Nord Stream 2, peut-il devenir le gazoduc de la discorde entre Biden et les Européens ?

, par Kareem Salem

Nord Stream 2, peut-il devenir le gazoduc de la discorde entre Biden et les Européens ?
Crédits : European Union, 2012 / Photographer : Vladimir Simicek - Source : EC - Audiovisual Service Un ouvrier devant une carte montrant le réseau de gazoducs parcourant entre autres la Russie et la Norvège, avant d’arriver à la station de stockage.

Interrompue depuis près d’un an, la construction du gazoduc Nord Stream 2, reliant la Russie et l’Allemagne, et donc l’Europe, a repris ce mois-ci. Berlin et Vienne restent parmi les pays européens les plus favorables au projet. En 2016, alors qu’il était vice-président des États-Unis, Joe Biden était contre le projet. Sera-t-il tout aussi intransigeant lorsqu’il entrera à la Maison Blanche en janvier ?

C’est le chantier le plus géopolitique d’Europe. Sous le coup des sanctions américaines imposées au cours du mandat de Donald Trump, le projet de gazoduc sous-marin Nord Stream 2 a été conçu pour amener du gaz naturel russe au marché européen. Prévus pour s’étaler sur 2460 kilomètres, plus de 2300 kilomètres ont déjà été posés, soit 94 % du tracé total.

Le tuyau qui sera exploité par l’entreprise publique russe Gazprom est l’un des plus grands projets d’infrastructure en Europe, avec plus de 10 milliards d’euros investis, cofinancé notamment par cinq groupes européens, dont la société française Engie.

Cependant, l’affaire Navalny a provoqué un électrochoc en Europe. Figure de l’opposition à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny s’est retrouvé dans un coma artificiel après avoir été empoisonné le 20 août en Russie, lors d’une tournée électorale, par un agent neurotoxique du type Novitchok.

Ce terrible événement a donné un nouvel argument aux détracteurs du projet de gazoduc russe. Les pays de l’ancien bloc soviétique ont été les plus virulents sur ce sujet, soulignantqu’il est dans l’intérêt commun des Européens d’annuler le projet. Parmi eux, les pays baltes et la Pologne craignent une dépendance trop importante de l’Europe à l’égard du gaz russe et contournement de l’Ukraine, territoire de transit. Quant aux États-Unis, le Département d’État a élargi la portée des sanctions contre le gazoduc.

Cependant, malgré un nouvel avertissement américain, après presque un an d’interruption, l’achèvement du projet reste d’actualité. En effet, les travaux pour achever le projet ont repris ce mois-ci, et, à ce jour, aucun des investisseurs du projet n’a retiré son soutien, malgré la colère croissante des États-Unis.

Berlin et Vienne favorables au projet

Les ressources énergétiques russes sont une source d’énergie importante pour l’Allemagne. Contrairement à la Russie, l’Allemagne est pauvre en matières premières. Concernant le gaz, elle ne produit que 7 % de sa propre consommation. Alors que les principaux fournisseurs européens, les Pays-Bas et la Norvège, voient leurs réserves diminuer d’année en année, les fournisseurs russes restent une alternative fiable à long terme pour répondre aux besoins énergétiques allemands. Ainsi, ces dernières années, la Russie est devenue le premier fournisseur de gaz de l’Allemagne, dont elle a besoin pour tous ses usages, de l’industrie aux ménages.

Pour l’Autriche, le gaz russe fait partie intégrante de sa transition énergétique. La société autrichienne OMV a par conséquent multiplié ses contrats gaziers avec Gazprom ces dernières années. En 2017, Gazprom a fourni un volume record de 9,1 milliards de m3 de gaz à l’Autriche, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2016. Ces relations ont même été renforcées avec le chancelier Sebastian Kurz, prolongeant l’accord de livraison de gaz russe jusqu’en 2040.

