Mark Rutte sauve sa tête aux Pays-Bas

, par Alexis Vannier

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Mark Rutte sauve sa tête aux Pays-Bas
Binnenhof, siège du Parlement néerlandais à La Haye, source Pfxfuel

Comme rappelé dans un article paru le 19 février, Mark Rutte et son cabinet ont démissionné en janvier dernier dans un tonitruant scandale autour de demandes frauduleuses de régulation d’aides sociales. Anticipant le scrutin prévu le 17 mars, M. Rutte a préféré se saborder alors que son parti était au plus haut dans les sondages. Néanmoins, la méthode utilisée pour l’attribution des 150 sièges du Parlement conduisent de facto à un seuil électoral de 0,67% et faisant naître un éventail politique plus coloré qu’un arc-en-ciel.

Le Parlement morcelé penche à droite

Lors du dernier scrutin législatif, en 2017, ce ne sont pas moins de 13 formations politiques qui ont obtenu une représentation à la Tweede Kamer der Staten-Generaal, la chambre basse du Parlement néerlandais, ce qui ne facilite guère la formation de gouvernements stables. Aujourd’hui, le VVD (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie, libéral-conservateur) de Mark Rutte maintient sa première place mais perd des voix avec 21,3% (-5,3%) et des sièges avec 33 députés (8 de moins). Un déficit au profit de son ancien allié de la droite radicale, anti-immigration, et opposé à l’intégration européenne de Geert Wilders, le PVV (Partij voor de Vrijheid) qui recueille 13% des voix et 20 sièges. Suivent deux formations libérales démocrates de centre-droit, le CDA (Christen Democratish Appèl) et de centre-gauche D66 (Democraten 66) qui reçoivent environ 12,3% des voix et 19 députés. La gauche écologiste (GroenLinks) avec 9% des voix et 14 sièges dépasse les Travaillistes (Partij van de Arbeit) qui s’effondrent, en perdant 20% de leurs voix et 29 sièges sur les 38 qu’ils détenaient jusqu’alors. Six autres partis se partagent le reste des sièges. Avec ce morcellement partisan, il était difficile de forger une alliance parlementaire solide. Les négociations ont été longues, très longues, les plus longues que les Pays-Bas aient jamais connues ! Une première tentative regroupant VVD, CDA, D66 et la Gauche verte avorte sur la question migratoire. Finalement, Mark Rutte demandera à l’Union chrétinne (ChristenUnie), une petite formation ultra-conservatrice et eurosceptique de compléter sa coalition avec ses 5 sièges. La coalition pentapartite réunit ainsi 76 députés sur 150… Il suffisait d’un cheveu !

Un mandat en dents de scie

Sur le plan national comme européen, Mark Rutte a fait de la rigueur budgétaire son prisme politique. Il préfère le respect des règles budgétaires et la finalisation de l’union bancaire plutôt que les projets ambitieux du Président français. Chef de file des Frugaux (entendez radins) en Europe, il freine des quatre fers quand il s’agit de mutualiser les dettes des 27. Dans son pays, il est connu pour sa rigueur (il a reculé l’âge de la retraite de 65 à 67 ans) et paradoxalement sa souplesse : depuis son premier gouvernement en 2012, il a travaillé avec les sociaux-démocrates, des protestants conservateurs et l’extrême-droite. De plus, il est apprécié pour sa simplicité dans son mode de vie : il assure bénévolement des cours d’histoire dans un collège d’Amsterdam, fait ses courses seul et délaisse la résidence officielle du Premier ministre pour un appartement dans le centre de La Haye. Le chef du gouvernement subit néanmoins de nombreux revers durant son mandat : le référendum d’initiative citoyenne, consultatif, adopté en fanfare en 2015 est utilisé par l’opposition pour rejeter deux projets signés Mark Rutte, à savoir : l’augmentation des pouvoirs des services de renseignement et l’accord de partenariat Ukraine-Union européenne. Il reviendra d’ailleurs sur ce dernier sujet et sur le RIC, aboli en 2018, jugé finalement trop facile à enclencher. Les scrutins de mi-mandat n’étaient pas encourageants non plus. Le VVD s’était tout juste fait ravir la première place lors des élections sénatoriales en 2019 par le jeune Forum pour la démocratie (Forum voor Democratie FvD) national-conservateur, eurosceptique et climatosceptique. Les deux partis obtiennent le même nombre de sièges, 12 sur 75. Lors des européennes, cinq jours avant, c’est le Parti travailliste (PvdA) qui passe devant le VVD, créant la surprise et augmentant son score de près de 20% et ravissant 6 sièges. Le VVD gagne lui deux sièges supplémentaires. Le FvD quant à lui siphonne là aussi les voix du PVV, sur la même ligne politique. Un nouveau signe du lent remplacement de Geert Wilders, leader du PVV par Thierry Baudet, leader du FvD ? Son gouvernement est, par ailleurs, le premier d’Europe, et du monde, à être contraint d’améliorer son action contre le réchauffement de la planète par la justice, soit deux ans et demi avant le gouvernement français. S’agissant du scandale autour des enquêtes sur les fraudes aux aides sociales, les familles indûment accusées et placées dans des situations encore plus précaires du fait des turpitudes de l’administration n’auront donc pas droit à un débat légitime, torpillé par la démission du gouvernement Rutte.

