Comment expliquer qu´après tant de succès - la paix sur tout un continent, des élargissements successifs réussis, une vaste zone de libre-échange florissante - l´Union européenne suscite encore des craintes et voit progresser des mouvances nationalistes ?
Un manque de lisibilité de ses institutions et une méconnaissance de son fonctionnement peuvent-ils expliquer à eux seuls ce paradoxe ?
Les succès européens sont bien réels et reconnus par une majorité d’Européens. Même les « eurosceptiques » concèdent que c’est grâce à cette union des États européens, que la paix et la prospérité se sont installées durablement sur le continent. Dès lors, cette même majorité d’Européens devrait adhérer « naturellement » à l’Europe... Le rejet du Traité établissement une Constitution pour l’Europe par les Français et les Néerlandais en 2005 atteste pourtant qu’une partie croissante de la population ne souhaite pas aller vers une Europe politique et plus intégrée dans les conditions actuelles. L’une des explications réside peut-être dans le fait que les institutions communautaires manquent cruellement de lisibilité.
Incompréhension et confusion
« Commission européenne », « Conseil européen », « Conseil de l’Union européenne »...
Autant d’instances communautaires aux noms peu évocateurs pour la plupart des citoyens. Comment identifier correctement un organe dont le nom ne revoie à rien de ce que l’on connaisse déjà ? Au niveau politique, une « commission » fait référence, en France, aux commissions parlementaires, chargées d´assurer la préparation des décisions des assemblées ou d´instruire une question particulière. Cela peut aussi faire référence à une simple commission administrative comme dans le secteur public. Ce terme ne renvoie pas nécessairement à un exécutif, défenseur de l’intérêt communautaire, initiateur des textes européens et garant de leur application. Ce sont pourtant bien là ses missions, au niveau européen.
Quant au Conseil européen et au Conseil de l’Union européenne, le premier désigne un organe de l’Union chargé de lui donner une impulsion politique, alors que le second représente une des deux institutions détentrices du pouvoir législatif (avec le Parlement européen). Mais les deux termes étant très proches, la plupart des citoyens les confondent, quand ils n’ignorent pas leur existence. N’oublions pas non plus le Conseil de l’Europe, organisation de coopération européenne qui n’a rien à voir avec l’Union européenne. Le terme « conseil » désigne donc trois organisations, aux rôles complètement différents.
Au contraire, le Parlement européen porte un nom explicite puisqu’il est déjà utilisé pour qualifier l’assemblée composée des députés qui vote les lois dans notre pays. Il a suffit d’y accoler l’adjectif « européen », pour lui donner une dimension supérieure à celle des assemblées nationales. On comprend alors aisément le rôle principal de cette instance, même s’il ne pèse pas autant que les autres institutions communautaires.
Outre ce problème de dénomination, l’Union européenne est ainsi faite, qu’elle ne renvoie à rien dans son fonctionnement, à ce qu’un Européen connaît des institutions nationales. Il n’a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que le pouvoir législatif est essentiellement aux mains du Parlement et le pouvoir exécutif dans celles du gouvernement. De part sa culture, il sait que les trois pouvoirs (avec le pouvoir judiciaire) sont, en principe, indépendants. Or ce sont les États qui décident du sens de la politique menée par l’Union européenne et la Commission n’est pas réellement un gouvernement européen, ses ministres (les "Commissaires") étant choisi d’abord sur critère de nationalité par exemple.
Le poids des mots
Qu’il observe le fonctionnement de l’Union européenne et il risque de ne pas s’y retrouver car les différents pouvoirs sont éparpillés entre plusieurs instances. En outre, les lobbys jouent un rôle considérable dans l’accès aux connaissances et à l’information des eurodéputés et des Commissaires. Peu de citoyens savent qu’ils sont très encadrés. Ils en gardent une représentation péjorative, notamment en France et pensent qu’ils ne défendent que des intérêts particuliers, masquant toute part de vérité qui les desservirait.
Pour que les institutions communautaires soient plus lisibles, il faudrait déjà que leurs noms soient transparents et compréhensibles par le plus grand nombre. Le procès d’opacité et de technocratie fait à l’Union européenne pourrait bien être dû à un vice sémantique. Pourquoi par exemple ne pas avoir trouvé une traduction française au mot « lobby » ? Une prochaine réforme des institutions européennes mettra-t-elle à l’ordre du jour un profond changement des termes qui les désignent ?
C’est que le poids des mots conserve toute son importance dans un monde de plus en plus ouvert et mondialisé, où ils désignent une réalité et font, parfois même, la réalité.
1. Le 19 novembre 2008 à 08:23, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Manque de lisibilité des institutions européennes : un vice sémantique ?
Excellent article, il me semble toutefois qu’il serait souhaitable d’insister sur le fait que ce vocabulaire illisible n’est certainement pas le fruit du hasard mais d’une volonté délibérée de conserver nos concitoyens dans le flou sur la nature de la construction européenne. Unemanière pour les politiques de ne pas assumer leurs choix. À moins que ce ne soir un moyen d’assumer leur non-choix ?
Dire que la Commission est un gouvernement et le Conseil un organe législatif me semblerait plus claire pour tout le monde. Le problème est que cela obligerait les gouvernements à faire les réformes nécessaires pour que le tout fonctionne de manière plus efficace et plus démocratiques, donc fédéraliste, ce qui leur enlèverait du pouvoir pour le redonner aux citoyens.
Alors bien sur on peut prétendre que l’on ne reprend pas ce type de vocabulaire pour différencier le fédéralisme dans l’Union européenne des États fédéraux comme les États-Unis mais je crois que l’argument est assez bidon.
