Ma vie comme fédéraliste mondiale. Le monde de la pensée et les voyages

Article paru à l’origine dans le numéro 186 de « Fédéchoses »

, par Lucy Law Webster

Ma vie comme fédéraliste mondiale. Le monde de la pensée et les voyages
Drapeau fédéraliste. Domaine public

Quand j’avais neuf ans, j’ai écrit mon premier poème contre la guerre. Cependant je pensais que la Deuxième Guerre mondiale était nécessaire. Nous étions en 1940 et les États- Unis n’étaient pas encore belligérants. Il y avait de nombreux arguments pour ou contre la guerre avec l’Axe et ce « jeu de tir à la corde » dans notre pays faisait des ricochets dans mon jeune cerveau. Raisonnablement il nous fallait combattre mais émotionnellement j’étais pour la paix. Après la guerre, quand j’étais un peu plus âgée et plus sage, j’ai su les grandes erreurs qui avaient rendu nécessaire le carnage, le bain de sang et les horreurs, et pourquoi tout cela n’aurait jamais dû se produire.

Si les États-Unis avaient rejoint la Société des Nations, si les nations avaient bloqué Hitler quand il avait commencé à remilitariser la Rhénanie, s’il y avait eu un soutien régénérateur et non punitif pour le peuple allemand après la Première Guerre, les Nazis ne seraient jamais parvenus au pouvoir. Il n’y aurait pas eu la Seconde Guerre mondiale, les 50 à 60 millions de morts causés par la guerre elle-même, les 6 millions de Juifs tués dans l’Holocauste et peut-être 10 millions ou plus dans les goulags. En fin de compte la Deuxième Guerre mondiale a été le plus épouvantable conflit militaire de l’histoire durant lequel 79 à 85 millions de personnes ont péri. Mon poème, publié dans Parents Magazine incluait cette ligne : « là où le peuple obéit aux lois mondiales ». Cette phrase est devenue mon Étoile polaire et m’a guidé à travers le globe pour construire un monde fédéré afin d’en finir avec la guerre.

Mais, avant de m’occuper du monde, Je devais faire quelque faire à la maison... et Je n’avais alors que neuf ans. Plus tard, un à deux mois après le début de l’année scolaire 1948, deux étudiants de l’université de Princeton sont venus dans mon école et je réunis un groupe de lycéens pour les rencontrer et nous avons écouté leur suggestion de fonder une section des United World Federalists (UWF). De nombreux scientifiques travaillaient à Princeton (New Jersey), tant à l’université que dans le grand laboratoire RCA qui avait conçu et construit certains des missiles et torpilles ayant gagné la guerre. Albert Einstein résidait aussi à Princeton, et il était un grand combattant pour la paix. Il connaissait mon père qui était un scientifique éminent du RCA.

Einstein aimait que des étudiants s’arrêtent à sa maison de Mercer Street pour discuter de la science et des affaires du monde. Lui et sa femme accueillaient la section UWF de Princeton et invitaient chez eux notre groupe d’écoliers qui créait une section fédéraliste mondiale. C’était un homme charismatique avec ses cheveux blancs ébouriffés et il nous inspirait dans nos efforts pour la paix et le gouvernement mondial.

Bientôt la Day School de Princeton eut une section du World Federalist Movement (WFM), une organisation dans laquelle je suis toujours aujourd’hui. Cette école et ce que j’y ai appris ont eu une influence importante sur moi. Quand je regarde en arrière, il est clair que mon travail, ma vie et mon caractère s’y sont totalement épanouis. « Lucie est bien déterminée, quand elle quittera les études elle fera quelque chose ! »

Ce sont cette énergie, cette passion, qui ont fait de moi une fédéraliste mondiale militante à l’âge de seize ans. Par la suite, à Wellesley College, j’ai été élue présidente nationale des étudiants du UWF. J’ai consacré beaucoup de temps de mon année senior, à diriger les World Student Federalists (WSF) et à créer un Conseil étudiant des étudiants fédéralistes mondiaux en Nouvelle Angleterre ayant des activités dans quelques huit universités y compris Harvard, MIT, Smith, Mt. Holyake et Wellesley.