Le calme politique pendant la tempête sanitaire

Dans le Royaume de la tulipe, la campagne électorale se fait majoritairement sur les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise du coronavirus. Le pays a récemment été marqué par un accès de vives tensions, inhabituelles dans le pays. En effet, après avoir adopté une stratégie de responsabilité citoyenne face à la Covid-19 en n’imposant ni les masques, ni le confinement, ni la fermeture des lieux culturels, les Pays-Bas comptaient, comme la Suède, sur l’immunité collective. Cependant, la flambée récente des cas a poussé le gouvernement à demander l’instauration d’un couvre-feu au Parlement, le premier depuis la Seconde Guerre mondiale. Une mesure qui a embrasé les rues de nombreuses villes, sièges de manifestations violentes qui ont choqué le pays mais également le monde. Mark Rutte n’a pas eu besoin de discours sécuritaires pour apparaître comme le choix de la stabilité auprès des électeurs. Les sondages montrent un soutien au gouvernement en place dans la majorité des pays européens. Il a semble-t-il néanmoins cherché à élargir son champ à gauche en annonçant, dans un discours soudain– électoraliste ? – de "déradicalisation fiscale", vouloir « polir activement les franges du capitalisme » dans le plus pur style "Europe du Nord". Au total, pas moins de 37 partis politiques concourraient à ces législatives, établissant un nouveau record de propositions politiques, dont de nombreux nouveaux partis créés en 2020. Habitués à voter un peu partout, dans des hôtels, des bowlings ou des parcs d’attraction, cette année, les Néerlandais ont eu trois jours pour glisser leur bulletin dans les urnes. Des exceptions au couvre-feu ont été instaurées et les électeurs de plus de 70 ans ont pu voter par voie postale. Ces nouvelles mesures ont été mises en place afin de limiter les risques d’infection à la Covid-19. 81% des Néerlandais se sont déplacés, autant qu’en 2017. Finalement, et sans grande surprise, c’est bien le VVD de Mark Rutte qui remporte haut la main ces élections. Il engrange près d’un quart des voix et 36 députés, soit 3 de plus qu’en 2017. Les violentes manifestations qui ont suivi l’[annonce d’un couvre-feu] en janvier dernier n’auront donc pas eu de grandes conséquences dans les urnes. Le PVV maintient sa place privilégiée à la droite de la droite : même s’il perd près de 2% de leurs voix, 3 députés (17 sièges obtenus) ainsi que la deuxième place, il termine loin devant le FvD qui ne réussit pas à concrétiser ses beaux scores aux sénatoriales et européennes de 2019 en gagnant 6 strapontins (8 au total). Les partenaires de Rutte : le CDA perd 5 sièges et en maintient 14 alors que le D66 réalise la meilleure remontée de ce scrutin en ajoutant 8 sièges aux 19 qu’il comptait déjà. Le CU perd lui un siège et n’enverra que 4 députés au Parlement. La gauche peine à convaincre, les socialistes préservent leurs 9 sièges alors que les travaillistes et la Gauche verte chutent lourdement perdant 6 représentants chacun. Parmi les micro-partis, les animalistes se maintiennent avec 5 sièges, la formation fédéraliste Volt et les néoconservateurs de Juiste 21 obtiennent 3 sièges chacun. En queue de peloton, le parti agrarien et une émanation politique locale du mouvement Black Lives Matters auront 1 siège chacun.

La démission de la majorité en janvier dernier aura finalement permis à Mark Rutte de garder sa place pour continuer sa politique libérale aux échelles nationale et européenne. Le recul de l’extrême-droite signe également une victoire pour le Premier ministre sortant, assuré d’amorcer son quatrième mandat. Il entamera alors sa onzième année de règne en tant que chef de Gouvernement, soit autant que…Viktor Orbán.

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