2. Le 19 novembre 2008 à 09:04, par Ronan En réponse à : Manque de lisibilité des institutions européennes : un vice sémantique ?
Entièrement d’accord avec VXL : on y verra tous (citoyens compris) beaucoup plus clair quand on osera enfin appeler un chat, un chat.
Pour le reste, il est bien évident que les frilosités sémantiques de certains cachent en fait des allergies et des ignorances qu’ils ont bien de la peine à dissimuler.
Pour que le débat public européen gagne enfin en intérêt et en popularité, il faut enfin arrêter de parler des choses sans oser les nommer et enfin arrêter de tortiller du cul :
Soit on veut très clairement une Europe fédérale de qualité enfin vraiment digne de ce nom, soit on opte pour l’Europe intergouvernementale actuelle de l’impuissance organisée et du bordel institutionnalisé (sous prétexte que c’est là un modèle « original »). Au choix.
3. Le 5 décembre 2008 à 15:13, par Laurent Nicolas En réponse à : Manque de lisibilité des institutions européennes : un vice sémantique ?
Le « vice sémantique » est aussi un peu un vice originaire puisque les britanniques qui avaient été associés aux négociations sur le Traité de Rome avaient oeuvré pour que l´exécutif européen ait cette appellation (si ma mémoire est bonne car je l´ai lu il y a longtemps). Expliquer tout ceci aurait obligé à faire d´importantes recherches et on risquait de sortir du cadre limité de l´article.
Ce qui est certain pour les rédacteurs de cet article, et apparemment nous ne sommes pas les seuls à le penser, c´est qu´il y a un réel problème de lisibilité des institutions européennes et que les institutions d´une manière générale sont d´autant plus légitimes qu´elles sont intelligibles et qu´elles font écho à ce que les gens connaissent (en toute rigueur juridique on ne doit pas dire ça car c´est le vote qui fonde la légitimité, mais c´est aussi de la lisibilité dont découle le vote, qu´il suffise de penser aux institutions de la V° République par exemple). La solution existe pourtant qui serait de renvoyer au niveau des dénominations du législatif (un législatif bicaméral comme tout le monde ne le sait pas)....à la référence étatique. Un sacré casse tête pour ceux qui font de la peur d´un Léviathan supranational (et par conséquent de la disparition de ce à quoi les gens tiennent malgré tout) leur fond de commerce. Nous développerons ces idées et quelques autres dans d´autres articles....
4. Le 6 décembre 2008 à 11:59, par Ronan En réponse à : Manque de lisibilité des institutions européennes : un vice sémantique ?
En ce moment, je déroule mon cours de Quatrième (et en Première) sur la construction européenne.
Où il faut - entre autres choses - décortiquer et tenter d’expliquer (c’est un bien grand mot...) le fonctionnement institutionnel de l’UE. Descriptif qui s’apparente en fait un champs de mines tellement les chausses-trappes, coupe-gorges, impasses et enfilades sont nombreuses...
Où il faut - malgré tout - dire, répéter, expliquer et patiemment réexpliquer que le Conseil de l’Europe, le Conseil européen, de le Conseil de l’Union ça n’a strictement rien à voir.
Où il faut - entre autres choses - expliquer que l’Union a des lois (qui - pour faire simple, sans doute - s’appellent « directives »...), un gouvernement qui (pour faire simple, j’imagine...) s’appelle « Commission », un chef d’Etat à vingt-sept têtes (le fameux « Conseil européen » qui n’a - comme de bien entendu, voir supra - rien absolument à voir avec le « Conseil de l’Union »).
Où il faut patiemment jongler avec les Président de la Commission, Président du Conseil de l’Union, M. PESC, le futur Haut-Commissaire... Où il faut - notamment - expliquer et réexpliquer (des dizaines de fois) que - non, non et non - l’Union n’a (à ce jour, en tout cas) pas de président (pas de M. Schengen non plus...). (Et encore, je ne leur ai pas parlé d’Olaf...).
Réaction : « Oui, mais Monsieur, je ne comprends pas : à la télé on dit tout le temps que Sarkozy est président de l’Europe... » : et c’est au moins la 17e intervention d’un élève à ce sujet. Et c’est vrai qu’au yeux de certains de nos élèves tout ce que dit la télé - souvent de façon très approximative - est parole d’évangile - voire tout ce que dit l’Enseignant (sans doute plus complexe...), suspect de je ne sais quoi (néanmoins, restons calme...).
Certains de nos élèves (adolescents en construction qui n’ont pas tous vocation à devenir juristes ni eurocrates...) n’en retiendront donc qu’une très brève et très négative idée de la façon dont « fonctionne » l’UE : au mieux que c’est compliqué et pas franchement intéressant, au pire que c’est le bordel et que c’est complètement incompréhensible (donc à jeter ?!).
Le plus dramatique dans tout ça, c’est que ce cours sera peut-être même le seul contact - avec ce sujet - de toute une vie. De là à imaginer que ce « désordre » est savamment entretenu par nos gouvernants « eurotièdes » pour éloigner et franchement dégoûter les citoyens de l’Europe, il n’y a qu’un pas.
Il faudrait tout de même se rendre à quel point l’Europe fait du mal à l’Europe : à quel point l’organisation même l’Europe fait du mal à l’idée européenne. A quel point l’Europe actuelle a besoin de réformes et de simplifications en profondeur (plus de clarté, plus de rationnalité, plus de démocratie, plus de transparence).
Voilà en tout cas qui devrait un moment calmer tout ceux qui (puisqu’il y en a) bottent en touche la « question institutionnelle » en affirmant, mordicus, qu’elle n’est décidément pas nécessaire et - par conséquent et fort logiquement - plus du tout à l’ordre du jour...
Suivre les commentaires : |