Après mon diplôme de cette dernière, je suis devenue pour un temps secrétaire générale du Bureau des WSF, un poste qui m’a permis de voyager dans toute l’Europe pour parler à des réunions importantes et appeler à soutenir le mouvement fédéraliste. De retour aux États-Unis j’ai étudié la science politique et les relations internationales à l’université de Columbia tout en travaillant à l’Institute for World Order. Habitant New York près de l’ONU m’a convaincu que sa Charte n’était pas adéquate pour prévenir des guerres futures. L’asymétrie criante du Conseil de sécurité donnant aux cinq vainqueurs de la guerre des pouvoirs exceptionnels leur permettait de faire la guerre sans se soucier des crimes de leurs dirigeants ni de la violence structurelle des élites proches du pouvoir.

J’ai également été secrétaire du Young Adult Council for Social Welfare qui organisait la délégation à l’Assemblée mondiale de la jeunesse, une grande conférence internationale, à laquelle j’ai participé à Singapour. (Intéressant, il a été divulgué depuis lors que la CIA donnait secrètement des fonds à ce Conseil afin d’équilibrer le développement de programmes similaires dans les pays communistes au temps de la Guerre froide). Sur la route de Singapour j’ai travaillé pour la délégation pakistanaise au Conseil économique et social de l’ONU durant la session de l’été 1954 à Genève et visité le Bureau des WSF à Amsterdam.

La Conférence de Singapour a duré une semaine et été suivie par la majeure partie de mon tour de conférences autour du monde dans le paysage géopolitique rapidement évolutif de l’Asie du Sud-Est. Il était financé par quelques 50 sections des UWF avançant chacune la somme de 35 dollars US « pour envoyer Lucy Law autour du monde ». Le voyage vers Singapour en passant par l’Europe était la première étape de cette tournée qui m’envoya dans quelques 20 pays puis une cinquantaine de villes m’ayant parrainé aux États-Unis.

J’ai voyagé de Singapour à Kuala Lumpur avec quelques autres délégués. Nous y avons rencontré le gouvernement malais pour discuter de leur démocratie naissante et de ce que signifierait pour eux le fédéralisme mondial. Ensuite j’ai poursuivi seule vers Saïgon durant l’été 1954, juste quelques mois après la défaite française de Dien Bien Phu, et je me souviens de la foule des réfugiés dans la capitale. Les personnes auxquelles je venais parler espéraient que j’apportais quelque sorte de plan de paix entre le Sud et le Nord Vietnam. Bien entendu je n’avais aucune solution de cette sorte et j’éprouve une grande tristesse pour cette époque, mon manque de réponses et la guerre plus terrible qui allait suivre rapidement.

Durant mon voyage en Asie du Sud-Est, j’ai vu et entendu ce qu’avait été le respect pour l’Amérique, et l’idée d’un gouvernement mondial s’évaporait lentement au fur et à mesure que la Guerre froide se répandait sa glaciation diabolique autour du globe. Après mon retour aux USA j’ai commencé à fréquenter David Webster, un correspondant de radio et télévision britannique en congé de la BBC travaillant pour la radio de l’ONU à New York. Je l’avais brièvement rencontré lors d’une visite à Londres et Cambridge, après mon travail au petit bureau des WSF d’Amsterdam et avant mon tour du monde. David s’était lui aussi occupé de ce bureau en 1953 avant de rejoindre la BBC. Alors que j’étais à Londres et que je suis restée brièvement à la National Students House, il m’avait emmené faire un tour en scooter chez Smidt’s à Soho, un très bon coin pour dîner.

Nous nous sommes rapidement mariés, sommes partis pour l’Angleterre et avons élevé nos deux fils, Daniel et Alexander. À Londres j’ai travaillé dans les médias, la recherche en marketing et sur l’opinion, en plus de mes activités au sein de la Federal Union, de l’Association of World Federalists et du World Movement for World Federal Government (WMWFG, aujourd’hui WFM). David a poursuivi sa carrière à la BBC.

