain En réponse à : Les relations entre la Pologne et l’Ukraine au XXIe siècle
Il faut ouvrir les yeux : le gouvernement ukrainien est l’alliance entre les néo-nazis et les oligarques corrompus jusqu’à la moelle. Ils sont une arrière-cour américaine avec 3 ministres américains et ont nommé un autre corrompu géorgien recherché par son pays. Pas de ça dans la maison européenne.
Quand aux opposants qui meurent dans d’étranges circonstances, ils doivent être déjà une dizaine sans personne pour le dénoncer
Et les Polonais commencent à voir clair et à changer d’avis suite aux multiples hommages rendus aux SS ukrainiens qui otn massacré tant de Polonais et autres.
Suivre les commentaires : |