À l’heure de la suppression progressive du nucléaire et du charbon, l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 fera passer la capacité gazière existante en Europe de 55 à 110 milliards de mètres cubes. Le gouvernement fédéral allemand considère de ce fait que la construction du gazoduc est dans l’intérêt de la sécurité énergétique européenne. Les responsables politiques autrichiens partagent également ce point de vue, notamment le président autrichien Alexander Van der Bellen et le chancelier Kurz. Le projet est important pour Vienne, étant donné que le groupe OMV finance le projet Nord Stream 2 à hauteur de 20%.

Malgré les critiques des pays d’Europe centrale et orientale, Bruxelles a peu de possibilités d’arrêter le projet. L’énergie reste de la seule compétence des États membres. Bien que le projet Nord Stream 2 soit contraire à l’orientation lancée par la Commission européenne en 2015 avec son Union de l’énergie, elle s’oppose en principe à l’imposition de sanctions américaines contre les entreprises européennes participant au projet.

L’Europe de l’Est se diversifie

Pour se passer de Gazprom, les pays d’Europe centrale comme la Pologne multiplient les investissements avec des fournisseurs américains, et même le Qatar. Varsovie mise sur le terminal Swinoujscie en Poméranie polonaise. Ce terminal, situé sur la côte polonaise de la mer Baltique, dispose de capacités de déchargement et de regazéification, permettant à la Pologne de diversifier ses sources d’approvisionnement et leur direction. Ainsi, le gouvernement polonais espère pouvoir s’affranchir complètement des importations de gaz russe dans moins de cinq ans.

Les investissements dans les infrastructures de gaz naturel ont également permis aux États baltes de devenir stratégiquement plus indépendants du gaz russe. Le terminal de gaz liquéfié dans le port maritime de Klaipėda en Lituanie, en particulier, joue un rôle déterminant dans la diversification, permettant au gaz de Norvège, du Qatar et des États-Unis de concurrencer le gaz russe. Quant à la Lettonie et l’Estonie, les deux pays baltes ont notamment signé un accord avec la Finlande pour mettre en place une zone tarifaire unique de transport de gaz pour les trois pays en 2019.

La position de Joe Biden

Le président élu des États-Unis et les démocrates américains sont naturellement opposés à la construction du gazoduc. Cela n’est pas surprenant étant donné que ces cinq dernières années, les relations entre Poutine et les démocrates ont été particulièrement tendues par la manipulation russe des élections présidentielles de 2016 et les assassinats ciblés de dissidents russes. Il est donc très probable que Joe Biden tentera d’équilibrer l’influence énergétique russe en Europe. Cependant, la communication du prochain occupant du Bureau ovale ne sera pas aussi hostile et brutale envers les pays européens, comme cela est apparu tout au long du mandat de Trump. Lors du sommet de l’OTAN en juillet 2018, le président Trump avait déclaré au sujet du gazoduc Nord Stream 2 : « l’Allemagne est totalement contrôlée par la Russie ». L’ancien vice-président et son équipe des Affaires étrangères auront par conséquent à cœur de se servir du dialogue politique pour proposer une stratégie occidentale plus complète et plus cohérente à l’égard de la Russie.

La diplomatie franco-américaine pourrait être essentielle pour convaincre Berlin et Vienne de renoncer à leur soutien au projet. Il convient de souligner que dans le passé, Paris avait également exprimé ses réserves sur le projet gazier. Le Quai d’Orsay avait notamment soutenu la révision d’une directive européenne à Bruxelles en 2019, qui devait soumettre le projet aux règles de concurrence européennes. La France n’a jamais été convaincue par la pertinence du projet gazier, estimant qu’il allait à l’encontre des tentatives de l’UE de se libérer de son énorme dépendance au gaz russe.

Très clairement, des solutions concrètes doivent être proposées afin que les dirigeants allemands et autrichiens retirent leur soutien au projet gazier. Le temps dira si cette initiative parviendra à convaincre Berlin et Vienne.

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