De 1971 à 1975 nous avons vécu à New York et j’ai été active dans le WMWFG international comme présidente de son Comité exécutif durant quelques années y compris pour le Congrès fédéraliste mondial de Tokyo de 1980.

Revenue à New York j’ai travaillé pour l’Unicef puis pour le Secrétariat de l’ONU comme assistante du secrétaire général de la Seconde conférence mondiale sur la lutte contre le racisme tenue à Genève. À la différence des première et troisième conférences contre le racisme, l’ensemble des délégations a bien travaillé et signé un document final ayant une influence importante sur le but général de mettre fin à l’apartheid et à d’autres formes de discrimination raciale à un moment où celle-ci représentait un défi pour la paix et le développement. Au même moment j’ai obtenu un Masters of Science Degree en Relations internationales.

Mon principal travail à l’ONU a été Political Affairs Officer au Département pour les questions du désarmement où j’ai dirigé deux publications de l’ONU, secrétaire de la Commission sur le désarmement des Nations unies puis officier de liaison en charge de la presse et des ONG durant les conférences de révision du Traité de non-prolifération nucléaire, de 1990 à 1995.

Après avoir l’atteint l’âge de la retraite à l’ONU, j’ai travaillé pour les Economists for Peace and Security (EPS) comme directrice exécutive et directeur de programme, et je continue comme secrétaire du Conseil et contributrice à leur revue trimestrielle. Toujours férue d’apprendre j’ai obtenu durant cette période un second MA cette fois en politique économique et en finances. Puis je suis devenue directrice exécutive du Center for War and Peace Studies et membre du Comité de pilotage du World Federalist Institute contribuant à sa publication, Minerva. J’ai également été vice-présidente du Conseil du WFM et présidente du chapitre de New York des Citizen for Global Solutions.

En 2001, suite aux attaques terroristes du 11 septembre, les États-Unis ont reçu un vote de sympathie massif et un feu vert du Conseil de sécurité de l’ONU pour intervenir en Afghanistan. Vu que la réponse américaine était loin d’être aussi efficace et constructive qu’aurait pu l’être une action multilatérale coordonnée avec prudence, j’ai rédigé une Déclaration d’opposition au nom des Economists Aligned for Arms Reduction (ECAAR) aujourd’hui les EPS. Elle a été signée par plus de 200 économistes, dont au moins 8 lauréats du Prix Nobel. Je m’efforçai de trouver une voie permettant que nos structures de pouvoir puissent réellement fonctionner automatiquement. Il y a beaucoup de force dans la manière selon laquelle les économies poussent les gens à agir comme ils le font mais la question est comment l’exploiter d’une manière créative. Au-delà nous avons besoin de plus d’action multilatérale réfléchie afin que le système des Nations unies puisse réussir en même temps qu’il s’attaque aux problèmes du changement climatique et de l’inégalité.

Dans un texte, « A New Deal for the World » j’ai mis en évidence comment mettre fin à la guerre et comment mettre en place un New Deal pour la prospérité et la dignité de l’ensemble du globe.

La guerre est une création humaine, elle ne découle pas de manière inévitable d’une cause naturelle. Bien que les humains aient dépensé nombre de millénaires dans des relations compétitives et de fréquentes et violentes confrontations, nous savons désormais comment distinguer une concurrence saine d’un conflit destructeur. Et nous savons comment empêcher une violence dysfonctionnelle. De plus, l’attitude « boys will be boys » envers la guerre est devenue dysfonctionnelle avec le développement de la technologie militaire moderne.

Nous savons également comment assurer la sécurité économique et la dignité sociale pour tous. Les grandes inégalités du système mondial actuel sont seulement un facteur contributif de notre propension à aborder nos divers intérêts par la confrontation, mais, réduire ces inégalités diminuerait la défiance et la tension. Ici, et encore, rien n’est programmé dans nos gènes qui induise inévitablement l’inégalité ou l’injustice. Nous sommes maîtres de notre sort ou, du moins, nous pourrions l’être. Cependant les structures économiques et sociales existantes et l’histoire des interactions contraires contribuent à l’insécurité de l’humanité. Il y a, bien sûr, diverses formes de fraudes délibérées et d’égoïsme extrême qui minent le contrat social implicite et rendent nécessaires le contrôle citoyen et la régulation gouvernementale.

La poésie m’a toujours émue et elle a exprimé quelque chose de fort au-delà des réalités dures et difficiles de la guerre et de l’économie. Alfred Tennyson (poète britannique de l’époque victorienne, 1809-1892, NdT) est devenu mon favori, car il a exprimé le sens commun et une fédération du monde en face de la guerre.

Alfred Tennyson, Locksley Hall (1842).

Jusqu’à ce que le tambour de guerre cesse et que les

 

drapeaux des armées soient en berne

 

Dans le Parlement de l’homme et la Fédération du monde

 

Et là, le sens commun de la plupart gardera un royaume

 

agité dans l’effroi.

 

Et la terre de bonté aura un sommeil paisible, dans une loi

 

universelle.

Je me suis essayé à la poésie. Ce n’est pas du Tennyson en aucune mesure, mais l’esprit et la passion sont là.

Lucy Webster. De Rome à Rome.

Je me souviens, je me souviens,

 

Le vol de Rome à Rome, revenant au milieu de l’océan, le

 

9 novembre 2001,

 

J’étais allée à Ventotene pour étudier la guerre et la paix,

 

j’avais appris que la guerre ne fait pas la paix ! La paix vient

 

des soins et de la justice

 

Quand toutes les lois du monde obéissent.

J’avais écrit comme une enfant pour le 7 décembre 1941. Quand saurons-nous apprendre ? Quand saurons-nous ? Au cours des années j’ai appris à connaître un large réseau de gens, y compris la Présidente Indira Gandhi en Inde, de nombreux leaders au japon et en Corée du Sud qui travaillaient pour la paix et la justice. Les responsables fédéralistes qui ont permis l’établissement de la Cour pénale internationale de La Haye ont créé un précédent important de même que nos assemblées modèles en Amérique latine, et les membres importants de Parlements ayant des objectifs et des idées fédéralistes mondiaux en Amérique du Sud. Je ne suis pas découragée, je me suis simplement enhardie pour essayer avec plus encore d’énergie de mettre en place « un système politique et légal pour abolir la guerre ». Son pivot est d’introduire un système de votes pondérés à l’Assemblée générale des Nations unies et de renforcer leur capacité à soutenir les démocraties en lutte.

Je comprends que le changement avance doucement et je veux bien être patiente et accepter la lenteur du progrès, bien que je ressente parfois une frustration. J’ai recherché toute ma vie des approches multinationales à des crises internationales et l’amélioration de la capacité des Nations unies à répondre rapidement à des situations dangereuses. Lorsque Oussama Ben Laden était en Afghanistan après avoir détruit le World Trade Center, l’ONU aurait dû envoyer des shérifs des Nations unies pour l’arrêter, éventuellement des forces spéciales. Je ne dis pas qu’on ne devrait pas utiliser la force, car lancer des bombes ne fait que tuer des gens ordinaires.

J’ai souvent vu la lutte pour un gouvernement mondial comme de grimper sur un escalator qui descend. Ce n’est pas la chose la plus simple du monde, mais c’est mieux de monter que de rester sur place.

Une dernière pensée pour finir. Pensez combien Sisyphe aurait eu plus de facilités si nous nous étions unis pour pousser son rocher. Et si les fédéralistes mondiaux pouvaient changer le sens de l’escalator vers le sommet.

Ma vie de fédéraliste mondiale a été excitante, mais elle en a valu la peine, même si je n’ai pu atteindre le sommet. J’espère sincèrement qu’une nouvelle génération viendra et que nous aurons une paix perpétuelle dans le monde entier.

Article paru initialement dans la revue « Fédéchoses », la revue de débat et de culture fédéraliste fondée en 1973. Avec tous les remerciements de la rédaction. Article traduit de l’anglais par Joseph Montchamp.

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